les Cranach
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintres allemands.
Lucas, dit l'Ancien (Kronach, Franconie, 1472 – Weimar 1553) . Le peintre Lucas, ainsi qu'il est mentionné dans les anciens documents, doit son nom à la ville de Franconie dont il est originaire. Ses débuts ne sont pas connus ; les premières œuvres qui nous sont parvenues sont chargées de réminiscences de l'Apocalypse de Dürer (1498) ; elles ont été exécutées à Vienne immédiatement après 1500. On peut dater des environs de 1501 une Crucifixion (Vienne, K. M.) et 2 panneaux d'autel représentant Saint Valentin et la Stigmatisation de saint François (Vienne, Akademie), suivis, en 1502, d'un panneau avec un Saint Jérôme pénitent et de 3 gravures sur bois : 2 Crucifixions et un Saint Étienne, daté. Toutes ces œuvres révèlent une prédilection pour les expressions grimaçantes, les formes osseuses et un goût très vif pour l'élément végétal ; ce penchant se manifeste soit par la prédominance du paysage, soit, comme dans le Saint Étienne, par une bordure composée de deux arbres chargés de dragons et d'anges servant d'encadrement. Le dynamisme de ces compositions est particulièrement frappant dans une gravure sur bois, le Christ au mont des Oliviers, exécutée v. 1503 (unique exemplaire connu au Metropolitan Museum), et dans la Crucifixion de 1503 (Munich, Alte Pin.), où les croix, par leur situation, sont intégrées au paysage beaucoup plus qu'elles ne le seraient dans une ordonnance frontale, procédé qui souligne l'aspect humain et tragique de l'événement aux dépens de sa signification rédemptrice. Les rapports étroits de Cranach avec les humanistes de Vienne sont mis en lumière par le double Portrait de l'humaniste viennois Cuspinian et de sa femme (Winterthur, fondation Oskar Reinhart), exécuté v. 1502-03, ainsi que par le double portrait du recteur de l'université de Vienne Johann Reuss (1503, musée de Nuremberg) et celui de sa femme (musées de Berlin) ; enfin, par une série de dessins représentant les Mois, commande du Dr Fuchswagen exécutée d'après le modèle antique du Filokalus de Vienne (Vienne, B. N.). La représentation de ces modèles dans la nature est bien significative de cette école. Le Repos pendant la fuite en Égypte (v. 1504, musées de Berlin) — vraisemblablement un des derniers tableaux exécutés en Autriche — est célèbre par le charme de son paysage idyllique. Cranach fut appelé en 1504 par Frédéric le Sage à Wittenberg, où il vécut près de cinquante ans comme peintre de la Cour au service des trois Électeurs de Saxe. Il acquit une grande notoriété et fut bourgmestre de la ville en 1537 et 1540, entretint des relations d'amitié avec Luther et Melanchthon, ce qui ne l'empêcha pas cependant d'exécuter des commandes pour le cardinal Albert de Brandebourg, un des grands mécènes de ce temps.
On constate une évolution en comparant l'œuvre la plus ancienne de l'époque wittenbergeoise, le Retable de sainte Catherine, de 1506 (Dresde, Gg ; les volets du retable, représentant des Saintes, sont à la N. G. de Londres), avec un panneau du même thème découvert récemment (Budapest, coll. part.), qui peut être daté de la fin du séjour en Autriche.
Les figures plastiques, dynamiques et agressives du panneau de Budapest ont fait place à des personnages circonspects et sans relief ; l'élan qui caractérisait les premières œuvres a disparu. Dans le domaine de la gravure — par exemple dans le Saint Antoine de 1506 —, le style de ses débuts se maintiendra plus longtemps, mais les traits que nous venons de signaler dans le Retable de sainte Catherine de Dresde se préciseront peu à peu. Un voyage dans les Pays-Bas augmentera considérablement son répertoire de motifs, mais aura peu d'influence sur son style. Pendant les années qui suivirent, la manière que Cranach avait trouvée à Wittenberg — et qui, non sans raison, a été considérée comme un appauvrissement de son art — ne changera plus guère. Il oubliera alors complètement la préoccupation dominante de sa jeunesse — l'intégration des figures dans un ensemble —, et ses recherches s'orienteront vers un but entièrement différent. Dans le Retable de la Sainte Parenté de 1511 (Vienne, Akademie), les figures qui se détachent sur un fond sobre d'architecture se présentent isolément. Cette tendance à l'isolement est encore plus nettement soulignée dans un tableau daté de 1526 où Cranach paraphrase la gravure magistrale de Dürer, représentant le Cardinal Albert de Brandebourg en saint Jérôme dans son studio (Sarasota, Ringling Museum). Le rendu de l'atmosphère qui enveloppe toute chose et fait le charme de la gravure de Dürer est totalement éliminé de l'œuvre de Cranach, où chaque figure et chaque objet est nettement délimité. À cela s'ajoute une plus vaste perspective, qui permet d'isoler les figures en les éparpillant. Le paysage même — autrefois espace vital pour la figure humaine — joue maintenant un rôle de décor. Ce trait sera particulièrement sensible dans les tableaux à l'horizon élevé, comme dans la Chasse au cerf de 1529 (Vienne, K. M.).
Cette tendance à l'isolement est manifeste dans ses nombreuses Vénus et Lucrèce qui se détachent sur un fond sombre et rappellent dans leur présentation les Vénus de Botticelli. C'est surtout sous le règne de l'Électeur de Saxe Jean le Constant (1526-1532) que des figures de femmes nues et des sujets mythologiques (maintenant répartis dans tous les musées du monde) lui furent demandés, alors que sa production antérieure consiste essentiellement en œuvres religieuses — retables (celui de Torgau, un des plus importants, de Francfort, Städel. Inst.) et madones.
Quant au portrait, il joua dès le début dans la carrière du peintre un rôle prépondérant. C'est à Cranach que revient le mérite de nous avoir transmis non seulement les effigies des Électeurs de Saxe et des membres de leur famille (Londres, N. G. ; Dresde, Gg ; Zurich, Kunsthaus), ainsi que d'autres personnalités princières (suite du musée de Reims), mais encore celle de Martin Luther (musée de Berne), dont il a laissé de nombreux portraits, qu'il divulgua aussi par le moyen de la gravure sur bois et sur cuivre. Les visages aux traits rigoureusement dessinés se détachent de façon décorative sur un fond le plus souvent uniforme et sous un éclairage homogène.
C'est grâce aussi à ses relations avec Luther qu'il revint à Cranach de traduire en images les sujets les plus importants de la nouvelle doctrine. S'il ne s'agit pas toujours d'œuvres très marquantes, comme pourrait le laisser espérer l'illustration didactique de sujets théologiques, on peut considérer le Péché originel et la Rédemption comme les premières codifications de l'iconographie protestante, dont le rayonnement fut très grand.
Le catalogue des œuvres de Cranach comprend 400 numéros, ce qui implique l'activité d'un atelier où l'on avait coutume de varier toujours légèrement les figures des répliques demandées par de nombreux clients, si bien que jamais un exemplaire n'était exactement semblable à l'autre. Le changement constaté à partir de 1509 dans la signature de l'artiste (le dragon aux ailes relevées se transforme en dragon aux ailes déployées) a été différemment interprété. L'hypothèse selon laquelle Cranach se serait, à partir de cette date, retiré de son atelier pour en laisser la succession à son fils Lucas le Jeune ne paraît pas justifiée par les œuvres connues, exécutées après 1537. Il n'existe pas de rupture de style entre les tableaux peints avant et après cette date. L'Autoportrait (Offices) réalisé en 1550, c'est-à-dire trois ans avant sa mort, témoigne de la force créatrice intacte de l'artiste.
Lucas, dit le Jeune (Wittenberg 1515 – Weimar 1586). Une longue collaboration dans l'atelier de son père effaça si bien la personnalité de cet artiste que la distinction entre les œuvres des deux peintres est difficile à établir.
Il semble que Cranach le Jeune se soit borné à continuer l'œuvre de son père sans en renouveler le style, qui tend à devenir plus sec et plus mécanique, ni en changer les thèmes.
On veut reconnaître sa main dans deux œuvres d'atelier : un Portrait d'homme et un Portrait de femme (musées de Berlin), dont la rudesse un peu naïve, teintée de tristesse, ne doit rien à l'élégance maniérée, parfois ironique de Cranach l'Ancien. Le Portrait de Leonhard Badehorn (musées de Berlin) lui est également attribué. C'est toutefois dans ses petites études à l'huile sur papier, faites d'après le modèle et exécutées d'une touche douce et picturale, que l'artiste donne le meilleur de lui-même (Portrait d'Auguste de Saxe, musée de Reims).
Hans ( ? – Bologne 1537). Fils, élève et collaborateur de Lucas l'Ancien ; et on distingue mal ses œuvres de celles de son père, qu'il imite. Un tableau représentant Hercule et Omphale (1537, Madrid, fondation Thyssen-Bornemisza), signé des initiales H. C., lui est généralement attribué.