imagerie en Europe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

On donne le nom d'" imagerie " à des feuilles volantes, imprimées d'un seul côté et illustrées d'une gravure souvent accompagnée d'un texte et peinte de couleurs vives. L'imagerie est presque toujours qualifiée de " populaire ", non pas tant parce qu'elle serait un art " fait par le peuple, pour le peuple ", mais plutôt en tant qu'objet, support de valeurs-souches, visuelles lorsqu'elles reproduisent les peintures et les sculptures des églises, les tableaux des grands peintres, et littéraires lorsqu'elles véhiculent une culture acquise par le biais du livre de colportage. Subissant les influences d'un art raffiné qui ne pouvait rester longtemps ignoré du grand public et s'en inspirant, elle a tendance à conserver un mode de reproduction traditionnel d'un usage éprouvé. Elle s'adapte sans brutalité aux exigences d'un renouvellement amené par des circonstances extérieures ; son graphisme et sa symbolique sont en harmonie avec les pays où elle apparaît et avec les coutumes de leurs habitants. L'image populaire est exécutée par des graveurs souvent anonymes selon les techniques de la gravure sur bois et sur cuivre, de la lithographie, ainsi que, plus près de nous, de la chromolithographie et du report photolithographique.

Son prix est suffisamment bas pour que tous puissent se procurer l'" image à un sou ". Sa production atteint un chiffre considérable, et sa diffusion est rapide. C'est un produit de grande consommation et il en a les défauts : qualité médiocre du papier, emploi des bois et des cuivres à des fins diverses et jusqu'à leur usure complète, couleurs appliquées sans grand souci de précision en larges touches au pochoir, au pinceau, avec des superpositions pour varier les tons. La vente des images populaires est faite par des colporteurs qui, par exemple, accrochent celles-ci sur des bâtons par des liens de cuir ou les empilent, comme dans les Pays-Bas, dans des hottes ; en Italie, les colporteurs sont suivis d'un âne ; en Allemagne, ils se groupent à plusieurs. En 1782, certains d'entre eux sont appelés tesini ; originaires de la vallée du Tessin, ils partaient parfois pour quatre ans vers la Russie d'Asie, vers l'Afrique. Les images sont vendues dans les couvents, sur les lieux de pèlerinage, dans les foires où l'on crie les titres et où l'on chante les complaintes. On en trouve en ville dans les petites boutiques groupées autour de la cathédrale Saint-Donat à Bruges, à la porte de Kiev à Moscou, au Palais de justice à Paris et, en grandes quantités, dans les rues où se groupent les fabricants et les marchands, rue Montorgueil ou rue Saint-Jacques à Paris. Il devient facile de changer une feuille pour une autre aux coloris plus frais, au sujet traité selon la mode du jour, lors de la fête votive d'un saint patron, au retour d'un pèlerinage ou pour demander une protection spéciale contre un danger connu.

L'image répond aux besoins profonds de l'homme ; elle a valeur de talisman et la magie de l'imprimé. Elle donne l'assurance d'une protection divine, le réconfort d'une présence spirituelle, le rêve des univers lointains ou imaginaires. Accrochée au mur, elle l'éclaire de ses vives couleurs ; sur le manteau de la cheminée, elle sert de support à la prière ; collée sous le battant d'un coffre, derrière la porte d'une armoire, sur la porte des étables, elle protège les biens, elle écarte les maléfices. Feuille de souhait du jour de l'an, elle jalonne les jours fastes, elle donne une réalité aux événements historiques, aux princes qui les dirigent ; elle actualise les catastrophes, les faisant plus proches, plus terrifiantes. Elle confère à la vie quotidienne, en la peignant sous de séduisantes couleurs, une dignité qui la rend supportable. Elle dénonce avec humour et souvent avec férocité les injustices et les vices de ceux qui les subissent et qui en souffrent. L'imagerie, surtout lorsqu'elle traite de sujets profanes, est une littérature murale. Elle est faite pour être lue par les yeux, le texte, aide-mémoire de ceux qui savent lire, n'étant imprimé que pour renforcer l'impression ressentie à la vue de l'image.

Les manifestations de l'art de l'image sont apparues presque simultanément dans la plupart des pays d'Occident. Partout où existe le papier, l'image se manifeste. Chaque pays a la sienne, qui, des origines à 1900, reprend les mêmes thèmes, en variant les détails de costumes et de décors. Les images voyagent, leurs graveurs aussi ; il se crée un ensemble de courants et d'influences dont seuls les effets sont connus, les mobiles et les conditions étant parfois difficilement perceptibles. Ces courants sont très sensibles dans les pays où l'imagerie a connu un succès important et durable. L'équilibre s'y fait constamment entre les thèmes et les modes d'expression intemporels et universels. Ce mélange très complexe varie selon les pays et les périodes.

Allemagne

Les pays de l'Europe occidentale de langue germanique ont, au xve s., une place essentielle dans l'histoire de l'imagerie en Europe. Le perfectionnement des techniques graphiques favorise ce moyen d'expression populaire et son expansion dans les pays environnants. Nuremberg, Augsbourg, Mayence sont des centres où les images sont fabriquées en quantité si considérable que l'on ne peut en comparer l'importance qu'à celle, actuelle, des mass media. Le premier moulin à papier est mis en service à Nuremberg en 1390 ; il y a des " peintres d'images et de cartes " à Ulm en 1420, à Augsbourg en 1428. Plus de la moitié des images conservées sont des images religieuses. L'Ecce homo de la messe du pape Grégoire, la plus ancienne image sans doute, daterait de 1400, et un Saint Christophe de la chartreuse de Buxheim, conservé à Manchester, de 1423. Des scènes de la vie du Christ, de la Passion, de la vie de la Vierge, des Vierges de majesté, des Vierges à l'Enfant, les saintes honorées dans les lieux de pèlerinage, Saint Landolin en Brisgau, Sainte Madeleine sont représentés pendant la seconde moitié du xve s. On peut considérer aussi comme des images religieuses les souhaits de nouvel an : Enfant Jésus à la hotte pour 1475, Ein seligs News Jaer avec interprétation du Notre Père de 1479 par Hans Paur et des Speculum humanae salvationis représentant une main ouverte. On imprime aussi des feuilles d'indulgences, où le texte occupe une plus grande place que la gravure ; elles accompagnent les reliques et sont vendues par les confréries pour la bonne et la mauvaise prière contre le blasphème, pour obtenir la bonne mort et pour la rémission des péchés. C'est contre l'excès de cette vente d'indulgences que Luther part en guerre.

La Réforme engendre une littérature nouvelle et un nouveau style d'images. La représentation de la Vierge et des saints disparaît en grande partie. Elle est remplacée par celle de sujets figurant les affrontements idéologiques, les péripéties politiques, les satires sociales. Les controverses confessionnelles utilisent les thèmes universels du Monde à l'envers ou du Mât de cocagne ; elles inventent d'autres thèmes : pape et moines déguisés en loups, agneaux protestants et Luther en prière, trafic des indulgences, révolte des paysans. La lutte s'est engagée à Nuremberg dès 1523, animée par le poète-cordonnier Hans Sachs, et c'est dans cette ville que se fait une grande partie de l'impression des images polémiques. En 1570, on y compte 10 imprimeurs, 5 tailleurs d'images, 17 graveurs en lettres. Augsbourg, Strasbourg, Mulhausen-en-Thuringe sont également des centres d'impression fort importants. Les feuilles sont de grand format avec un titre, une gravure sur bois et un texte sur plusieurs colonnes.

Au xvie s., l'imagerie traduit les terreurs du peuple allemand. Elle semble annoncer la fin du monde : figuration du diable, apparition de signes dans le ciel et de prodiges, naissances d'êtres difformes, sorcellerie, procès de sorcières brûlées dans le Har en 1555, loups attaquant un village (1556), guerres contre des ennemis cruels, supplices et répressions sanglantes. La restauration du culte catholique après le concile de Trente, malgré les bouleversements de la guerre de Trente Ans, ramène le calme ainsi qu'une certaine stagnation politique et confessionnelle qui favorise les influences religieuses d'Anvers et artistiques de la France. L'épanouissement de l'art baroque transforme l'imagerie allemande et lui confère une originalité qu'elle conservera jusqu'à la fin du xviiie s. L'emploi massif de la gravure sur cuivre, surtout à Nuremberg, et les conditions commerciales de production changent le goût du public, charmé par le renouveau des thèmes et des moyens techniques employés pour exprimer ceux-ci. Paulus Fürst (1605-1666) est alors le plus grand marchand et le meilleur éditeur de feuilles volantes. Son catalogue, qui nous est parvenu incomplet, comporte 369 numéros, dont 90 sont à sujets religieux ; y figurent aussi en bonne place des allégories et des proverbes : les Âges de la vie, le Degré des âges. En 1639, Fürst a un dépôt permanent à la foire de Leipzig ; en 1654, il se rend aux foires de Francfort, de Vienne, de Linz, de Graz. Christophe Weigel (1654-1725), lui aussi de Nuremberg, publie des séries historiques, des costumes, des images de dévotion.

Dans le même temps, la gravure sur bois traditionnelle se maintient à Augsbourg, où, en 1648, on recense 37 tailleurs d'images et graveurs de lettres ainsi que 3 imprimeurs : ce sont Abraham Bach et son fils († 1702), à qui l'on doit de nombreuses allégories, comme le Degré des âges, des images de piété et qui vend aussi des images de dévotion importées d'Anvers par les Jésuites, et Matthaüs Schmid et Johann-Philipp Steuder (1650-1732), qui n'éditent guère que des sujets religieux, inspirés des modèles du xvie s. Leurs bois gravés sont archaïsants et de tons vifs et harmonieux. Les tailles-douces coloriées charment les acheteurs aisés des grandes villes ; certaines de ces feuilles, collées et entrelacées à des motifs peints, ornent des coffres dits " de cavaliers " et des lits. Martin Engelbrecht est le plus connu en France, car, s'il importe en Allemagne des tailles-douces de la rue Saint-Jacques et des vues d'optique, il exporte ses propres images, qui représentent des paysans, des citadins en costumes régionaux allemands avec des légendes en français.

Dans des villes sans tradition d'impression populaire, on voit s'ouvrir également des ateliers d'où sortent des feuilles curieuses, d'une facture simple et d'une exécution malhabile, qui sont illustrées de copies de bois ou de cuivre, parfois même de copies empruntées à d'autres copies. Ces ateliers sont exploités petitement par d'anciens coloristes au pochoir ou par des graveurs de lettres que la mode du cuivre colorié au pinceau a laissés sans travail.

Cette époque est dominée par Albrecht Schmid (1667-1744), qui édite à Augsbourg un nombre considérable d'images, d'une fort belle facture. Il se sert indifféremment des cuivres et des bois ; une suite de bois représentant des ogres, des personnages de bouffons est remarquable. Les séries religieuses à bordure fleurie, destinées aux intérieurs campagnards, sont plaisantes.

Il y a cassure nette dans les dernières années du xviiie s. Le changement de style, amené par les changements politiques et économiques, est le fait de la Révolution française et des campagnes napoléoniennes. L'esprit qui anime la production de l'imagerie populaire est conditionné par la représentation militaire et par l'offre énorme de livres de bas niveau d'origine littéraire, qui ont besoin d'être soutenus par une illustration dont on se sert également pour composer des images. De nouveaux lieux de production apparaissent. Certes, Nuremberg est toujours un grand centre, avec Campe, qui, en 1825, édite un catalogue de 1 115 numéros de gravures sur demi-feuille, eaux-fortes coloriées à la main. C'est une imagerie faite pour les enfants que vend Endter à la foire aux jouets de Nuremberg. À Vienne, Hieronymus Löschenkohl copie les modèles en bois d'Augsbourg en les transposant sur cuivre, et la lithographie est utilisée dès 1819 par Matthias Trentsensky pour des images enfantines d'excellente qualité. L'imagerie allemande du xixe s., après avoir offert des bergeries, les cris de la rue, des militaires et des vues de bataille, se tourne résolument vers l'imagerie enfantine. La firme installée à Neuruppin par Johann Bernhard Kühn en deviendra le principal centre de 1775 à la Première Guerre mondiale. Tous les sujets, toutes les formes, toutes les techniques sont employés sans autre but que celui de vendre le plus possible. Cet objectif commercial va animer l'ensemble de l'imagerie allemande de la fin du xixe s. et du début du xxe. Seul Trentsensky, à Vienne, reste fidèle à la lithographie ; on lui doit des jeux et des théâtres de papier pour la jeunesse de fort bonne qualité. À cette imagerie enfantine se joignent une imagerie d'ornementation des salons, imprimée en chromolithographie, et une imagerie occasionnelle d'information, qui imite, comme elle le peut, les journaux et qui est illustrée de gravure sur bois debout. Caspar Braun (1807-1877), Friedrich Schneider (1815-1864) et leurs successeurs éditent à Munich de 1849 à 1898 50 volumes annuels, les Müncher Bilderbogen, contenant 1 200 feuilles en noir et en couleur, qui sont des histoires sérieuses ou amusantes avec plusieurs rangées d'illustrations dessinées par des artistes connus. J. F. Richter fait paraître les Hamburger Bilderbogen (1866-1870), et Gustav Weise les Deutsche Bilderbogen pendant les mêmes années. À Francfort et à Dresde, des sociétés industrielles financent des imprimeries en couleur où triomphera après 1880 la chromolithographie. Ces Bilderbogen vont disparaître pendant la Première Guerre mondiale avec les images de batailles et de militaires du Neue Bilderbogen, qui sont éditées à Vienne par A. Berger, et des images de Robrahn, éditées à Magdebourg.

Pays-Bas

L'image représentant la Vierge, entourée des saintes Catherine, Barbe, Dorothée et Marguerite, découverte à Malines, collée dans un coffre, date-t-elle de 1418 ? Ce point a soulevé bien des controverses. Il est certain que l'on trouve aux Pays-Bas plusieurs centaines d'images imprimées av. 1500. Celles-ci ont, pour la plupart, un caractère religieux. Certaines d'entre elles portent le nom des couvents qui les éditaient et où, peut-être, on les gravait. On doit aux carmélites déchaussées de Liège, réfugiées au couvent de Notre-Dame-de-la-Consolation à Vilvorde, près de Bruxelles, des images gravées sur bois, belles et bien mises en page, telles qu'une Vierge à l'Enfant et une Sainte Famille. Un encadrement de fleurs, de fruits et d'emblèmes entoure les images ; il se retrouvera dans des figurations d'esprit similaire aux xvie et xviie s. Des images plus simples étaient gravées au couvent de Béthanie à Malines.

Les images retrouvées dans les 25 manuscrits de la bibl. de Liège, provenant de l'abbaye des Bénédictins de Saint-Trond, dans le Limbourg belge, sont d'une inspiration et d'une technique différentes. La matière employée est autre ; c'est le cuivre qui semble avoir été préféré. Le bois n'est pas pour autant complètement abandonné.

Cette tradition de la gravure sur cuivre pour représenter le Christ, la Vierge, les saints va se maintenir fidèlement dans la partie des Pays-Bas restée catholique après la Réforme, à Anvers surtout, au xvie et jusqu'au xviiie s. La vente cesse d'être le monopole des couvents : elle passe aux mains des marchands. Ce n'est pas le hasard qui fait d'Anvers la principale ville où se fabriquent les images de dévotion. Il s'était établi autour de l'imprimerie de Christophe Plantin des ateliers de gravure sur cuivre. Ces ateliers vont fournir des images de saints de petit format, richement enluminées et entourées de fruits, de fleurs et d'emblèmes peints à la main dans un encadrement dépassant parfois en importance la gravure. Sous l'impulsion des Jésuites, ces images sont imprimées par milliers ; il en figure 81 900 sur l'inventaire fait à la mort de Jan Galle en 1676. Ces images sont propagées en Hollande, en Allemagne, en Hongrie, en Espagne et en Amérique du Sud. Leur production est l'œuvre de familles de graveurs. Les Galle, Philipp (v. 1570), Theodor (jusqu'en 1640), Jan (en 1676), les Van Merlen, les Wierix et les Bouttats sont les plus célèbres. Leurs femmes leur sont associées comme coloristes ou comme chefs d'atelier. La vogue de ces images subsistera jusqu'à la fin du xixe s. sans que de nouvelles soient gravées, les cuivres continuant à servir. Coloriées alors sans invention, employées à toutes fins pieuses, ces images perdront leur importance. Bouttats, au milieu du xviiie s., abandonne l'imagerie religieuse et traite les thèmes de l'époque : l'Opération céphalique, le Degré des grands, le Combat pour la culotte. En ce même temps, les Pays-Bas de Hollande, acquis aux idées de la Réforme dès 1518, refusent les feuilles de saints et manifestent leurs croyances dans des images bibliques, destinées à l'édification et à l'éducation. Les artistes exploitent au profit des idées nouvelles les grands thèmes que l'on retrouve à la même époque en Allemagne, en France, en Italie : la Roue de la Fortune, le Degré des âges, des grandes figures de grotesques, la Bataille des rats contre les chats, le Temps présent, la Truie qui file. Les meilleures pièces sont des images de combat, satiriques et pleines de verve. Elles ont des couleurs belles et franches. Au xvie s., on peut retenir le nom de cinq de leurs éditeurs : deux à Amsterdam, Cornelis Anthonisz Theunissen et Jan Ewoutsz, un à Kampen, Peter Warnesoen, et deux à Anvers, Jehan Liefrinck (v. 1538) et Sylvester Van Parys.

Au xviie s., c'est Amsterdam qui devient le centre de production d'images le plus important de l'Europe avec Theunis Lootsman entre 1607 et 1650, son gendre Van der Putte, dont la firme utilisera les mêmes bois pendant cent cinquante ans, Michel de Groot (de 1634 à 1680), son fils Gysbert (1660-1692), et, jusqu'au milieu du xviiie s., Jost Broerz (1634-1647), Paulus Mathysz (1640-1684), Jan Boumann (1642-1673) et ses descendants. On voit apparaître, d'abord timidement au xvie s., puis de plus en plus fréquemment, les images compartimentées racontant en plusieurs illustrations sur une seule feuille, soulignées ou non d'un texte, des épisodes de la Bible, des récits d'aventures légendaires, des soldats, des métiers, des animaux. Gysbert de Groot édite de cette façon la Tentation du Christ par le diable, le Mât de cocagne, des oiseaux, et Van der Putte la Vie de saint Paul, les Boiteux, les Saisons. Au xviiie s., la vogue et, par conséquent, la demande s'accroissent ; les ateliers de Deventer, de Haarlem, de Leyde, de Bois-le-Duc prennent de l'importance. Leur production est d'un esprit fort semblable à celui de la littérature de colportage, du théâtre populaire et du théâtre de marionnettes. À partir de 1750, Rynders, à Amsterdam, édite un très grand nombre de ces images avec un bonheur inégal. Ses héritiers ne feront plus qu'une imagerie narrative, adaptée à la jeunesse dans un but didactique : Robinson Crusoé, les Fables de La Fontaine, les Contes de Perrault. Au xixe s., la maison Brepols de Turnhout inondera de sa production d'images l'Europe jusqu'à la Russie. Jacques Brepols, le fondateur (1778-1845), avait racheté des bois à J.-H. Le Tellier de Lierre († 1809). Il en acquit d'autres de provenances diverses et en fit graver beaucoup. Il les imprima et les fit colorier de façon si agréable qu'il s'en vendit un grand nombre. Commerçant habile, il sut exploiter le succès dû à son talent en s'adjoignant de nombreux revendeurs, dont certains avaient leur nom imprimé en place du sien. Son catalogue de 1 395 numéros comporte 73 histoires avec des légendes en français et 73 autres en néerlandais. Sa fille, veuve de J. J. Dierck, continua la fabrication des images, qu'elle imprima jusqu'en 1860 sous la marque " B et D " ou " B ". Jean-Guillaume Dierck, son fils, épousa en 1860 Joséphine Dessauer, qui, lorsqu'il mourut, se remaria avec Arthur Dufour, dont les descendants ont dirigé les établissements Brepols jusqu'en 1930. Leurs estampes sont parmi les meilleures images imprimées de cette époque.

Italie

En 1441, le Sénat de Venise doit prendre un décret pour protéger " les arts et métiers de cartes et images qui se font à Venise ". Des rapports étroits entre imprimeurs allemands et néerlandais et imprimeurs italiens existent et se perpétueront. En 1476, Erhardhus Ratdolt et Bernardus Pictor d'Augsbourg s'établissent à Venise, et, en 1497, L. Pachel et M. Schinzenzeller à Milan. Au xvie s., Antoine Lafrery vient à Rome et Nicolas Beatrizet, au xviie s., y vient aussi. Les étrangers sont attirés par la culture humaniste et par la liberté d'expression, que ne limitent ni les statuts corporatifs ni les réglementations policières ; seule la figuration des images religieuses est strictement ordonnancée par les autorités ecclésiastiques. Autre séduction, celle de l'édition et de la vente des estampes dans un pays où l'œuvre raffinée de l'artiste connu voisine avec l'image populaire. Ainsi, le catalogue de Lafrery propose des gravures de Michel-Ange et de Raphaël en même temps que les Âges de l'homme.

Rien, ni cet apport étranger, ni les divisions politiques, ni les dominations successives, ne peut modifier le caractère traditionnel de l'imagerie italienne, qui est l'émanation de la vie et de l'esprit du peuple. Le savant est mêlé au populaire, le sacré au profane, et cette dualité se retrouve dans les thèmes et dans les techniques.

La première image connue, la Madonna del Fuoco, serait antérieure à 1428. Un Saint Thomas imprimé à Venise en 1450 et un Saint Bernardin de Sienne à Ferrare en 1470 sont des gravures sur bois, ainsi que le Singe qui file, l'Homme déguisé en renard, la Dispute du mort et du vivant et bien d'autres sujets allégoriques. À la même époque, Maso Finiguerra utilise à des fins d'impression la gravure sur cuivre apprise dans les ateliers d'orfèvre ; il illustre la série des Planètes (1450-1455).

La technique de la gravure sur cuivre prévaudra au xvie s. Quelques artistes excellent en cette manière. Ferranti Bertelli et son fils Cristoforo, établi à Rome, signent le Degré des âges de l'homme et le Degré des âges de la femme ; Nicolo Nelli, à Rome, grave en taille-douce Vénérable Poltroneria reine de cocagne en 1565, Ferranti Bertelli, à Venise, le Triomphe de Carnaval au pays de cocagne en 1569, son fils Cristoforo, le Degré des âges de l'homme et de la femme, Antony de Paulis, à Rome, les Tricheries du monde. Le tournant décisif de l'imagerie italienne est pris en 1630. À cette date, l'édition, la vente et sans doute la gravure seront monopolisées par quelques familles seulement, et ce jusqu'à la fin du xixe s.

L'œuvre des Mitelli de Bologne (1634-1718) a la plus grande importance dans ce changement ; elle est le trait d'union entre le xvie et le xviie s. Mitelli a succédé en 1634 à Giulio Cesare Croce. Ses images représentent la vie quotidienne du peuple italien au moment où elle est en train de se transformer. Elles décrivent les fêtes, les carnavals, les jeux, les personnages de foire et de comédie avec un réalisme sans outrance. Mitelli décrit aussi une actualité éphémère : la guerre contre les Turcs, la disette de Bologne, l'envahissement de 1709 par Catinat, et il le fait avec des jeux de mots et beaucoup d'ironie. L'ensemble de son œuvre est connu par les retirages qu'en fit Lelio dalla Volpe en 1736.

Dans les mêmes années, les Soliani (1640-1870) s'installent à Modène. Leur catalogue, comme celui de Lafrery (1572) ou celui des frères Vaccari (1604-1614) avant le leur, énumère, à côté des œuvres de maîtres, des gravures populaires. Ils proposent les grandes planches imprimées d'après des bois du xve s. qu'ils ont rachetés (la Madone de Lorette, le Singe qui file), des feuilles illustrées de bois du xvie s. (les Paladins, l'Arbre de fortune), de nombreux sujets populaires, des alphabets, des calendriers, des almanachs. Cet ensemble comprend 1 653 bois, dont 851 sont des sujets religieux et 802 des sujets profanes. Ils sont actuellement conservés au Castello Sforzesco de Milan, après avoir été rachetés par le collectionneur Achille Bertarelli à un marchand milanais qui, vers 1890, en refaisait encore des tirages.

Une autre famille, les Remondini de Bassano (1650-1860), occupe la place la plus importante dans l'imagerie italienne. Son fondateur, Giovanni Antonio, est un ferronnier qui devient imprimeur v. 1650. Lui et ses descendants ont un très large éventail de publications et ils font montre d'un sens commercial très développé. Giuseppe Remondini exporte ses estampes dans le monde entier : en Russie et dans les autres pays d'Europe, en Amérique du Sud ainsi que dans certaines régions d'Asie et d'Afrique. Les textes et les légendes sont imprimés en italien, en latin, en français, en espagnol, en allemand, en russe, en grec, en arménien. Il installe des succursales à Augsbourg et rue Saint-Jacques à Paris. Les Remondini publient de nombreux catalogues ; le plus riche étant celui de 1784, qui comporte une liste de 6 352 images et estampes variées, dont le plus grand nombre sont populaires.

Les activités des Soliani et des Remondini se maintiennent après l'arrivée de Bonaparte en Italie en 1796, mais les guerres et les remaniements du territoire se répercutent dans la représentation des thèmes traditionnels. De plus, l'influence de l'imagerie française se fait particulièrement sentir et est déterminante.

Bartolomeo et Achille Pinelli renouvellent complètement le genre au xixe s. Ils l'introduisent dans la vie politique, sans abandonner pour autant les descriptions de la vie de chaque jour. Leurs gravures, assez médiocres, sont accompagnées, pour beaucoup d'entre elles, de chansons et de textes dont un certain nombre est consacré aux événements vécus du Risorgimento. Des chanteurs vendent ces images dans les rues. La grande vogue de ce témoignage du romantisme populaire adapté à l'événement subsistera jusqu'après la Première Guerre mondiale. Adriano Salani, à Florence, et G. Campi, à Foligno, publient des almanachs et des chansons inspirées des fumetti, que l'on entend encore de nos jours.

France

L'imagerie française connaît les mêmes avatars que celle des pays qui lui sont voisins. Apparue à peu près à la même date, elle s'affirme avec force aux xvie s. et xviie s., mais c'est surtout au xviiie s. et dans le premier tiers du xixe s. qu'elle affirme sa personnalité et les caractères originaux propres à chacun de ses centres de production qu'elle va prendre sa personnalité multiple, différenciée dans l'expression et la manière en chacun de ses centres ; ceux-ci sont nombreux, puisant aux mêmes sources et reproduisant les mêmes tableaux.

L'imagerie française est née, semble-t-il, dans les toutes dernières années du xive s., sous l'impulsion donnée par les abbayes bourguignonnes de Cîteaux et de Cluny à la diffusion des indulgences. Les images de sanctuaires et de pèlerinages représentant les intercesseurs sont vendues bon marché grâce au bois gravé, technique nouvelle plus rapide que le dessin à la main. Elles sont acquises par un très grand nombre de croyants et conservées dans un dessein de préservation. L'influence de la gravure allemande est grande ; pourtant, la Vierge couronnée trouvée collée au fond d'un coffre et un Saint François de cette période présentent les caractères d'un art que l'on a dit " tourangeau ", mais qui serait plutôt parisien, influencé par les Livres d'heures imprimés d'Antoine Verard (1493), de J. du Pré (1481) et de Pierre Le Rouge (1488).

C'est rue Montorgueil que s'installent, au xvie s., les imagiers en papier, ou imagiers en histoires. Six d'entre eux sont particulièrement connus : ce sont Germain Hoyau, Guillaume Saulce, François de Gourmont, Jean Bonemere, Pierre Boussy et Alain Mathoniere. Les gravures qu'ils impriment traitent de tous les sujets : l'Enfant prodigue, des Saints, des Prophètes, l'Arbre de vie, le Miroir de la mort, un Diable d'argent, le Pays de cocagne, et des proverbes, que l'on voit pour la première fois dans l'imagerie française. Composées de grands bois rectangulaires, bien dessinés, bien taillés, elles s'inspirent soit des tableaux de l'école de Fontainebleau, soit de dessins de Jean Goujon, de Jean Cousin et même, parfois, de peintures flamandes.

Une autre famille, celle des Leclerc, quitte la rue Montorgueil pour s'installer à côté de la Sorbonne. Jean II Leclerc, rue Saint-Jacques, v. 1575-1580, publie des Cris de Paris, des Jeux d'enfants, des allégories. Jean III, son fils, grave lui-même sur bois des sujets de toutes sortes et jusqu'à des livrets de lingerie. C'est lui qui, abandonnant la gravure sur bois, va introduire, rue Saint-Jacques, la gravure sur cuivre. Des Flamands vont venir travailler avec lui. Pierre Firens (1580-1638) s'installe dans une boutique voisine. Il possède à sa mort 3 400 cuivres. Ses fils et son neveu lui succèdent. Les images qu'ils éditent sont d'" expression dévote ". Le xvie s. aura vu paraître et disparaître l'imagerie de propagande, moins féroce qu'en Allemagne, mais tout aussi percutante. Le petit nombre des pièces conservées est dû à l'ordonnance d'Henri IV contre les imprimés qui pouvaient évoquer les guerres de Religion et la Ligue. L'existence d'images de ce genre à cette époque est pourtant attestée par un ensemble de pièces rassemblées par Pierre de L'Estoille (1546-1611) sous le titre de Belles Figures et drôleries de la Ligue, avec peintures et placards... prêchées et vendues publiquement en 1589.

Le goût général pour les bergeries et pour la littérature de cour, l'intérêt porté aux actes de la vie quotidienne vont transformer les images du xviie s. ; de plus, l'œuvre d'Abraham Bosse n'est pas sans avoir une influence déterminante. L'emploi de la gravure sur cuivre l'emporte sur celui de la gravure sur bois. Le Recueil des plus illustres proverbes de Jacques Lagniet (1657-1663) est l'ensemble le plus cohérent et le type même de l'imagerie populaire réaliste. Il décrit les mœurs, les costumes et les habitudes du temps. Il influencera Guérard et, par-delà, les graveurs de la Révolution française.

Les images gravées par les Bonnart ne représentent pas, comme celles de Lagniet, la vie quotidienne ou, comme celles de Firens, des allégories morales ou religieuses, mais des personnages en costumes élégants. Henri Bonnart en publie 683 qui sont, pour la plupart, des portraits. Lui et ses frères, Nicolas et Robert, sont des graveurs de qualité. Un autre frère, Jean-Baptiste, édite la série des Métiers. L'imagerie de la rue Saint-Jacques s'oriente alors vers la gravure dite " semi-fine " et son ornementation soignée, parfois un peu mièvre. Le genre est destiné à une clientèle aisée, qui va accrocher à ses murs des calendriers et se divertir des vues d'optique, nouveau mode de figuration qui essaie de donner du relief aux monuments des villes et à leur vue d'ensemble.

Les Chéreau (1732-1810) réussissent particulièrement bien dans le genre ; ils vendent dans leur boutique à l'enseigne du Coq, en plus des leurs, des images de la province et de l'étranger. Jollain et Mondhare éditent des vues d'optique en même temps que des images pieuses. Ce sont les Crépy (1686-1789) qui offrent les sujets les plus divers. Ils gravent ou font graver, ainsi qu'Esnault et Rapilly, des calendriers de grand format, avec des encadrements très importants, composés de personnages et de décors en rocaille. Ces gravures, pourtant charmantes, n'ont ni la valeur de témoignage d'une vie populaire, ni la force d'images revendicatrices.

C'est Basset qui " servira la patrie ". Ses caricatures s'inspirent des gravures sur bois du xviie s. ; elles sont dirigées contre la noblesse et le clergé. Basset ordonnance les défilés et la figuration des fêtes révolutionnaires comme il le faisait pour les fêtes et les défilés de Louis XVI. Il supprime le jaune des couleurs employées, ne conservant que le bleu et le rouge. La valeur combative de ses images sera aussi grande qu'éphémère.

La Révolution passée, la production de la rue Saint-Jacques va redevenir tout au long du xixe s. ce qu'elle était juste avant, des estampes soignées aux sujets romantiques et tendres v. 1840, riches et un peu compassées sous le second Empire ; ces estampes plaisent à un public de petits bourgeois.

Parallèlement à cette évolution de l'imagerie en taille-douce, un renouveau d'intérêt pour l'imagerie gravée sur bois se manifeste aux environs de 1750. Cette résurgence prend de l'ampleur dès la fin de la Révolution française pour atteindre son apogée entre 1820 et 1830. Elle est encouragée par le Concordat et la remise en honneur des sujets religieux. Elle avait été soutenue par un retour à l'art de la gravure sur bois dans la fabrication des tissus de toiles peintes. Interdite en 1686, l'impression de ces toiles avait été de nouveau autorisée en 1760. Le succès avait été immense, et le nombre des graveurs en indiennes considérable. Lorsque la mode avait décliné, les graveurs se trouvèrent tout naturellement portés à travailler pour des techniques presque identiques. La vogue du papier peint permit d'utiliser le talent de beaucoup d'entre eux. Certains se trouvèrent tout naturellement amenés à graver des bois d'imagerie. En province, cette imagerie survivait dans des ateliers moribonds. Ces courants lui rendent une pleine activité. Il y a, dans la première moitié du xixe s., une vingtaine de centres dont l'implantation est souvent le corollaire de celle des manufactures d'indiennes et de papiers peints. Orléans est le premier de ces centres. Trois hommes dirigent deux ateliers : Sevestre-Leblond, Perdoux et Letourmi, dont les images sont parmi les plus belles de cette époque.

Jean Sevestre grave sans doute lui-même ses belles planches qui sont coloriées d'un bleu superbe. Il aurait fabriqué des papiers peints, ainsi que son ouvrier Perdoux († 1820), qui lui succède en 1780. On leur doit à tous deux des images, des tours de lit, des rabats de cheminée et des personnages grandeur nature, représentant notamment une servante et un suisse. Le gendre de Perdoux, Huet-Perdoux, prend la succession en 1805, fait peu de chose et vend les bois à Garnier de Chartres en 1832. Jean-Baptiste Letourmi, un Coutançais ami des Parisiens Esnault et Rapilly, s'établit à Orléans, où, de 1774 à 1789, il fait graver dans son atelier des sujets à la mode. Il réalise de bonnes affaires, car il a plus de 100 dépôts de vente tant à Paris qu'en province. En 1789, il prend le parti de la Révolution ; comme il est le seul imagier provincial de cette importance et de ce genre, sa production est intensifiée par les sujets d'actualité. Après la Révolution, il célèbre Bonaparte. La production s'arrête en 1800.

Le premier atelier chartrain est celui du cartier Pierre Hoyau, qui produit des images en nombre suffisant pour faire appel à d'autres graveurs, Thomas Blin et les frères Allabre. Son fonds est racheté en 1770 par Sébastien Barc. Marin Allabre ouvre un autre atelier (1782-1805), mais, à la veille de la Révolution, lui et Barc sont en faillite. Son gendre, Jacques-Pierre Garnier, qui a travaillé chez Basset à Paris, fait paraître en 1805 des images d'actualité, gravées par Guillaume Allabre († 1807) et par son frère Louis. Garnier-Allabre réutilise des anciens bois gravés par Blin et les Allabre. Entre 1810 et 1820, il en édite un grand nombre ; sur les 192 gravures sur bois connues, 110 sont à sujets religieux. Mais ces images ne sont plus à la mode ; Garnier-Allabre fait venir Fleuret (1822-1825), puis Antoine Thiébault (1826-27). Il est trop tard, et, malgré l'abondance et l'intérêt de ces nouvelles images, sa maison continue à péricliter. Garnier vend les bois de Thiébault à Castiaux de Lille.

Simon Blocquel (1780-1863), l'associé de Castiaux (1768-1855), fait venir A. Thiébault à Lille. Sa firme est en plein essor. De 1809 à sa mort, il édite des centaines de feuilles de tous genres : images de saints, scènes bibliques, portraits de personnages régnants ou célèbres, métiers, animaux. Henri-Désiré Porret, avant de devenir, à Paris, le graveur romantique sur bois de bout, a créé beaucoup de ces sujets. Il avait fait son apprentissage chez Henri-Alexandre Martin-Delahaye (1776-1856), à qui l'on doit une série unique par la beauté de la gravure et l'harmonie des couleurs (les Petits Chasseurs, les Petits Maraudeurs, les Petits Jardiniers) et d'autres images aux thèmes traditionnels (le Juif errant, l'Enfant prodigue, la Barbe-Bleue). Josué-Henri Porret, le père d'Henri-Désiré, un graveur d'indiennes venu de Suisse, est le seul qui ait signé des bois pour Martin-Delahaye. D'autres images de cet éditeur sont des copies d'images d'Amiens ou de Cambrai.

À Amiens, Jean-Baptiste Lefèvre-Corbinière (1788-1812) grave ou fait graver des feuilles de saints jusqu'en 1793. Après l'interruption révolutionnaire, ce ne sont plus que portraits et scènes napoléoniennes, coloriées en bleu roi, en vert foncé et en vermillon. Ledien-Canda (1790-1832), qui est à l'origine un cartier, édite des " saintetés " dont les coloris sont presque les mêmes que ceux de Lefèvre-Corbinière. On retrouve les bois amiénois à Paris, chez Tautin et chez Julienne, qui étaient des spécialistes d'images d'actualité.

L'imagerie de Cambrai ne dure que quelques années, de 1808 à 1825 env. Le libraire Armand-François Hurez (1791-1832) donne son unité à un ensemble de 211 images, imprimées sur papier bleuté. Formé à Paris chez Basset, il fait graver ses bois à Alençon par Godard II (1768-1838), qui copie, en les transposant, les images de la rue Saint-Jacques. Les bois de Godard seront rachetés par Glémarec, imagier parisien, qui les réédite vers 1856.

Antoine Thiébault, le graveur de Garnier-Allabre à Chartres et de Blocquel-Castiaux à Lille, retourne en 1828 à Nancy, sa ville natale, où il travaille, ainsi que son frère Jean-Baptiste, pour Desfeuilles, graveur lui-même. Il donne alors ses plus beaux bois. Dans cette même ville, Jacques-Stanislas Hubert, dit Lacour (1805-1871), " imprimeur-imagiste ", édite de 1830 à 1839 des pièces napoléoniennes, pour lesquelles il s'assure la collaboration de J.-B. Thiébault. Il avait, en 1828, alors qu'il était à Épinal, acheté les bois de Dupont-Diot à Beauvais. Lorsqu'en 1839 il abandonne l'imagerie pour diriger une manufacture de papiers peints, il vend ses bois à Dembour de Metz. Adrien Dembour (1799-apr. 1838) utilise les graveurs A. Thiébault et Jean Wendling. Il veut concurrencer Épinal en publiant des images de saints et les batailles de Napoléon. Il utilise le papier mécanique dès 1837, comme le fait également J.-P. Clerc (1776-1842) à Belfort.

Dans l'Est, une autre maison importante, fondée par Jean-Théophile Deckherr, s'établit à Montbéliard en 1796. Les fils de ce dernier impriment de 1815 à 1830 des images reprenant les thèmes traditionnels du Monde à l'envers, des Cinq Parties du monde, et surtout des saints en des feuilles fort belles, dont les fonds sont coloriés en orange.

En 1850, l'avènement de l'ère industrielle ruine les vieilles structures artisanales. À l'atelier succède l'usine. Le papier devient du papier mécanique fait de pâte de bois et non de chiffon. Les machines remplacent les graveurs et les coloristes. La diffusion est une vente organisée. Épinal et Paris restent les grands centres de l'imagerie. Si les moyens de reproduction ont changé, l'esprit reste le même. On crée toujours de façon collective des images qui charment l'homme prompt à s'émouvoir et qui aime orner ses murs de scènes moralisatrices ou tendres, vivement coloriées. La tradition de la rue Saint-Jacques se perpétue.

Pendant de nombreuses années, dans l'esprit du public, l'imagerie sera l'" image d'Épinal ", feuille pour les enfants, à peindre, à découper, à coller, répandue dans le monde entier si largement que le mot Épinal est devenu générique, s'appliquant à toutes les images, qu'elles soient ou non fabriquées par Pellerin.

Russie

Les premières feuilles volantes apparaissent en Russie bien après les premiers livres imprimés. Une estampe dans le style de la Renaissance italienne, Apôtre, est éditée à Moscou en 1564 par ordre du tsar Ivan le Terrible. Ce n'est en rien une image populaire. Une autre estampe, Prison des saints condamnés, gravée sur plomb à Kiev en 1629, ne l'est pas non plus. L'imagerie date seulement de Pierre le Grand, qui ramène à Moscou en 1708 le graveur Pierre Picard. Né à Amsterdam d'une famille d'origine française, ce dernier est nommé à l'imprimerie de Moscou comme maître ès arts en la gravure, puis envoyé à Saint-Pétersbourg, où il dirige la typographie. À Moscou, il est chargé d'enseigner les techniques et les formes de la gravure occidentale aux maîtres argentiers du Département d'armes. La Bible de Pescator est proposée comme modèle. Elle influence l'art des graveurs qui dessinaient les figures ornant les objets usuels du tsar. Le séjour de ces étrangers sera court, mais leur enseignement laissera des traces durables. Deux de leurs élèves, Akhmetiev et P. Chuvayev, graveront les premières images populaires au burin : le Grand Diable d'argent, le Monde à l'envers, le Degré des âges. Des images compartimentées, également gravées au burin, sont éditées à la même époque. Ce sont des œuvres charmantes aux textes exquis que l'on appelle " bylines " (vieilles histoires) ; elles marquent la fixation d'une immense littérature orale, légendaire. Elles avaient été recueillies dans l'Oural v. 1750 par le cosaque Dainloyv, et c'est en 1804 qu'elles ont été publiées. La forme compartimentée, adoptée par les graveurs, est héritée des images de ce type, qui ont la plus grande vogue dans les Pays-Bas.

C'est l'emploi de la gravure sur bois qui va donner aux images de cette époque un caractère vraiment populaire. Les premières connues sont extraites d'un livret de 7 pages, Mort chevauchant un cheval pâle, imprimé à Kiev en 1626.

Basil Koren est le premier grand nom de l'imagerie russe. Il exécute des gravures sur bois de grand format pour illustrer une Bible d'après les dessins du peintre Grégoire. La Bible de Pescator sert de modèle. Artisan plus qu'artiste, Koren a besoin du dessinateur comme guide. Il gravera également à partir de 1696 des bois dont il prendra les sujets dans la vie et dans le folklore. Avec lui, les images populaires deviennent vraiment russes non seulement par le thème, mais encore par la figuration elle-même, les physionomies, les costumes des personnages et les objets domestiques qui les entourent. Koren interprète à sa façon la Guerre des chats contre les rats, cortège d'enterrement du chat Pierre le Grand, ficelé sur un traîneau et escorté de rats.

Tout au long du xviiie s., d'autres graveurs, au nom encore ignoré, travaillent à Moscou. Certains ont un style archaïsant ; leur manière est vigoureuse, et leur sens esthétique très sûr. D'autres créent des bois très bien dessinés, de style fleuri et ornementé. À partir de 1734, l'usage s'introduit d'éditer en feuilles volantes coloriées les portraits des souverains. Les images de propagande se confondent avec les images d'histoire ; elles relatent les guerres contre la Prusse en 1759, contre la Turquie en 1775 et elles attaquent vivement Napoléon. Les histoires vraies ont la même importance que les histoires fausses : la prise d'une baleine dans la mer Blanche en 1760 et l'arrivée d'un éléphant venant de Perse en 1796. Cet éléphant sera représenté maintes fois, et on le retrouvera devenu image cible dans la seconde moitié du siècle suivant.

Le xixe s. adopte un mode presque unique de mise en page : un bois ou une lithographie rectangulaire placés dans le sens de la largeur et accompagnés d'un texte. Les images et leurs légendes sont toujours d'une grande beauté poétique. Ces images, ou " loubkis ", ont été rassemblées en 1860 dans des recueils publiés par Sitine à Moscou de 1873 à 1889 ; ce sont les images elles-mêmes telles qu'elles se vendaient à 1 kopeck. Golicheff, éditeur d'images en même temps que leur historien, écrit en 1870 : " Les épreuves après avoir été tirées sont séchées, teintes, coloriées ou enluminées au village de Nicolskaïa, situé à 12 verstes de Moscou [...]. Environ mille personnes, toutes autodidactes, sont occupées à colorier les images populaires. Jusqu'à maintenant, ce travail n'est guère compliqué ; on n'emploie que quatre couleurs : rouge framboise (santoline), vert (vert-de-gris de toiture avec du miel), jaune (écorce de bourdaine bouillie dans du lait), rouge (minium broyé avec du jaune d'œuf et délayé dans du kvass, bière de ménage). Comme ces images étaient peintes en hâte, les couleurs dépassaient les contours du dessin [...]. " Les images chantent la vie de chaque jour, les réjouissances des paysans ; elles montrent en tableaux doucement ironiques les occupations des fonctionnaires et celles des petits-bourgeois. Elles chantent aussi les légendes féeriques de l'oiseau de feu et du prince Ivan.

L'imagerie religieuse, elle, est conditionnée par des impératifs de culte. La religion orthodoxe proscrivant la figuration en ronde bosse, des icônes sont vénérées en lieu et place de statues. Peintes, richement encadrées de cuivre, d'argent et de pierres, elles sont d'un prix trop élevé pour orner les iconostases des églises de campagne, qui se contentent de figures de papier. Les graveurs chargés de les reproduire prennent soin de copier leur modèle le plus exactement possible. Pour eux, plus leur copie est fidèle, plus grande est la valeur mystique de la feuille. On les trouve accrochées ou collées à l'angle de la maison ou sur le mur réservé à la prière.

Autres pays européens

On pourrait limiter l'histoire de l'imagerie occidentale à son analyse dans ces quelques pays. L'abondance des gravures, leur valeur esthétique et sociologique ainsi que la permanence des thèmes forment un ensemble où tous les courants s'affrontent et se complètent. Cette imagerie, diffusée dans toute l'Europe par le colportage, aura une influence déterminante sur l'éclosion des images faites à partir de bois gravés en des lieux où d'autres formes d'art populaire imagées sont si riches qu'elles sembleraient devoir suffire. C'est aussi à l'imagerie que des artisans demanderont le renouvellement de leur inspiration. Ainsi, en Scandinavie, les créateurs des peintures artisanales et des tentures peintes que l'on accrochait aux murs le jour de Noël copient des images du nord de l'Allemagne.

Dans les États slovaques, en Pologne, en Roumanie et en Transylvanie, il existe une imagerie de qualité, puisant, pour une bonne part, son formalisme dans les peintures fixées sous verre, qui, remarquables par la beauté des coloris, remplissent la fonction que l'on prête à l'image : prière et protection. Les images slovaques, polonaises, roumaines ou bulgares ont, entre elles, bien des traits communs. Elles représentent des Vierges de pèlerinage ou miraculeuses et des saints populaires. Leurs fonds ne sont jamais laissés en blanc ; ils sont décorés de draperies ou, plus souvent encore, de motifs floraux stylisés. Ces mêmes motifs se répètent sur les à-plats des vêtements ou sur toute surface qui pourrait éventuellement paraître vide.

La taille de ces gravures sur bois est épaisse, les contours sont fortement dessinés, et il n'y a presque pas de tailles croisées. Les couleurs sont vives et quelquefois opaques : on s'efforçait ainsi de masquer le papier gris et grossier. Des particularités semblables se retrouvent à la fin du xviiie s. en Slovaquie centrale, avec le centre de Jastrabie, et en Transylvanie. Dans cette dernière région, certaines images ont une parenté avec le papier peint, surtout celles où alternent en diagonales sujets pieux et motifs floraux. Le Premier Adam serait de 1700. P. Gheorghie a gravé v. 1787 et jusqu'en 1817, Moraviu Nechita v. 1835 et jusqu'en 1862, P. Simion en 1842, P. Onisie entre 1840 et 1870, enfin Man Andrei apr. 1859. Les bois sont gravés de façon archaïque.

En Pologne, un bon nombre de bois connus ont été trouvés en 1921 dans un ancien fonds d'imprimerie par Z. Lazarski, un typographe de Varsovie. La plupart datent de la fin du xviiie s. et du début du xixe. Ils sont presque tous anonymes ; quelques-uns, pourtant, portent un nom, une date ou un monogramme : Grégoire Skowronski, 1740, Samuel Stefanov, Mathieu Kostrycki de Plazow. Il y eut trois centres principaux : celui des Carmélites, à la frontière de la Prusse de l'Est, où certains bois portent le monogramme E. W. et A. I. M. ; celui de Plazow, où, avec les planches signées par Kostrycki, on trouve les monogrammes P., P. S., G. G., H. G., E. C. ; celui de la commune de Bobrek, dans le district de Cracovie. Cette imagerie a duré environ cent ans, pendant lesquels ni la technique ni le style n'ont varié de façon autre qu'individuelle. L'imagerie doit être limitée à la définition qui en a été donnée. Il existe pourtant des genres qui, ne répondant pas strictement à ses critères, peuvent, néanmoins, lui être assimilés, dont cette imagerie d'informations, ancêtre de nos hebdomadaires illustrés à sensation.

En France, ces feuilles sont appelées canards ; en Angleterre, on les nomme cocks, catchpennies ou encore gallows qui, " littérature de gibet ", relatent le jugement, les dernières paroles, l'exécution des criminels. Le genre a été fort remarquable, d'une originalité et d'une importance exceptionnelles. " Après tout, il n'y a rien qui surpasse un bon crime sensationnel ", disait un colporteur du xixe s. à Hindley, l'historien anglais des feuilles d'informations (1871). L'intérêt que le public manifestait pour le crime poussait les éditeurs à des développements et à toutes les variations. James Catnach (1792-1841), le plus important de ces éditeurs au xixe s., gagna plus de 500 livres avec l'assassinat de Weare, le jugement et l'exécution de son meurtrier. Les gallows, les cocks sont illustrés de bois anonymes, dont certains ont servi à quatre éditeurs au moins pendant plus de cinquante ans et pour des crimes différents. Les artistes qui gravaient ces bois de fil sont plus intuitifs qu'habiles ; leur œuvre frappe par le sens du drame et non par la qualité de la gravure.

Les gallows, ainsi que d'autres feuilles volantes, se vendaient bien avant le xixe s. Au xviie s., Samuel Pepys (Journal, 1660-1665) a collectionné des Penny Merriment, des Penny Witticism. Ces feuilles, dont on trouve la mention dans les dictionnaires sous la dénomination générale de broadside ou de broadsheet, se vendaient au coin des rues. Elles se présentaient non seulement sous la forme de feuilles d'informations, mais encore sous celle de ballades, qui, au xixe s., se vendaient au " yard " ; les chaunters, qui se promenaient très lentement, les chantaient en psalmodiant. L'air était connu, ni trop, ni trop peu, suffisamment pour intéresser le client. Il faut peut-être voir dans cette forme l'ancêtre du folksong. L'histoire de Robin Hood est parmi les premiers imprimés de ballades. Celles-ci, sous le règne d'Henri VIII, ont servi à la propagande politique et religieuse ; le plus ancien exemplaire connu est la Ballade of the Scottysh Kynge, de John Skelton, imprimée par Richard Fawkes en 1563.

Amérique

Il n'est pas étonnant, vu l'immensité de son territoire et sa diversité, qu'aient subsisté en Amérique deux formes d'imagerie populaire : l'une traditionnelle, de forme européenne, latine surtout ; l'autre aux techniques nouvelles, protéiforme, toujours en évolution.

La population de l'Amérique du Nord est, au xixe s., une assemblée d'émigrants, qui ont laissé leurs traditions en Europe et n'ont emporté avec eux que leurs habitudes. Les conditions nécessaires à l'implantation d'une imagerie n'existent pas. Ni couvents, ni lieux de pèlerinage, rien qui suscite les motivations ; les religions sont diverses, et les dévotions multiples. Il ne reste que le souvenir sur papier d'un passé relié à une enfance passée sur un autre continent. L'image, venue dans les bagages de l'émigrant, a peu de chances d'être remplacée lorsqu'elle est abîmée. Cependant, il semble qu'on ait vendu des images sur la côte est. Gangel, éditeur d'imagerie de Metz, a un dépositaire à New York, auquel il envoie en 1854 des images lithographiées.

Les imprimeurs qui s'installent utilisent des machines modernes. Pourquoi désireraient-ils se servir de caractères et de bois anciens puisque déjà, en Europe, les techniques sont en voie de renouvellement ? De nouvelles façons de s'exprimer s'offrant à eux, ils s'empressent de s'en servir et d'innover.

Pourtant, au xixe s., si l'imagerie telle que la conçoivent les Italiens et les Allemands n'existe pas en Amérique du Nord, celle qui vient d'Angleterre, celle des cocks, n'est pas oubliée. Sous la forme de polytypages et de clichages sont illustrés des annonces de vente, des avis de recherche de criminels, des affichettes pour tous les modes de locomotion (bateau sur le Mississippi, train vers l'ouest), des affiches-réclame pour produits manufacturés. L'essor industriel du xxe s. va faire exploser cette survivance. L'image, nécessité absolue pour l'équilibre du psychisme humain, va naître sous une nouvelle forme, faite pour le pays et pour ceux qui l'habitent. La connaître serait connaître les rites inconscients et la magie gestuelle contenus dans la vie quotidienne. Une imagerie nouvelle commence à être comprise par l'étude de ses manifestations : le poster, affiche d'intérieur, les images de pin-up, collées dans les cantines de soldats, les cartes de vœux et les cartes postales, également collées sur les tiroirs des bureaux administratifs, les images filmiques, les mass media.