anatomie artistique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Étude des formes extérieures du corps humain au repos et en mouvement, conduite en relation avec l'analyse méthodique de la charpente osseuse (ostéologie) et des muscles (myologie). L'importance accordée à l'anatomie témoigne à la fois d'un souci de réalisme — représenter plus exactement les formes réelles — et d'une préoccupation intellectuelle : prendre ses distances en étant capable, se passant d'un modèle, de créer un être viable, mais plus parfait. Elle marque, dans les arts occidentaux, la place privilégiée accordée à la figure humaine, instrument objectif d'un langage précis ; elle révèle le souci de connaître pour pouvoir représenter : connaître les mécanismes internes pour représenter l'apparence.

L'Antiquité

C'est dans le domaine de la sculpture que l'intérêt des artistes grecs pour l'anatomie semble le plus évident, à partir du viie s. av. J.-C. ; la maîtrise dans la représentation des formes du corps humain est acquise lentement. Seule l'étude des vases peints permet de préciser l'importance de l'anatomie dans le domaine des arts à deux dimensions et les " progrès " que les connaissances, liées au souci de clarté des peintres, ont permis. Si le viiie s. représente encore la figure humaine sous l'apparence de silhouettes maigres et schématiques, très vite, à Corinthe et en Attique, au viie s., les proportions du corps deviennent " vraisemblables ", les volumes musculaires sont justement indiqués, les détails anatomiques (mollets, chevilles, genoux, muscles pectoraux et abdominaux) sont précisés par des traits incisés dans le vernis noir. Au vie s., la maîtrise des peintres est totale : l'élégance décorative s'allie à la rigueur de l'observation des formes vivantes, l'artiste ose exprimer les mouvements les plus complexes. Les œuvres d'Exékias marquent, dans ce style des " figures noires ", le moment de plus grande tension et de plus grand raffinement. Le passage, v. 520, au style des " figures rouges " va permettre aux peintres d'indiquer les détails intérieurs des corps nus par des traits de pinceau et non plus par des lignes incisées ; la plus grande liberté qui en résulte les autorise à figurer les muscles avec finesse et précision. Les peintures d'Euthymidès, d'Oltos, d'Euphronios surtout témoignent de ces nouvelles possibilités ; chez le dernier artiste, les musculatures minutieusement observées ne nuisent pas à la robustesse vigoureuse des figures. Au cours du ve s., ce souci analytique pourra conduire à quelque sécheresse (Peintre des Niobides) ; souvent, la facture est plus rapide et libre. Le siècle suivant verra un certain relâchement du souci de traduction précise des formes anatomiques. C'est sans grande originalité que Rome exploitera les modèles grecs.

Les origines de l'anatomie antique, conçue comme une science, sont d'ailleurs difficiles à préciser. Il est possible qu'Hippocrate ait disséqué des cadavres, mais, à l'époque d'Aristote, les connaissances théoriques d'anatomie semblent être bien réduites. C'est à l'école d'Alexandrie (ive s. av. J.-C.) qu'on doit, avec les progrès de la médecine, les premières dissections.

Le Moyen Âge

Après le deuxième siècle de l'ère chrétienne (marqué par les travaux de Galien), l'anatomie va être négligée pendant près de douze siècles. La dissection des cadavres sera longtemps interdite par l'Église, et les rares représentations du nu dans la peinture et la mosaïque byzantines (thème du Crucifié) montrent les formes musculaires ramenées à un simple jeu graphique ornemental, indépendant de la vérité anatomique. Au xiiie s., un mouvement nouveau se dessine : une ordonnance de l'empereur Frédéric II (1215) et une permission du pape Boniface VIII (1300) autoriseront les dissections. Les médecins bolonais du xive s. les pratiquent devant leurs élèves. Parallèlement, dès le xiiie s., la grande sculpture et la peinture des manuscrits voient la figure humaine évoluer du schématisme graphique vers une prise de conscience plus forte du volume situé dans l'espace.

La Renaissance

La médecine du xve s., après la prise de Constantinople (1453) et l'invention de l'imprimerie (1440), se libère peu à peu des influences des traités arabes et de la scolastique médiévale, jusqu'ici toutes-puissantes ; les traités anciens sont lus de nouveau, la pratique de la dissection se répand dans les écoles. Les peintres flamands peignent les premiers nus " réalistes " ; c'est l'observation directe du modèle qui semble jouer le rôle essentiel dans les écoles du Nord. Adam et Ève de Van Eyck (retable de Saint-Bavon de Gand, 1432) ou de Van der Goes (diptyque du K. M. de Vienne) témoignent d'un souci nouveau de volumes fermement définis et délicatement modelés.

Pour les Italiens, au contraire, l'anatomie est d'abord théorique. Les peintres du quattrocento veulent exprimer clairement le corps humain ; ils pratiquent la dissection et collaborent tôt avec des médecins ; ils étudient avec passion les modèles antiques. Florence est au centre des recherches : après Masaccio (Adam et Ève, église du Carmine), Andrea del Castagno, Pollaiolo, Verrocchio, Signorelli rivalisent de précision, de rigueur scientifique dans leurs représentations de personnages nus ; la définition claire des volumes dans l'espace, servie par la fermeté d'un modelé vigoureux, va de pair avec les expériences de représentation des corps en violent mouvement (Pollaiolo). Les fresques de Signorelli à la cathédrale d'Orvieto, v. 1500, restent l'exemple le plus spectaculaire de ces recherches. À Padoue et à Ferrare, la figuration des corps nus tend à une rigueur dure et minutieuse, qui évoque ici les matières minérales (Saint Sébastien de Mantegna, Louvre et Ca' d'Oro de Venise) et qui aboutit là à un expressionnisme crispé et grimaçant (Déposition de croix de Cosme Tura, Louvre).

Les recherches anatomiques de Léonard de Vinci, consignées dans de nombreux dessins, témoignent de la curiosité patiente du savant attentif à découvrir les mécanismes du corps. Mais ses travaux, solitaires, eurent peu de conséquences directes. La grande ambition de la Renaissance traite en fait de l'ordre mathématique du monde ; Alberti ou Dürer créent des systèmes précis de mensuration des différentes parties du corps : le souci de la beauté est lié à l'idée de proportion. Chez Michel-Ange, les études anatomiques sont au centre de l'œuvre ; le corps humain est l'obsession constante (Bataille de Cascina ou fresques de la chapelle Sixtine). La formation des artistes se fait, plus encore que par la dissection des cadavres, grâce à l'étude des statues antiques, référence à la fois de vérité et de perfection.

Les ouvrages médicaux, où pour la première fois le corps humain est représenté ouvert pour montrer les organes, sont le Fasciculus medicinae (Venise, 1491), peut-être de J. Ketham, illustré de gravures sur bois, et le Fasciculo di medicina, qui comprend l'Anathomia de Mondino de Liucci (1493). Les traités théoriques illustrés se multiplient ensuite : Liber conciliator, de Pietro d'Abano (1496), où l'on trouve pour la première fois des figurations de personnages écorchés en partie ; Isogogae breves... in anatomiam humani corporis (1521), de G. Berengario da Carpi ; Tabulae anatomicae (Venise, 1538), dont la riche illustration connut un grand succès et fut partout imitée. Vésale (1514-1564) reste à bon droit le plus célèbre anatomiste. Flamand, il étudia à Louvain, puis à Montpellier et à Paris et se rendit célèbre par ses dissections à Bologne, à Padoue et à Pise. Son De humani fabrica libri septem corporis (Bâle, 1543), où il prend audacieusement parti contre Galien et les auteurs antiques, marque une importante révolution. L'illustration du traité, à laquelle ont probablement collaboré J. S. Van Kalcar, Néerlandais travaillant à Venise, et des artistes influencés par Titien, est remarquable par son goût du fantastique, qui place au milieu de paysages des écorchés aux poses théâtrales. En France, l'ouvrage le plus important, après le traité de Charles Despars, riche de réminiscences gothiques (1500), est le De dissectione humani corporis de Charles Estienne (1540), dont les gravures, d'un ton très dramatique, sont marquées par le style de Fontainebleau. Il faut aussi mentionner, en Espagne, le traité de Valverde, illustré par G. Becerra.

L'anatomie, à partir du xvie s., fait partie du fonds commun de l'éducation des peintres et est enseignée dans toutes les académies ; les traités théoriques, qui se multiplient, l'étude du modèle nu constituent, avec la dissection du cadavre et le dessin d'après l'antique, autant de moyens d'étude. Les écorchés, modèles anatomiques sculptés, existent, en cire, dès la fin du xvie s. Baldinucci cite un écorché démontable exécuté à Pise par le sculpteur Pierre Francheville en 1594.

Le Maniérisme

C'est curieusement contre cet enseignement dont ils avaient été nourris que semblent réagir les peintres " maniéristes ", qui usent de liberté avec les lois de l'anatomie et malmènent les proportions du corps (Parmesan, Pontormo). Le goût des expressions tourmentées et dramatiques apparaît dans les recherches de mouvements étranges et gratuits qui conduisent aux nus ondoyants de Greco (Laocoon de la N. G. de Washington), aux acrobates maigres et contorsionnés des gravures de Jean Viset, aux personnages dansants de Wtewael (Déluge de Nuremberg). Les maniéristes septentrionaux affectionnent les musculatures compliquées et bosselées, sans rapport avec la vraisemblance anatomique, décrivant les personnages de la mythologie sur un ton humoristique (Hercule, gravure, par Goltzius, de 1589).

Les xviie et xviiie siècles

Le xviie s. voit apparaître, à côté d'ouvrages plus spécialisés, des traités simplifiés à l'usage des artistes, comme celui de Charles Errard, qui, à côté d'exposés théoriques, se réfère constamment aux idéaux de beauté des statues antiques. Pierre de Cortone et Carlo Cesi publient des traités voisins. Dans la Hollande contemporaine, l'anatomie n'est guère qu'un thème pour une catégorie bien particulière de tableaux : les " leçons d'anatomie " mettent en scène un médecin disséquant un cadavre devant ses élèves (tableaux de Keyser, d'Elias, de Mierevelt, chefs-d'œuvre de Rembrandt de 1632 et de 1656). Citons le Traité d'anatomie de Bidloo (Amsterdam, 1685). En France, aux xviie et xviiie s., l'anatomie constitue une part essentielle de l'enseignement de l'école de l'Académie royale : la " correction anatomique " désigne à la fois la justesse des formes vivantes et la bonne compréhension des statues antiques. Les nombreuses études dessinées d'après le modèle dans les ateliers constituent des études anatomiques (" académies ", à la sanguine ou à la pierre noire, de Jouvenet, de Boucher, de Van Loo, de Bouchardon). Les sculptures d'écorchés se généralisent au xviiie s. dans les ateliers. Bouchardon réalisa un de ces modèles ; les plus célèbres restent ceux de Houdon : Écorché au bras tendu (1767) et Écorché au bras levé (1790). Un des plus réussis parmi les traités d'anatomie du xviiie s. est le Nouveau Recueil d'ostéologie et de myologie de Jacques Gamelin (1779), dont les superbes gravures annoncent Goya.

Le xixe siècle

L'anatomie est au xixe s., plus que jamais, la base de l'enseignement du dessin. Les peintres néo-classiques étudient le modèle vivant et les statues antiques avec un sérieux nouveau. Les personnalités les plus puissantes du siècle sont nourries d'études anatomiques : Géricault, avec ses études faites à l'hôpital Beaujon sur des mourants pour son Radeau de la Méduse (Louvre, 1819) ; Ingres, qui transgresse l'enseignement de l'école en faisant fi de la vérité anatomique dans ses nus audacieusement déformés (Jupiter et Thétis, musée d'Aix-en-Provence, 1811 ; Grande Odalisque, Louvre, 1814). L'enseignement de l'École des beaux-arts restera le garant de la continuité des études d'anatomie ; la monumentale Anatomie artistique de Richer (1889) servira encore à des générations d'élèves. Mais le souci de l'exactitude anatomique devient de plus en plus secondaire pour les grands créateurs de la fin du xixe et du xxe s. ; à partir de Cézanne, les proportions mêmes des corps sont bouleversées et, lorsqu'ils s'intéressent au corps humain, les peintres, certains surréalistes mis à part (Dalí, Delvaux), le recomposent selon des lois bien différentes (Picasso, Bellmer).