Luca Giordano

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre italien (Naples 1634  – id. 1705).

Cet artiste exceptionnellement fécond, qui jouit en son temps d'un renom international, est souvent considéré, de nos jours, comme un peintre aux solutions faciles, agréable mais superficiel, prêt aux emprunts sinon à la copie, trop rapide dans l'exécution de ses œuvres. Ce jugement, qui se ressent encore en partie de la condamnation dont l'art baroque fit l'objet pendant une très longue période, n'est pas dépourvu de tout fondement si on l'applique à l'ensemble de l'œuvre de Luca Giordano, à ses innombrables peintures de chevalet et à ses immenses fresques en Italie et en Espagne (son œuvre comporte certainement plusieurs milliers de peintures ; il est peu de musées de quelque importance qui n'en conservent pas). Néanmoins, si l'on tient compte de la pratique, courante à son époque, de recourir aux aides d'atelier ainsi que des inévitables inégalités auxquelles ne peut échapper un artiste, même génial, submergé par les sollicitations et les commandes, et si, par conséquent, l'on s'attache à ses œuvres les plus représentatives entièrement de sa main, sa personnalité apparaît comme l'une des plus sensibles du xviie s. européen.

La jeunesse

Formé, selon les sources anciennes, sur le modèle de Ribera, Giordano semble avoir abordé tout de suite la peinture avec le sentiment qu'il restait à Naples de vieux problèmes non résolus. Le groupe d'œuvres (comme les portraits de Philosophes conservés à Hambourg, Kunsthalle, et à Vienne, K. M.) qui a pu être réuni autour de son nom avant sa première activité documentée (qui remonte à 1653) révèle en effet son souci de reprendre en considération les différents éléments qui avaient provoqué à Naples, v. 1635, la crise du naturalisme d'origine caravagesque. Ce besoin de revivre l'expérience des autres, avant d'innover, sera capital tout au long de la carrière de Giordano. C'est ainsi que, ayant commencé à suivre la voie qui avait mené Ribera vieillissant à adapter aux principes du Baroque son rude Caravagisme, il ne tarda pas, v. 1652, à entreprendre le voyage de Rome, pour remonter ensuite jusqu'à Venise, où il laissa quelques tableaux d'autel et où il étudia en particulier Véronèse. De retour à Naples, dès 1653, il exécuta en 1654 pour l'église S. Pietro ad Aram 2 toiles, Scènes de la vie de saint Pierre, dont les fonds s'inspirent effectivement du grand Vénitien et qui représentent, en général, un retour à la " maniera grande " du xvie s., point de départ de la peinture baroque. On retrouve les mêmes caractéristiques dans le Saint Nicolas de Bari de l'église S. Brigida et dans les 2 toiles de 1658 destinées à l'église S. Agostino degli Scalzi, où l'influence vénitienne domine, transformée toutefois par une touche plus fluide et par d'intenses accents luministes. On y décèle également l'étude de l'œuvre de Mattia Preti et un rapprochement avec Rubens, déjà sensible dans la Sainte Lucie conduite au martyre (1657, Milan, coll. Canessa). Après avoir adopté ensuite une manière plus claire et une liberté picturale comparable à celle de Pierre de Cortone (Sainte Famille, v. 1660, Aurora, New York, Wells College), il revint au classicisme des Carrache et de Poussin, visible dans l'agencement équilibré et la plus grande importance accordée au dessin dans les 2 tableaux d'autel (Fuite en Égypte, Massacre des Innocents) de l'église S. Teresa à Chiaia (1664).

La maturité

La jeunesse de Luca Giordano, marquée d'innombrables hésitations sur la voie qui devait l'amener à la décoration baroque, finit par aboutir, après un nouveau voyage à Florence, en 1665, et à Venise (où il devait envoyer, en 1667, l'Assomption de la Vierge à la Salute), à une adhésion consciente au style de Pierre de Cortone, dont l'artiste adopte surtout la tendresse et la grâce des formes, la douceur de l'éclairage (Vierge du Rosaire, 1672, Crispano, église paroissiale). Vers 1674, de nouveau à Venise, il peint les 2 tableaux d'autel (la Nativité de la Vierge et la Présentation de Marie au Temple) pour l'église de la Salute, dont le succès immédiat confirme son renom. Peu après, il entreprend les grandes décorations à fresque, dans lesquelles il se réalisera le mieux. C'est dans le cycle destiné à l'église S. Gregorio Armeno à Naples (terminé en 1679) qu'il est possible de percevoir, pour la première fois, cette heureuse veine poétique, cette tendre humanité dégagée de tout effet emphatique qui distinguera toujours Luca Giordano des autres grands décorateurs italiens contemporains : Pierre de Cortone, Lanfranco ou Baciccio ; loin de méconnaître ces derniers, il adopte même leur technique et, le cas échéant, leur manière, mais son langage, au lieu de tomber dans un éclectisme érudit, reste d'une fraîcheur et d'une spontanéité incomparables. À Florence, d'ailleurs, où il est appelé en 1682 pour peindre le dôme de la chapelle Orsini au Carmine, il surprend par un retour soudain à la peinture vénitienne (et plus précisément à J. Bassano), dicté sans doute par un besoin de retrouver le réel et de l'exprimer dans une facture dense et luministe (le Christ et la Madeleine, Florence, coll. Corsini ; Pastorale, Bologne, P. N.). En outre, pouvant méditer à son aise sur l'œuvre de Pierre de Cortone au palais Pitti, il la comprend dans son aspect le moins frappant mais le plus profond, qui consiste à rendre vraisemblable le fantastique. De ces expériences naît cette grande fable lumineuse qu'est la décoration à fresque de la galerie et de la bibliothèque du palais Medici Riccardi (1682-1685), où les thèmes de l'Apothéose de la vie humaine et de la Vie de la pensée sont réalisés, en dépit d'un programme allégorique, symbolique et mythologique rigidement établi, avec une parfaite liberté d'invention, dans une composition unitaire, à la fois audacieuse et équilibrée. L'année 1684, date du retour de Giordano à Naples, marque une nouvelle période de recherche dans différentes directions : l'étude de la lumière berninesque (tableau d'autel du Rosariello alla Pigna, v. 1687), un rapprochement plus net avec Lanfranco, un retour au Classicisme soutenu par l'intérêt pour des peintres français comme Le Brun et Mignard, enfin la découverte, v. 1689, d'un nouveau style personnel très synthétique, s'exprimant par des touches rapides et une lumière en éclairs (toiles pour Marie-Louise d'Orléans, à la Casita de l'Escorial et au musée de S. Martino à Naples).

Le séjour en Espagne

Les dernières œuvres napolitaines. Luca Giordano se rendit à la cour d'Espagne en 1692. Les grandes décorations qu'il y exécuta pour Charles II jouèrent un rôle considérable dans le développement de l'art espagnol du siècle suivant, d'autant plus que, grâce à sa sensibilité, il sut recueillir dans son œuvre les aspects les plus modernes de l'art de Velázquez, se faisant ainsi en quelque sorte l'héritier de la grande peinture espagnole du xviie s. Il accomplit par ailleurs un remarquable effort de synthèse des différentes orientations dans lesquelles il avait vu s'acheminer, depuis le début de son activité, l'art italien, répondant en cela au goût de Charles II, mais obéissant aussi à sa propre exigence de faire de l'éclectisme une force expressive originale. Entre 1692 et 1694, il décora à fresque la voûte de l'Escalera et celle de l'église de l'Escorial. Dans la première, qui célèbre la gloire de saint Laurent au-dessus d'une frise avec la bataille de Saint-Quentin, l'abandon de toute plasticité des formes en faveur d'un " tachisme " lumineux et chromatique crée des effets d'une prodigieuse légèreté. Dans la seconde, aux images tourbillonnantes des petites coupoles des autels s'oppose la construction statique du système décoratif de la voûte à arêtes, où les personnages se concentrent à la base de la composition, alors que, verticale, la lumière tombe à flots, donnant aux couleurs tantôt des reflets dorés, tantôt des transparences précieuses. Les fresques pour le Buen Retiro et le palais de la reine mère ainsi que les toiles pour le palais d'Aranjuez (v. 1696-97) sont perdues. De la décoration du Cason du Buen Retiro (v. 1697) avec l'Allégorie de la Toison d'or, il ne reste que la voûte, mais à l'origine les murs étaient recouverts de fausses tapisseries, et l'ensemble, inspiré sans doute de la décoration mauresque, devait paraître féerique. Le même parti décoratif, adopté dans l'église de l'Escorial, intervient dans la voûte de la sacristie de la cathédrale de Tolède (1697-98) ; en revanche, on y décèle un retour aux formes plastiques et à un chromatisme intense, dont la contrepartie est représentée par la décoration de la Real Capilla de l'Alcazar, auj. perdue, mais illustrée par des " bozzetti " (Naples, coll. part.) essentiellement antinaturalistes, riches en motifs ornementaux proches du " grand goût " français. Le dernier travail espagnol de Luca Giordano fut la décoration de l'église Saint-Antoine-des-Portugais (1700), dont les " bozzetti " préparatoires (Londres, N. G., Auckland Art Gal. ; Dijon, musée Magnin) semblent préfigurer le style de Goya dans la concision et la puissance expressive du signe. Cette modernité, qui marque la capacité de renouvellement du peintre jusqu'à la fin de sa vie, réapparaît dans les œuvres exécutées après son retour à Naples en 1702, dans lesquelles ses précédentes expériences dans le domaine de l'expression aboutissent à une poésie purement imaginative, tantôt préromantique (toiles pour S. Maria Egiziaca et pour S. Maria Donna Regina ; Décollation de S. Gennaro pour l'église romaine de S. Spirito dei Napoletani ; fresques pour la sacristie de S. Brigida), tantôt lumineuse et fraîche, comme le sera par la suite la meilleure peinture rococo (fresque avec le Triomphe de Judith dans la chapelle du Trésor au couvent de S. Martino, de 1704.)