laboratoire de musée
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Service destiné à mettre les méthodes scientifiques, physiques et chimiques au service de la conservation et de l'étude des peintures. Les laboratoires de musée ne doivent pas être cofondus avec les ateliers de restauration, avec lesquels ils entretiennent en général une collaboration plus ou moins étroite suivant les pays et les institutions.
Les documents et les analyses obtenus par les méthodes que la science met à la disposition des chercheurs apportent à la connaissance de l'œuvre d'art une contribution importante ; ils permettent une analyse précise du fait matériel qu'est une peinture, élément indispensable tant sur le plan de la conservation que sur celui de l'histoire des techniques picturales.
En faisant resurgir des images jusqu'ici invisibles, en révélant les étapes de la création artistique — esquisse, repentir, transformations ultérieures – les techniques de photographie scientifique, la radiographie, les analyses microchimiques, pour ne citer que les méthodes couramment utilisées, apportent une contribution indispensable à ceux qui ont la charge de conserver des peintures ainsi qu'aux connaisseurs, aux historiens, aux critiques.
Historique
En France, c'est dans la seconde moitié du xviiie s., dans le milieu des encyclopédistes, qu'est né l'intérêt des scientifiques pour la conservation et l'étude de la peinture. Alexandre Charles (1746-1822), physicien français dont le cabinet de physique était installé dès 1780 dans le Louvre, fut vraisemblablement l'un des premiers savants à tenter d'étudier la conservation et la technique des peintures par des procédés optiques. Chaptal, Geoffroy Saint-Hilaire, Vauquelin, Chevreul et Louis Pasteur consacrèrent à leur tour, au long du xixe s., une part de leurs recherches aux problèmes que pose l'analyse des constituants des œuvres peintes.
En Angleterre, un savant, sir Humphrey Davy (1778-1829), tenta également d'analyser les peintures et les produits les constituant.
Dans la seconde partie du xixe s., les savants allemands se penchèrent sur les problèmes d'analyse. C'est à Berlin en 1888, au Staatliches Museum, que fut créé le premier laboratoire de recherche. Sept ans plus tard, le physicien Röntgen tentait d'exécuter la première radiographie de tableau.
Au début du xxe s., Eibner et Laurie améliorèrent les méthodes chimiques d'examen, tandis que, en France, c'est au Louvre que les travaux scientifiques reprirent dès 1919. Cependant, ce n'est qu'après la première conférence internationale, qui se tint à Rome en 1930, que l'on assista à une véritable éclosion mondiale de travaux scientifiques. Parmi les services existant à cette date, il faut citer les laboratoires du British Museum (créés en 1919), ceux du Louvre et du musée du Caire (1925), du Fogg Art Museum de Cambridge (1927), du Museum of Fine Art de Boston (1930).
Peu après, des centres d'études liés à des services nationaux ou municipaux furent créés : le Laboratoire central des musées de Belgique en 1934, le Max Doerner Institut de Munich en 1934 également, la National Gallery et le Courtauld Institut de Londres en 1935, l'Istituto centrale del restauro de Rome en 1941. Depuis 1946, des services fonctionnent dans la majorité des grands musées ou sont en rapport constant avec eux ; il en est ainsi en Pologne, en Russie, au Japon, au Canada, en Inde, en Suède, en Norvège ; d'autres laboratoires sont actuellement en voie de formation.
Les techniques scientifiques
L'examen optique, en élargissant les pouvoirs de l'œil, permet de percevoir ce qui était jusqu'ici imperceptible ou même invisible. Cependant, l'étude du tableau à la lumière naturelle est un préalable indispensable à l'examen de laboratoire, comme d'ailleurs l'enregistrement photographique. Aux procédés traditionnels de la photographie viennent s'ajouter des techniques propres à l'étude scientifique des peintures.
La lumière tangentielle ou frisante
On appelle ainsi le procédé qui consiste à éclairer un tableau, placé dans une pièce obscure, au moyen d'un faisceau lumineux parallèle à sa surface ou formant avec celle-ci un angle très faible. En variant la position de la source lumineuse, il est possible de souligner les aspects de la surface du panneau ou de la toile étudiés.
L'examen visuel et l'enregistrement photographique de l'image obtenue sous cet angle sont révélateurs, en premier lieu, de l'état de conservation du tableau et, en second lieu, de la technique du peintre. Il est à noter, cependant, que cette image déforme le réel et que l'interprétation des renseignements fournis ne doit pas être dissociée de l'étude de l'œuvre originale.
La lumière monochromatique de sodium
Ce mode d'éclairage est obtenu par des tubes de 1 000 W émettant une lumière exclusivement jaune, située sur une étroite bande du spectre entre 5 890 et 5 896 Å. Cette source donne une vision monochromatique de l'œuvre examinée, qui permet, en annihilant l'effet des couleurs sur la rétine, d'obtenir une lecture précise des valeurs et des lignes.
La lumière monochromatique supprime l'effet des vernis teintés et permet la lecture d'inscriptions ou de signatures jusqu'ici indéchiffrables. Le dessin préparatoire peut aussi être perceptible, à condition, toutefois, qu'il ne soit pas recouvert par des glacis trop épais.
Les effets obtenus sont moins riches d'enseignements que ceux qui sont fournis par les radiations infrarouges, mais ils ont le mérite d'être perceptibles lors d'un examen visuel de l'œuvre peinte.
Les radiations infrarouges
La photographie de l'invisible est devenue possible depuis la découverte de ces radiations, dont l'œil humain est incapable de percevoir les effets sans le secours d'une plaque photographique. Ces radiations, dont la gamme s'étend de la lumière aux ondes hertziennes, permettent de découvrir un état de l'œuvre d'art jusqu'ici imperceptible, absorbant ou réfléchissant la matière colorée qui constitue le tableau.
L'image photographique sous infrarouges nous livre parfois une inscription effacée volontairement ou non, un dessin invisible, une étape inachevée de l'œuvre d'art. Les résultats obtenus par cette technique photographique sont imprévisibles, et l'interprétation de l'image est souvent complexe et difficile. Cependant, la lecture des inscriptions effacées situées parfois au revers des tableaux est presque toujours rendue possible par ce procédé, qui facilite aussi la détermination de la nature des pigments, en complétant les observations faites au microscope ou par des analyses physico-chimiques.
La fluorescence en ultraviolet
Connues sous le nom de " lumière de Wood ", ces radiations se situent immédiatement avant la lumière visible, à des longueurs d'onde plus faibles. Un grand nombre de substances entrant dans la composition des peintures ont la propriété d'émettre une luminescence qui leur est propre lorsqu'elles sont excitées par ces radiations, dont il est possible de photographier les effets. Le phénomène de fluorescence non seulement est fonction de la composition chimique des colorants, mais également dépend du vieillisement de ceux-ci, qui peut avoir donné lieu à une différence d'état colloïdal. Les applications des propriétés des rayons ultraviolets dans l'étude des peintures offrent plus d'intérêt pour la détermination de l'état de conservation de celles-ci que pour l'histoire de l'art proprement dit. Les vernis anciens présentent sous les radiations une surface laiteuse, sur laquelle les repeints postérieurs au vernis apparaissent sous forme de taches plus ou moins sombres. L'interprétation des images obtenues n'est pas aisée et demande le plus souvent à être complétée par un examen microscopique de surface, qui viendra confirmer ou infirmer l'hypothèse d'un repeint ou d'un arrachement de vernis, les réactions de ces accidents de surface étant souvent très difficiles à préciser sur l'image photographique obtenue. Cependant, ce type de document est un auxiliaire indispensable du restaurateur, permettant à ce dernier de mesurer l'ampleur des restaurations antérieures.
Les macro- et microphotographies
Ce sont des techniques photographiques fréquemment utilisées au cours de l'investigation conduite sur les œuvres peintes.
La macrophotographie est l'agrandissement d'une image perceptible obtenu au moyen d'un appareil photographique (le grossissement n'excède que rarement dix fois) à long tirage équipé d'un objectif de courte distance focale. Elle peut s'effectuer en lumière naturelle, mais également sous des éclairages variés, tels que ceux qui sont obtenus par la lumière blanche, le sodium, les ultra-violets, la lumière tangentielle. Elle a le mérite d'isoler certaines parties de l'œuvre peinte de leur contexte et d'attirer sur des détails l'intérêt réparti sur un ensemble.
La microphotographie est un document obtenu à l'aide du microscope ; c'est un témoin permanent d'un état très limité de la surface, imperceptible à l'œil, qui ne doit être obtenu qu'après un examen conduit par un observateur averti. Elle permet de noter l'état des vernis, les caractéristiques des craquelures et des pigments, que la structure physique aide parfois à déterminer. La microphotographie des coupes de peintures permet l'interprétation de microprélèvements, dont les dimensions n'excèdent pas quelques dizaines de microns carrés.
Les microcoupes
La technique d'inclusion est analogue à celle qui est utilisée en médecine pour les coupes histologiques. La résine destinée à l'enrobage de l'échantillon est du type polyester. Le monomère est polymérisé à la température ambiante après addition d'une faible quantité de catalyseur et d'accélérateur.
On obtient un bloc dur et transparent d'aspect analogue à celui du verre. Ce bloc est taillé de façon à obtenir une coupe de l'échantillon dans un plan perpendiculaire à celui des couches successives de peinture ; la section plane est ensuite polie en utilisant de l'alumine en suspension aqueuse comme abrasif. La fabrication des coupes transversales de peintre a été mentionnée dans divers travaux depuis une soixante d'années.
La microsonde électronique de Castaing
Elle est employée comme la solution de nombreux problèmes d'analyse. On conçoit que cette méthode, qui satisfait au critère dimensionnel (le micron) et permet l'analyse ponctuelle par balayage, puisse être particulièrement adaptée à l'étude des coupes de peinture — surfaces polies ou lames minces — où, in situ et de manière non destructive, le pinceau électronique pourra explorer les couches dont l'épaisseur est de quelques dizaines de microns, dont la composition est différente et dont les éléments sont pratiquement indissociables mécaniquement. A l'intérieur de chaque couche, la microsonde permet d'identifier les éléments entrant dans la composition de chaque prélèvement de matière, opérant avec un pouvoir séparateur inhérent à la méthode, infiniment supérieur à celui du meilleur instrument d'optique.
Les rayons X, ou rayons de Röntgen
Ils furent découverts par Röntgen en 1895 ; quelques années plus tard, à Munich, l'inventeur tentait la radiographie d'un tableau, mais ce n'est que pendant la Première Guerre mondiale, en 1915, que des essais furent tentés en France par le docteur Ledoux-Lebart, assisté de Goulinat. Les travaux furent repris au Louvre en 1919 par le docteur Cheron. L'examen systématique ne fut entrepris dans les musées que quelques années plus tard : au Louvre en 1924 par Cellerier et Goulinat, au Fogg Art Museum, par A. Burroughs, en Allemagne par Christian Wolters et au Portugal par L. R. Santos, pour ne citer que les premiers chercheurs dans cette discipline.
Depuis 1946, la radiographie est la méthode d'analyse la plus employée dans les instituts nationaux de restauration et les laboratoires de recherche des grands musées, tant en France qu'à l'étranger.
Les rayons X servant à l'exploration des peintures sont des rayons mous, utilisés sous des tensions de 20 à 60 kV. Les générateurs sont le plus souvent des tubes à anticathode de tungstène du type des appareils médicaux. Il existe également des appareils émettant des rayonnements très mous, par des tubes à fenêtre de bérylium et à refroidissement à eau. Les films utilisés sont des films industriels inclus dans des pochettes de papier noir, qui peuvent sans risque être en contact direct avec le tableau. La netteté de l'image obtenue est pour une part fonction de l'adhérence du film à la surface peinte. Les images radiographiques restituent un aspect invisible de l'œuvre d'art, qui sera fonction du poids atomique des éléments constituant le tableau. Si le support est épais et si l'enduit est d'une forte densité, la structure interne de la peinture risque d'être peu lisible ; mais, si la toile et l'enduit sont traversés aisément par ces radiations, les couleurs utilisées pour l'esquisse, souvent à base de blanc de plomb, sont mises en évidence : c'est alors que l'image obtenue ressuscite un état souvent invisible de l'œuvre d'art, une étape de la création jusqu'ici imperceptible. Ce n'est pas toujours le premier stade de la création qui apparaît sur l'image obtenue par ces radiations. C'est ainsi que le film radiographique du tableau de Le Sueur les Muses met en évidence le mélange parfois combiné du premier et du second état. Nous voyons la figure de profil et la figure de face en même temps. Il ne s'agit donc pas d'une image sélective permettant de reconstituer parfaitement une période de l'œuvre peintre. C'est à l'observateur qu'il appartient de faire la sélection. Si, au contraire, le tableau a été peint légèrement avec des couleurs claires, nous ne verrons pas cette première esquisse de poids atomique faible, qui, cependant, existe.
Lorsqu'un tableau est soumis à une étude aux rayons X, ce peut être soit dans le dessein d'établir un diagnostic sur l'état du tableau en prévision d'une restauration, soit pour des fins intéressant l'histoire de l'art. C'est à la détermination et au contrôle de l'état du support que l'on peut attendre de la radiographie des tableaux les résultats les plus précis.
Le support
On appelle " support " l'élément de bois, de toile ou de cuivre qui soutient la couche picturale. Lorsqu'il s'agit d'étudier un tableau peint sur cuivre, ce qui est rare, il est évident que la radiographie ne peut être d'aucune aide, puisque les rayons X émis par les appareils utilisés dans l'étude de la peinture sont incapables de traverser le métal. D'autre part, si l'on utilisait des rayons plus pénétrants, ceux-ci ne nous donneraient aucun renseignement sur la couche picturale elle-même. Seule une étude de surface à l'aide des rayons infrarouges ou ultraviolets peut apporter quelques lumières dans l'étude des tableaux peints sur métal.
Lorsqu'il s'agit d'étudier des tableaux peints sur bois (c'est le cas dans la majorité des tableaux exécutés avant le xviie s.), il est précieux de pouvoir étudier le comportement et la structure du panneau, dont l'examen à l'œil est souvent difficile. Le support de bois est recouvert sur sa face principale par la peinture du tableau et bien souvent sur l'autre face par un enduit posé par les peintres eux-mêmes afin d'éviter les variations hygrométriques trop brusques du support, qui est un enduit recouvert de couleurs unies ou quelquefois marbrées. Lorsque les couches d'enduit et de peinture sont perméables aux rayons X, il est possible d'obtenir une radiographie du panneau. Fréquemment, le support original du tableau étudié a subi des altérations — maladies dues aux parasites du bois, jeu des planches —, qui ont nécessité la présence d'un renfort, d'un soutien, que l'on appelle d'un terme générique le " parquetage ", formé par un jeu de traverses verticales et horizontales posées sur le panneau, aminci ou doublé d'une semelle. Il est difficile alors d'étudier le support original, puisqu'il n'est visible que sur quelques millimètres de tranche. Les rayons X, en nous révélant la structure même du panneau original, peuvent permettre d'identifier l'essence du bois utilisé ; celle-ci variant suivant l'origine géographique du tableau, il y a là un élément à considérer dans l'établissement du diagnostic de l'œuvre.
Lorsque le tableau est peint sur un panneau épais, généralement de bois tendre, il arrive fréquemment qu'il soit attaqué par des parasites du bois (vrillettes, lyctus, termites). Ces insectes d'espèces variées forment des galeries, qui sont mises en évidence par la radiographie. Il est indispensable de connaître l'état réel d'un support. La radiographie peut y contribuer ; elle permet de suivre l'effet des traitements effectués sur les panneaux et révèle aussi les procédés techniques en usage chez les primitifs. C'est ainsi qu'il est fréquent de voir apparaître sur le film radiographique des bandes de grosses toiles noyées dans la préparation afin d'éviter que les joints des planches n'apparaissent sur la couche picturale elle-même. La filasse mélangée au mortier est utilisée dans de nombreux tableaux du xive s. ; on noie la mousseline dans la préparation pour la rendre plus adhérente également.
À partir du xviie s. et au xviiie s., les tableaux, dans leur majeure partie, furent peints sur toile et ont été rentoilés depuis, c'est-à-dire doublés par une toile de renfort ; cette toile, généralement moderne (elle remonte à la fin du xviiie s. ou au xixe s.), ne permet plus de voir le support sur lequel le tableau fut peint.
Aux rayons X, la toile de rentoilage posée à l'arrière, n'ayant pas été imprégée par les blancs utilisés lors de la préparation, ne présente pas une densité suffisante pour gêner la vision de la toile originale.
Les caractéristiques des toiles sont fonction des régions géographiques et de l'époque où l'œuvre fut exécutée. C'est ainsi que les toiles vénitiennes sont souvent damassées ou travaillées en chevrons, que Rembrandt utilisait des toiles simples ou, exceptionnellement, des tissus dits " en arête de poisson ". Il est possible, grâce à l'image radiographique, d'en déterminer toutes les caractéristiques.
Les rayons X révèlent non seulement l'aspect des toiles mais aussi leurs agrandissements, les découpages qu'elles ont subis. L'image radiographique permet de mesurer l'importance des transformations : bandes ajoutées, tableaux découpés.
La couche picturale
L'étude radiographique de la couche picturale permet de résoudre d'autres problèmes de conservation. Les repeints dépassent souvent très largement la plage à restaurer. C'est ainsi que, pour masquer un manque de peinture originale de quelques millimètres carrés, il est fréquent de déceler des repeints de plusieurs centimètres. En comparant l'état de surface, c'est-à-dire le document obtenu grâce aux rayons ultraviolets montrant la dimension de la plage formée par les repeints superficiels, et la radiographie sur laquelle apparaît le manque de peinture, il est possible de déterminer si le repeint recouvre exactement les parties manquantes. Il est à noter que, sur le film radiographique, les manques de peinture peuvent apparaître tantôt en noir, tantôt en blanc. En effet, si ceux-ci ont été simplement recouverts d'une couleur de faible densité, ils apparaîtront en sombre, laissant nettement percevoir la trame de la toile ou le support de bois. Par contre, lorsque le manque de peinture est bouché par un mastic (d'un poids atomique élevé), celui-ci ne laisse pas passer les rayons et forme une plage blanche qui en délimite exactement l'ampleur. Les usures se manifestent également sous l'aspect de plages, où la toile apparaît avec une intensité exceptionnelle par rapport au reste de l'image.
Si nous avons insisté sur l'importance que présente la radiographie lors du contrôle de l'état de conservation du tableau, il est nécessaire de souligner également son intérêt dans l'étude des éléments essentiels du tableau, en fonction de l'histoire de l'art et des techniques. Pour que la peinture soit rendue visible, il faut que la préparation qui se trouve entre le support et la couche picturale elle-même soit perméable aux rayons X. Dans la majorité des cas, les supports se laissent pénétrer, qu'ils soient de bois ou de toile, à l'exception de ceux qui sont recouverts d'un revêtement au verso.
Le blanc, qui entre pour une large part dans la palette des peintres, est constitué le plus souvent par des sels de métaux lourds. le blanc de plomb (appelé aussi " blanc d'argent "), qui fut utilisé par les Anciens, offre aux rayons X une barrière. Les noirs, par contre, sont d'un poids atomique très léger. Entre ces deux extrêmes se situent des couleurs dont le degré d'absorption est variable et qui nous restituent de ce fait des images nuancées sur le film radiographique.
Lorsque l'esquisse est exécutée avec un camaïeu à base de blancs plus ou moins colorés avec des terres, ce qui est assez fréquent, il est possible d'obtenir des documents radiographiques intéressants. Les blancs, arrêtant les rayons X, nous montrent une image très différente de l'œuvre terminée avec des glacis de faible densité. Nous avons de l'esquisse du tableau une image précise et intéressante. La radiographie révèle l'écriture première du peintre ainsi que la touche de son pinceau : nous pouvons suivre ainsi l'évolution de sa technique.
Lorsque l'esquisse est exécutée avec des couleurs de faible densité, elle est imperceptible ; seule la construction générale de l'œuvre apparaît. Parfois, l'image, lorsqu'elle est visible, est assez peu contrastée, le tableau étant construit avec des glacis de faible densité : c'est le cas de certains tableaux de Léonard de Vinci.
De très nombreux maîtres ont utilisé une technique qui se situe entre ces extrêmes. Lorsqu'il apparaît que le peintre a transformé l'œuvre étudiée, qu'il en a repris certaines parties pour leur donner, une fois terminées, une forme toute différente de celle qui a été initialement révélée par les rayons X, il y a repentir. Les repentirs sont de types très divers. Certains ne sont que de simples reprises destinées à préciser une ligne, ce qui est le cas le plus fréquent. Les peinture du xiiie au xvie s. ont généralement exécuté leurs œuvres après avoir étudié d'une manière particulièrement précise le dessin : c'est pourquoi il y a peu de variantes entre l'esquisse et le tableau achevé. D'autre part, ces peintres ont travaillé avec des couleurs d'assez faible densité : les radiographies sont le plus souvent faiblement contrastées.
C'est à l'étude du style, de l'écriture d'un peintre que les rayons X sont appelés à rendre le plus de services. Si l'ensemble des images radiographiques obtenues d'après les tableaux d'un même artiste révèle une constance dans l'emploi de certains pigments, dans l'utilisation des brosses, dans la forme de la touche, il sera possible, après une étude conduite sur l'ensemble de l'œuvre, de rectifier bien des attributions erronées, d'améliorer le classement chronologique et de découvrir les faux.
Nous n'entendons par tableau faux que le tableau fait par le peintre avec le désir de tromper. Le faux ne doit pas être confondu avec la copie ou la réplique ancienne, pour lesquelles ne peuvent exister que des problèmes d'attribution. Mais les éléments de falsification que le tableau porte en lui-même, fausses craquelures, fausses signatures, peuvent être découverts par l'examen radiographique, le copiste, le faussaire ne s'étant attaché à reproduire que l'aspect superficiel des œuvres du maître qu'il imite. En utilisant la méthode comparative et à condition de posséder un grand nombre de documents obtenus d'après des tableaux incontestables, on pourra conduire une étude valable à condition, toutefois, de ne pas oublier que l'image radiographique est une image sélective indépendante de la volonté de l'observateur, fournie par les rayons X en fonction de leurs capacités d'absorption.
Analyse microchimique et physico-chimique
Aux techniques évoquées dans les lignes précédentes et quotidiennement utilisées dans les laboratoires de musée, parce qu'elles ont le mérite d'être non destructives, il faut adjoindre les méthodes microchimiques, qui permettent d'identifier les composants de la peinture à partir d'un microprélèvement.
On sait que la peinture est essentiellement constituée par la dispersion d'un pigment au sein d'un liant, ou véhicule. Les méthodes d'analyse portent sur divers pigments, qui peuvent être minéraux ou organiques. L'analyse ressortit à la microchimique classique lorsqu'il s'agit de substances minérales. Elle utilise par ailleurs la spectrographie infrarouge et la chromatographie en couche mince ou en phase gazeuse pour l'identification de certains pigments organiques.
L'identification des liants procède de méthodes analogues. La spectrographie infrarouge est mise à contribution pour l'analyse des résines naturelles (liants oléo-résineux ou vernis anciens), tandis que la chromatographie en couche, mince est employée pour distinguer les véhicules aqueux (gomme, colle, caséine). La chromatographie en phase gazeuse devrait intervenir également dans la séparation des constituants des différents acides gras (huile ou œuf).
Parmi les techniques en usage dans les laboratoires de musée, il faut citer la diffraction et la fluorescence X, qui permettent d'obtenir des renseignements plus précis que par les méthodes précédentes quant à la nature et à la structure des différents constituants minéraux des peintures de chevalet et des peintures murales.
La fluorescence de rayons X est une technique physique fondée sur l'étude du spectre d'émission dans le domaine des rayons X. Les sources d'excitation sont soit un flux d'électrons, soit une source radioactive, soit un tube de rayons X.
La spectrométrie des rayons X est une technique d'observation utilisée depuis longtemps tant sur le plan physique sur sur le plan chimique. Mais les appareils couramment utilisés jusqu'à présent n'étaient pas conçus pour effectuer l'analyse, directe des objets volumineux ou de très petite dimension. De surcroît, la plupart d'entre eux avaient une très mauvaise sensibilité pour des éléments tels que le cuivre, le zinc, le nickel et le fer en raison du " bruit de fond " émis par l'appareillage lui-même.
La microfluorescence X de rayons X, mise au point au Laboratoire de recherche des musées de France, a été conçue en fonction des caractéristiques propres aux recherches muséologiques. Ses performances se situent entre celles de la microsonde électronique et celles du septromètre classique de fluorescence X. Son intérêt réside dans le fait qu'elle permet d'opérer directement sur une peinture. D'autre part, cette microfluorescence est non destructive. L'échantillon peut être récupéré après l'analyse et son étude poursuivie par d'autres procédés. Enfin, elle ne nécessite aucune préparation de l'échantillon ; elle est extrêmement fiable, très sensible, et son fonctionnement est relativement simple. À ces méthodes désormais classiques, il faut adjoindre la microsonde moléculaire — dite Mole — qui permet d'identifier les liants et les pigments à partir du spectre de diffusion Raman. " L'analyse par activation " en bombardant les éléments naturels avec des neutrons, des protons ou des ions d'énergie suffisante, on produit des radios-isotopes artificiels ; ces derniers émettent des rayonnements et des particules et se désintègrent en d'autres noyaux radioactifs ou stables. La période de la décroissance radioactive et les énergies du rayonnement d'un radio-isotope donné sont connues et permettent l'identification et la mesure quantitative de l'élément à partir duquel il est formé.
Depuis 1989, une nouvelle méthode, " PIXE PIGME ", émission de rayons X induits par protons, permet d'effectuer des analyses ponctuelles et non destructives sur les peintures, lié à un système informatique basé sur BUS.VME. Cet équipement, d'une grande sensibilité spectrale et d'une dimension et d'un coût qui en limitent l'usage, est en fait " un accélérateur de particules ".
L'exploitation de ces méthodes nécessite un équipement et un personnel très spécialisé. Il n'existe que quelques musées dans le monde et que quelques services nationaux susceptibles de promouvoir des recherches de ce type ; il est certain, que, dans les années à venir, les critères traditionnels d'examen de peintures seront transformés par la recherche scientifique, qui doit conduire vers une connaissance plus profonde de la peinture et de son comportement dans le milieu ambiant.
Intérêt de ces méthodes
Conservation et restauration
L'analyse des matériaux constituant les peintures, la connaissance des lois qui régissent les interréactions des dits matériaux entre eux, d'une part, et avec le milieu ambiant, d'autre part, doivent améliorer la conservation des peintures ; les méthodes scientifiques permettent de mesurer, d'analyser les incidences de l'environnement — lumière et climat — sur leur conservation.
Le niveau d'éclairement autant que les caractéristiques des sources utilisées ont une influence sur le comportement des peintures. Le laboratoire dispose de matériel de mesure qui doit permettre d'élaborer les recommandations à l'usage de ceux qui sont responsables de la conservation des peintures. Certains organismes nationaux (l'A.F.N.O.R.) ou internationaux (l'I.C.O.M.) sont habilités à diffuser les travaux conduits par les chercheurs ; dans cette perspective, la stabilité du climat dans lequel sont conservées les peintures est un des éléments sur lequel les spécialistes de la muséologie insistent particulièrement. Les études conduites actuellement tendent à démontrer le rôle primordial que joue le taux d'humidité relative de l'atmosphère dans laquelle les tableaux sont exposés. Les variations brutales de la température entraînant des variations du taux d'humidité sont considérées comme néfastes. Le chauffage central, dont la propension à dessécher l'atmosphère est certaine, est l'un des principaux facteurs de destruction.
L'étude de la pollution de l'atmosphère et ses incidences sur la conservation des peintures font également l'objet de recherches en France et à l'étranger. Mais c'est à l'examen scientifique des œuvres peintes elles-mêmes que doivent s'attacher les laboratoires de musée. Il est possible de détecter par les méthodes énumérées ci-dessus les altérations profondes du support, les soulèvements de la couche picturale, les interréactions des colorants et des liants pour y remédier. La restauration des peintures peut être guidée par une étude préalable conduite en laboratoire, qui permet de mesurer exactement l'ampleur des altérations et des restaurations effectuées antérieurement.
Expertise
L'expert, si compétent qu'il soit, est, comme le médecin, redevable à l'investigation scientifique de données qui excèdent celles que nous fournit notre vision ; grâce aux microscopes, il est possible de discerner les craquelures obtenues artificiellement, de distinguer les pigments anciens de ceux de fabrication moderne, de découvrir enfin le rythme intérieur de l'œuvre, les rayons X et infrarouges mettant en évidence un état jusqu'ici invisible, état que le copiste ou le faussaire ne pouvait ni concevoir ni reproduire.
Datation
La datation des éléments constituant la matière picturale est à l'étude dans plusieurs laboratoires aux États-Unis, en France et en Allemagne. Il faut retenir quatre méthodes, qui sont encore au stade de la recherche expérimentale. Des travaux récemment entrepris par le Mellon Institute aux États-Unis permettent d'appliquer la méthode de datation par le carbone 14 à l'identification des faux récents (moins de cent ans). En effet, depuis le début du xxe s., les teneurs en C 14 de la biosphère ont changé, et la concentration en C 14 a doublé de 1900 à nos jours. La distinction entre une huile moderne et une huile ancienne pourrait ainsi être effectuée sur des échantillons relativement faibles (30 mg) en utilisant des compteurs miniaturisés.
Un des pigments les plus utilisés est le blanc de plomb. La mesure des rapports isotopiques du plomb contenu dans les pigments peut donc se révéler très précieuse et permettre de répondre aux questions tendant à préciser où et quand a été faite une peinture.
Deux autres méthodes de datation sont encore du domaine expérimental : il s'agit du dosage par activation de neutrons, des impuretés contenues dans les blancs de plomb et de la radioactivité naturelle du plomb.
Mais c'est à la connaissance profonde de l'œuvre peinte que les méthodes scientifiques apportent la plus importante contribution. Les étapes de la création artistique sont mises en évidence par des procédés physiques et optiques, qui restituent également les caractéristiques de la technique du peintre : le broyage du pigment, l'analyse de la préparation, la largeur de la brosse, la disposition des lumières sont autant de révélations pour l'historien d'art.
Ces méthodes scientifiques sont appelées à transformer les méthodes traditionnelles de l'histoire et de la conservation des œuvres d'art.