Pierre Puvis de Chavannes
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre français (Lyon 1824 – Paris 1898).
Appartenant à une famille de la grande bourgeoisie lyonnaise, il reçut une solide éducation classique. Attiré par la peinture, il passa un an dans l'atelier d'Henri Scheffer, mais ne découvrit sa vocation qu'en voyageant en Italie en compagnie de Bauderon de Vermeron. Celui-ci le présenta à Delacroix, qui l'accepta parmi ses élèves. Le maître ayant dispersé son atelier quelques semaines plus tard, Puvis étudia plusieurs mois chez Couture, puis, en 1852, s'installa dans un atelier de la place Pigalle, où il réunit, pour dessiner le modèle vivant, trois amis convaincus : Bida, Picard et le graveur Pollet. Cette formation éclectique se retrouve dans ses premières œuvres : ses portraits ont le coloris sombre de Couture, ses toiles romantiques montrent les bleus et les rouges intenses de Delacroix (Jean Cavalier au chevet de sa mère mourante, 1851, musée de Lyon). Certaines scènes de genre atteignent même au pathétique expressionniste de Daumier (la Leçon de lecture). Mais Puvis professait aussi une grande admiration pour Chassériau, dont les fresques de la Cour des comptes l'orientèrent vers l'art décoratif mural. C'est en 1854 qu'il réalisa son premier ensemble décoratif, le Retour de l'enfant prodigue et les Quatre Saisons pour la salle à manger de son frère à Brouchy.
Il devait, durant cette période, être refusé huit fois au Salon, et sa participation à l'exposition des Galeries Bonne Nouvelle lui attira les quolibets. Sans se décourager, Puvis de Chavannes présenta au Salon de 1861 ses grands panneaux Concordia et Bellum, qui furent acceptés. La Paix ayant été achetée par l'État pour le musée d'Amiens, il donna aussitôt son pendant et, deux ans plus tard, le Travail et le Repos. Puis il composa, pour compléter l'ensemble, son Ave Picardia nutrix (1865), hymne aux dons champêtres de la vieille province, et son Ludus pro patria (1880-1882), chant de la virilité et du courage serein où il évoquait fugitivement l'amour fier, l'enfance heureuse et la vieillesse recueillie. Puvis de Chavannes réalisa ensuite pour le palais de Longchamp, à Marseille, 2 belles évocations de la cité phocéenne : Massilia, colonie grecque et Marseille, porte de l'Orient (1869).
En 1874, l'hôtel de ville de Poitiers reçut 2 nouvelles décorations de l'artiste, qui y abordait, pour la première fois, les thèmes religieux : Charles Martel sauvant la chrétienté par sa victoire sur les Sarrasins et surtout Sainte Radegonde écoutant une lecture du poète Fortunat expriment sa compréhension profane des vertus médiévales.
Devant ces œuvres si nouvelles, la critique réagit avec vigueur : d'aucuns, comme Charles Blanc, About, Castagnary, hurlèrent au barbouilleur ; d'autres, comme Delécluze, Théophile Gautier, Paul de Saint-Victor, Théodore de Banville, le défendirent avec enthousiasme et, plus particulièrement Claude Vignon, une des premières laudatrices de l'artiste à qui elle avait demandé, en 1866, le décor mural du hall de son hôtel parisien : quatre peintures allégoriques aujourd'hui dispersées (trois à Paris, musée d'Orsay, une au musée de Kurashiki, Japon).
Puvis, maintenant sûr de lui, désirait arriver à l'accord parfait entre la surface plane du mur et ses compositions décoratives, où il supprimait volontairement tout modelé, jouant seulement de l'équilibre des masses, de l'arabesque de la ligne et de l'harmonie en camaïeu de couleurs adoucies. Il adaptait pour ces vastes toiles, marouflées sur le mur, mais traitées plastiquement comme des détrempes, la leçon picturale des fresques du quattrocento florentin et de Giotto. Paradoxe, d'ailleurs, que cet intérêt pour les débuts de la conquête de la troisième dimension de la part de l'artiste, qui, le premier, chercha à nier la grande tradition dont il était l'héritier. Il exécuta ensuite successivement ses trois plus célèbres décorations pour le musée de Lyon, la Sorbonne et le Panthéon. Dans son Bois sacré cher aux Arts et aux Muses, commandé en 1883 par la ville de Lyon pour le palais des Arts, il exprime ses convictions les plus intimes : les Muses, hiératiques et tendres, confient au poète et à l'artiste adolescents les secrets sublimes de l'esprit. Le peintre compléta cette délicate allégorie par sa Vision antique, à la sérénité mélancolique, et par son Inspiration chrétienne, où il rend un silencieux hommage à Fra Angelico. Il développa pour le grand amphithéâtre de la Sorbonne ce thème de la culture qu'il avait déjà effleuré dans son Inter artes et naturam (1890, musée de Rouen). L'équilibre rythmé de la composition et la beauté grave des figures en font une méditation plastique d'une grande qualité. L'Enfance de sainte Geneviève, au Panthéon, commandée en 1874, fut l'œuvre primordiale de sa carrière. Dans ce vaste ensemble décoratif, où l'histoire prime le style, on mesure l'apport original de Puvis de Chavannes, délaissant l'anecdote pour donner toute sa place au mur.
Le peintre atteint, dans ces 3 œuvres, à une solennité calme, à une grâce simple qui font de lui le plus grand des décorateurs de la fin du xixe s. Mais il y mêlait parfois un peu de cette émotion purificatrice qu'inspirait la nature à Rousseau. Puvis de Chavannes se révéla, en effet, paysagiste sensible : il entourait ses allégories et ses idylles pastorales de paysages de prairies, de vallons et de forêts qui évoquent, transcrits poétiquement, la campagne d'Île-de-France, les molles collines de Picardie et les brumes lyonnaises sur les étangs. Il y plaçait, avec une grande justesse d'observation, le paysan au labour, le bûcheron et sa famille, le pâtre et ses troupeaux ; il ne s'agit pas ici d'un réalisme social à la Courbet, mais plutôt d'une vision virgilienne des travaux des champs.
Puvis peignit aussi, pour la maison de son ami Bonnat, le Doux Pays (1882, musée de Bayonne). Il décora ensuite l'Hôtel de Ville de Paris de ses admirables poèmes naturalistes : l'Été (1891) et l'Hiver (1891-92), si évocateurs et si subtils. Lorsqu'il eut achevé les Muses inspiratrices acclamant le génie messager de la lumière (1894-1896), grand ensemble décoratif pour la bibliothèque publique de Boston, il accepta la commande officielle, pour le Panthéon, de sa seconde série de décorations illustrant la Vie de sainte Geneviève et s'y consacra avec la passion d'un artiste qui se sent menacé (Sainte Geneviève ravitaillant Paris, esquisse à Paris, musée d'Orsay). Profondément affecté par la mort de sa femme, la princesse Marie Cantacuzène, son amie et inspiratrice de toujours qu'il venait d'épouser en 1897, il lui survécut quelques mois pour terminer sa Sainte Geneviève veillant sur Paris endormi, où il l'a représentée dans une composition très stricte, en camaïeu de bleus et de gris, d'une grande noblesse et d'une poésie religieuse un peu triste.
Les très nombreux dessins de l'artiste sont conservés, pour la plupart, dans les collections du Louvre, du Petit Palais à Paris et du musée de Lyon. Ce sont uniquement des études préparatoires pour les grandes décorations, tantôt croquis d'attitudes, tantôt figures plus poussées, inlassablement reprises jusqu'à la perfection. Puvis de Chavannes exécuta aussi des tableaux de chevalet, qui furent souvent blâmés par ses admirateurs, comme Albert Wolff, et, par contre, curieusement loués par J.-K. Huysmans, qui n'appréciait guère ses fresques. À côté de quelques beaux portraits d'un dépouillement déjà moderne (Portrait de Mme Puvis de Chavannes, 1883, musée de Lyon), il peignit des toiles essentiellement symbolistes qui portent, en outre, un message pictural : le Sommeil (1867, musée de Lille), les deux versions de l'Espérance, d'une synthétique simplicité, montrant une jeune fille naïve et fraîche dans les décombres de la guerre franco-prussienne (1872, Baltimore, Walters Art Gallery, et Paris, musée d'Orsay), l'Été (1873, id.). Les Jeunes Filles au bord de la mer (panneau décoratif, Salon de 1879, id.) détachent sur un ciel de soufre et un océan orageux, parmi les bruyères, leurs figures helléniques, verticales ou lovées. Le Fils prodigue (1879, Zurich, coll. Bührle) exprime le dénuement moral de l'homme qui a déchu en renonçant à l'idéal. Le Pauvre Pêcheur (présenté au Salon de 1881, Paris, musée d'Orsay), qui fut une des œuvres les plus fortement controversées de sa carrière, nous apparaît comme le premier manifeste de l'art symboliste français.
Picasso ressentira directement ce message à la fois sur le plan de l'esprit et sur celui de la technique picturale : il n'y a pas loin de ce Pauvre Pêcheur à l'homme de la Tragédie (Washington, N. G.).
L'œuvre de Puvis de Chavannes eut, en effet, un grand retentissement parmi ses contemporains, qui le considérèrent comme le maître du Symbolisme. S'il fut toujours un professeur consciencieux, aimé de ses élèves, Puvis n'eut pas de disciples de grand talent. Paul Baudoin, Ary Renan ou Auguste Flameng ne furent que des épigones. Comme président estimé de la Société nationale des Beaux-Arts, il marqua cependant Cormon et Ferdinand Humbert et influença profondément non seulement les peintres purement symbolistes comme René Ménard, Odilon Redon, le Belge Xavier Mellery, le Danois Vilhelm Hammershøi ou le Suisse Ferdinand Hodler, mais aussi les académiques convertis, tels Henri Martin ou Osbert. Et même les peintres les plus éloignés des préoccupations académiques et des commandes officielles, tels Gauguin, Seurat, Maurice Denis et les Nabis, trouvèrent dans les subtilités révolutionnaires de l'œuvre classique de Puvis de Chavannes le ferment et la source de leurs audaces.