Giovanni Battista Cima
dit Cima da Conegliano
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre italien (Conegliano v. 1459 – id. 1517-1518).
L'histoire de la formation artistique de Cima reste problématique, en l'absence de documents et de références précises. Sa première peinture signée, la Vierge et l'Enfant entre saint Jacques et saint Jérôme (1489, musée de Vicence) révèle, par la rigueur volumétrique et la gamme chaude des couleurs, un goût assez proche de celui de Bartolomeo Montagna. Malgré cette influence, Cima établit déjà dans cette œuvre les bases d'un style auquel il restera fidèle. La lumière claire adoucit l'austérité anguleuse des vêtements et la dureté des visages de Montagna, tandis que l'invention de la " pergola " prépare aux fraîches images des futurs paysages de Cima. L'influence de Montagna cesse de se manifester au moment où, certainement avant 1492 (date à laquelle sa présence est attestée à Venise), le peintre provincial, ayant pris contact avec la culture artistique de Venise, rencontre Alvise Vivarini et Giovanni Bellini et est impressionné par la " pala " de S. Cassiano d'Antonello de Messine. Selon Pallucchini (1962), le polyptyque de l'église paroissiale d'Olera est le premier fruit de l'activité vénitienne de Cima, qui va se précisant dans les œuvres suivantes : la Sainte Conversation de la Brera et la Vierge avec des saints (1493) de la cathédrale de Conegliano, dont la structure suit l'exemple des retables de S. Cassiano d'Antonello (fragment à Vienne, K. M.) et de S. Giobbe de Giovanni Bellini : organisation architecturale complexe, trône s'élevant devant un arrière-plan ouvert, effort pour disposer des figures solides selon un rythme et un ordre qui puissent suggérer le dialogue. Mais la poésie de Cima s'épanouit quand il peut rassembler Vierges et saints dans le paysage des douces collines de Conegliano, à la fois réelles et imaginaires (Sainte Conversation, Lisbonne, fondation Gulbenkian). Dans ce dialogue sentimental entre créatures et nature, la lumière réchauffe et polit les personnages du Baptême du Christ (1494, Venise, S. Giovanni in Bragora), figures sereines dans l'atmosphère limpide d'un paysage auquel la nostalgie de l'artiste revient sans cesse, faisant couler le Jourdain au milieu des collines trévisanes. La minutie des détails, la limpidité de la lumière, la beauté toute classique des personnages, qui correspondent à une typologie constante dans la production de Cima, se retrouvent dans la Vierge à l'oranger (v. 1495, Venise, Accademia), qui offre un des plus beaux paysages peints par l'artiste, celui du château de Salvatore di Collalto, alors que le château Saint-Ange de Rome sert d'arrière-plan au Saint Sébastien de Strasbourg qui, avec le Saint Roch de la même collection, une Sainte Hélène à Londres (N. G.) et une lunette, composaient le retable peint pour San Rocco à Venise.
À l'invention, due à Giovanni Bellini, des " saintes conversations " en plein air correspond l'influence de Carpaccio dans les architectures polychromes de certaines scènes de petit format comme l'Ambassade du sultan du musée de Zurich ou le Miracle de saint Marc des musées de Berlin. Le tempérament méditatif de Cima, souvent plus enclin à réfléchir sur des thèmes anciens qu'à en inventer de nouveaux, le pousse à composer de nombreuses Vierges à l'Enfant, dont la plus réussie est sans doute celle de l'église S. Maria della Consolazione d'Este (Padoue), datée de 1504 : la saine rusticité de Marie éclate dans les timbres violents des rouges, des bleus et des jaunes comme dans le volume monumental de l'image qui se détache avec une force surprenante sur le paysage de l'arrière-plan. On peut aussi dater v. 1505 le Saint Pierre martyr avec les saints Nicolas et Benoît (Milan, Brera), aux pures architectures, et la Vierge et l'Enfant entre saint Michel et saint André (Parme, G. N.), où, parmi les ruines ombragées, sous la lumière chaude de l'après-midi, évoluent des personnages méditatifs et mélancoliques, dont se détache, dans une attitude absorbée, l'élégante silhouette de l'archange Michel. La lumière zénithale immobilise contre le ciel les trois personnages de l'Incrédulité de saint Thomas (Venise, Accademia), insérés dans le vaste cadre d'une grande arcade au premier plan, mais en même temps elle paraît dissoudre, dans un horizon exceptionnellement bas, les savoureuses petites silhouettes des personnages qui se déplacent au loin en un fabuleux voyage entre le village juché sur la colline et le calme sous-bois de buissons et de feuillage.
C'est déjà l'idylle de Giorgione ; ce rapprochement permet d'ailleurs de suggérer que le sens " géorgique " de la nature et le dialogue muet entre des personnages rêveurs, propres à Cima, aient pu constituer les véritables signes précurseurs des plus hautes visions de Giorgione (Pallucchini, 1962). La modification des proportions et le grand jardin ombragé de la Nativité du Carmine, à Venise, confirment les rapports d'inspiration avec le monde giorgionesque ainsi que le choix de nouveaux sujets humanistes et mythologiques. Endymion dormant et le Jugement de Midas (1505-1510 Parme, G. N.), le Duel au bord de la mer (Berlin) et Bacchus et Ariane (Milan, musée Poldi-Pezzoli) sont conçus avec une sensibilité chromatique proche du sentiment tonal. Cependant, le langage de Cima, tout en s'inspirant parfois des solutions les plus géniales de ses contemporains, ne se transforme pas et continue de trouver en lui-même la possibilité de se renouveler, ainsi qu'en témoigne le Saint Pierre en chaire (1516, Brera), où, délaissant la peinture tonale et les autres nouveautés du cinquecento, il revient à la mise en page du siècle précédent et aux images immobiles d'une beauté toute antique.