Hercules Pietersz Seghers

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Peintre et graveur hollandais (Haarlem 1589 ou 1590 – Amsterdam v.  1633/1638).

La vie d'Hercules Seghers reste mal connue. Les quelques documents qui le concernent ne permettent guère de cerner sa personnalité. Le jeune Seghers est mentionné comme élève de Gillis Van Coninxloo à Amsterdam jusqu'à la mort de celui-ci en 1606. À la vente publique de la succession de son maître, il achète un paysage intitulé le Petit Rocher. Le choix de ce sujet, rarement traité par Coninxloo, paraît bien indiquer qu'il a déjà trouvé sa voie.

Reçu à la gilde des peintres de Haarlem en 1612, marié en 1615 à Anneken Van der Brugghen, de seize ans son aînée, Hercules s'installe à Amsterdam, où il achète, en 1619, une maison sur le Lindengracht, habitation dont le souvenir est conservé par une de ses eaux-fortes, Vue depuis la fenêtre de la maison de Seghers. L'artiste a dû jouir d'un certain renom de son vivant, ainsi qu'en témoigne la présence de ses tableaux sur les inventaires de succession de peintres contemporains (L. Rocourt, H. Saftleven, J. Marell). Rembrandt ne possédait-il pas, en 1656, 8 tableaux de lui, dont probablement la Vallée de montagne (Offices) ? Dès 1621, une œuvre de Seghers est proposée au roi de Danemark, et, en 1632, deux autres sont citées dans la collection des princes d'Orange. Pourtant, depuis Samuel Van Hoogstraten (1678), la légende fait de l'artiste un peintre incompris de ses contemporains et mort dans la misère. Peut-être faut-il attribuer cette idée fausse au manque d'intérêt que Hoogstraten manifeste pour son œuvre, dont il ne saisit pas l'originalité.

L'œuvre peint

Sur les 11 tableaux reconnus comme des œuvres de Seghers, aucun n'est daté, et 4 seulement paraissent être signés (la Vallée, Rijksmuseum ; Vallée de rivière, Rotterdam, B. V. B. ; Vue sur Rhenen, musées de Berlin ; Deux Moulins à vent, Fareham, coll. B. Norton). Ce sont principalement des paysages, comme l'étaient aussi, à une ou deux exceptions près, les tableaux perdus, attestés par des documents anciens. La dizaine de peintures qui subsistent aujourd'hui ne forment pas une série continue, en sorte que la chronologie de l'œuvre est particulièrement difficile à établir. On suppose, néanmoins, que les paysages imaginaires sont antérieurs aux paysages réalistes. Les 2 premiers tableaux conservés seraient la Vallée (Rijksmuseum) et le Paysage de montagne (Ijmuiden, coll. Kess-ler), où l'on relève quelques réminiscences des paysages fantastiques de Joos de Momper, que Coninxloo a pu faire connaître à son élève. C'est un sentiment d'angoisse qui se dégage de ces vallées, cernées par des masses de rochers avec, au premier plan, la silhouette d'un arbre mort. La figure humaine est presque totalement exclue.

De peu postérieur paraît être le petit Paysage de rivière avec chute d'eau (château Herdringen, Westphalie, mentionné en 1627). On y retrouve en effet la même facture : une pâte mince, le mouvement du poignet et une palette où dominent les gris et les verts, qu'éclaire par endroits une touche de rouge ou de bleu.

Avec la Vallée de montagne (Offices), jadis attribuée à Rembrandt, l'artiste donne la mesure de son génie. Un premier plan aride, en pleine lumière, est prolongé sur la droite par la masse ascendante de montagnes abruptes, qui bouche complètement l'horizon, tandis que sur la gauche s'étend à perte de vue une immense vallée, verdoyante, que l'artiste a jalonnée de silhouettes d'arbres qui conduisent le regard vers le lointain. Rembrandt, qui semble bien avoir possédé ce tableau, a dû le retoucher, ajoutant notamment sur la gauche une voiture attelée et deux paysans, et réintroduisant ainsi une certaine dimension humaine que l'on ne trouve pas dans les autres tableaux d'Hercules Piertersz Seghers. L'originalité de la composition réside dans la juxtaposition, sur une même toile, d'énormes montagnes arides et d'une vaste plaine fertile, ainsi que dans la tension dramatique qui en résulte. Ce schéma, Seghers le reprendra, ainsi qu'en témoignent 3 autres tableaux conservés : Vallée de rivière et Vallée de rivière avec maisons (Rotterdam, B. V. B.), Maisons et village dans une vallée de fleuve (autref. à New York, Historical Society).

Comme le Paysage des Offices, la Vallée de rivière de Rotterdam est peinte sur une toile collée sur bois, procédé qui semble avoir eu la prédilection de l'artiste. On retrouve dans ses 3 œuvres les mêmes arbres et arbustes, dont le feuillage est rendu par une juxtaposition de petits cercles et de points (comme dans certaines eaux-fortes), et, dans le lointain, un grand lac sur lequel se découpent des silhouettes de voiliers. La Vallée de rivière avec maisons de Rotterdam se distingue plus particulièrement par l'emploi d'un motif réaliste — les maisons que le peintre voyait de sa fenêtre à Amsterdam — placé dans un site imaginaire, procédé que, cependant, d'autres peintres contemporains ont également utilisé (S. Van Ruysdael ou A. Cuyp).

D'un esprit fort différent sont les 4 paysages urbains ou ruraux qui nous sont parvenus : Bruxelles, vue du nord (Cologne, W. R. M.), Deux Moulins à vent (Fareham, coll. B. Norton), Village au bord d'une rivière (musées de Berlin), Vue sur Rhenen (id.). Ces 3 derniers tableaux représentent des paysages panoramiques où un clocher, un moulin à vent se découpent au-dessus d'un horizon presque rectiligne. Hercules Seghers les a peints sur un format très allongé, qui accentue encore l'impression d'étendue sans fin du " plat pays " où il a vécu, et c'est peut-être à lui que revient le mérite d'avoir créé ce type de paysage typiquement hollandais.

Parmi les tableaux connus par des mentions anciennes, la disparition, depuis 1853, d'un Crâne, plus grand que nature, est particulièrement regrettable.

L'œuvre gravé

Quelque 183 épreuves seulement, provenant de 54 cuivres différents, nous sont parvenues. Seghers, qui n'avait pas d'imprimeur, ne tirait en effet que peu d'épreuves d'un même cuivre, en apportant des modifications à chaque tirage. C'est donc une faible production pour une assez longue carrière ; sans doute faut-il déplorer de nombreuses pertes. Les sujets des gravures conservées sont un peu plus variés que ceux des peintures : tempête, études de bateaux, d'arbres, de cheval cabré, nature morte de livres, un crâne, vues de ruines, vue urbaine et des paysages sylvestres de montagne ou de plaine. Tous ces thèmes se retrouvent chez les contemporains de l'artiste, mais celui-ci les traite avec une audace qui le conduit aux limites du " paysagisme abstrait ". Plus encore que les paysages peints, les paysages gravés vont d'un extrême à l'autre, des vallées de montagnes fantastiques (les plus nombreuses) aux vues réalistes de plaines et de villages. Cependant, en variant les techniques de tirage, Seghers parvient à faire de tel paysage sylvestre, traité de façon naturaliste, un site fantastique ; d'une épreuve à l'autre, les Ruines de l'abbaye de Rijnsburg passent d'une description fidèle à une image féerique. Dans le Paysage de montagne avec agrès de navire, le caractère inhumain des énormes rochers qui dominent un petit village situé au fond d'une vallée encaissée est accentué par le réseau que dessinent des agrès de navire, restes d'une autre composition que l'artiste n'a que partiellement effacée. Des rochers escarpés, des arbres morts, un village isolé, parfois à peine discernable, constituent l'un de ses thèmes de prédilection, et il en tire des estampes de grand format, notamment Vallée de montagne avec quatre arbres, Paysage aux champs clôturés, Paysage rocheux avec cascades. Un même sentiment menaçant, oppressant, se dégage de 2 Tempêtes en mer, figurant des voiliers qui luttent en vain contre les éléments déchaînés.

En dehors des paysages, Seghers a exécuté diverses études d'arbres, dans un site naturel (le Grand Arbre) ou sur un fond neutre, abstrait (les Deux Arbres, l'Arbre moussu). La première estampe présente de nombreux points communs avec les autres paysages, mais il émane des épreuves colorées des Deux Arbres et de l'Arbre moussu une poésie raffinée, proche de l'art asiatique et sans équivalent dans l'art européen. Les Trois Livres sont une des eaux-fortes les plus singulières que nous ait laissées Hercules Pietersz Seghers, qui parvient, là encore, en jouant uniquement sur les proportions et la disposition de trois livres, à créer une tension dramatique. Les techniques de tirage utilisées par Seghers jouent un rôle essentiel pour chaque épreuve et lui permettent d'obtenir des variations presque sans fin à partir d'un même cuivre : tirage en vert, jaune, bleu ou blanc sur toile ou sur papier teinté à la gouache ou à l'aquarelle et rehaussé, après l'impression, pour accentuer certains détails. Ici aussi, l'originalité de l'artiste réside dans une utilisation très personnelle de méthodes traditionnelles (vernis de protection, pointe sèche, cuivre inégalement essuyé, gravure au sucre). Pour le Fond de vallée, la gravure dont on possède le plus grand nombre d'épreuves, des tirages existent en vert, bleu ou noir sur papier et sur toile colorés de jaune, de gris, de vert, de brun ou de bleu plus ou moins intenses, avec des accents d'autres couleurs rajoutés après coup. Les effets de polychromie de ces gravures semblent avoir particulièrement retenu l'intérêt de Seghers, qui finit par en faire de véritables peintures, surtout lorsqu'elles sont vernies, comme telle épreuve de la Grande Ruine de l'abbaye de Rijnsburg, tirée en jaune sur papier peint en noir, avec des rehauts de vert dans le ciel et de rouge sur les pierres.

Les 2 principales collections de gravures de Seghers se trouvent au Rijksmuseum (cabinet des Estampes) et à Paris (B. N., cabinet des Estampes). En dehors de Johannes Ruyscher, les estampes de Seghers n'ont influencé aucun artiste du xviie s. De même en peinture, seul Frans de Momper a vraiment subi l'emprise de ses paysages. Cependant, il convient de ne pas oublier la dette de Rembrandt et de Philips Koninck, qui ont certainement été très impressionnés par les peintures de leur aîné.