Cyrano de Bergerac
Comédie en 5 actes et en vers d'Edmond Rostand (1897).
1. L'intrigue
Sur la demande de sa cousine Roxane, Cyrano de Bergerac s’engage à prendre Christian sous sa protection. Devenu l’ami de son protégé, il organise une supercherie : il écrit pour Christian des lettres ardentes et lui souffle des déclarations d’amour qui enflamment Roxane. Or, par dépit, un autre prétendant de la jeune fille, le comte de Guiche, fait envoyer Christian à la guerre. Mais grâce à l’aide de Cyrano, les deux amoureux peuvent se marier avant le départ du cadet pour le front.
Pendant le siège d’Arras, Roxane rend visite à son bien-aimé. C’est là que Christian comprend l’amour de Cyrano pour sa cousine. Cependant le jeune cadet meurt avant d’avoir avoué à Roxane la supercherie des lettres et des discours amoureux. Désespérée par la mort de Christian, Roxane se retire dans un couvent, où son cousin lui rend visite chaque semaine.
Quinze années ont passé. Un jour de 1655, Cyrano est mortellement blessé par ses ennemis. À l’agonie, il avoue, à demi-mot, son secret à Roxane.
2. Principaux personnages
• Cyrano de Bergerac, cadet de Gascogne affligé d’un grand nez, batailleur, homme d’esprit et remarquable orateur, amoureux de sa cousine Roxane ;
• Roxane, jolie femme, précieuse et passionnée de beau langage, amoureuse de Christian ;
• Christian de Neuvillette, beau cadet sans esprit ni talent d’expression, amoureux de Roxane ;
• le comte de Guiche, gentilhomme, prétendant de Roxane, ennemi de Cyrano ;
• Le Bret, ami intime de Cyrano ;
• Ragueneau, pâtissier poète, ami de Cyrano.
3. Un monument du théâtre français
3.1. Le contexte
Cyrano de Bergerac, en cette fin de siècle, comble un vide chez les Français : la pièce leur apporte un grand souffle de romantisme à une époque où l’art se dessèche, entre la beauté formelle du Parnasse et la froideur et le pessimisme du naturalisme. Dans une France au seuil du modernisme, alors que l’avion et la voiture s’apprêtent à changer le monde, elle réactive des valeurs chères à la nation : le goût des belles actions et des nobles sentiments, la tradition littéraire des passions malheureuses, le culte des mots d’esprit et des joutes verbales.
Tout cela est transposé dans un xviie siècle scénique, qui, sous l’inspiration de Rostand, fait revivre la société de l’Ancien Régime sur un mode romanesque bien propre à toucher la sensibilité populaire. Enfin, le pays, qui vient de perdre la guerre de 1870 face aux Allemands, a besoin de se replonger dans son prestigieux passé.
On doit également compter avec l’actualité de l’époque, notamment avec l’affaire Dreyfus, scandale politique du nom de cet officier juif injustement accusé de haute trahison à la suite d’une sordide machination. Ce terrible épisode de l’histoire de France coupa le pays en deux, mettant face à face dreyfusards (dont Rostand) et antidreyfusards. Il déchira la nation sur la question de l’identité française et du patriotisme. Cyrano, héros très « gaulois » et symbole du tempérament français, fait entendre la voix de Rostand dans cette bagarre nationale.
3.2. La genèse de l'œuvre
Rostand a eu envie d’écrire Cyrano quand il était encore adolescent, en classe de rhétorique (la première de notre système éducatif actuel), après avoir lu une préface aux œuvres de l’écrivain Cyrano de Bergerac. « Ah ! faire Cyrano !..., pensai-je » (interview de Rostand, réalisée par André Arnyvelde pour les Annales du 9 mars 1913).
Des années plus tard, une simple coïncidence va réveiller cette vieille idée : ce jour-là, Rostand lit La Samaritaine à Sarah Bernhard en présence de l’acteur Coquelin. Ce dernier est conquis : « “Vous devriez me faire un rôle”, me dit-il, raconte Rostand. “J’en ai un”, répondis-je immédiatement. Cyrano avait sursauté sous mon front. Mais cela ne faisait point du tout que je susse le moins du monde ce que serait ce rôle. »
Mais qui est ce Cyrano de Bergerac ? C’est un écrivain du xviie siècle (1619-1655), connu pour son esprit ironique et mordant, à qui l’on doit L’Histoire comique des États et empires de la Lune (1657) et L’Histoire comique des États et empires du Soleil (1662). Son grand nez légendaire inspire à Rostand le thème fondateur de la pièce : « Ce nez invraisemblable se prélasse dans une figure de trois-quarts dont il couvre entièrement le petit côté ; il forme, sur le milieu, une montagne qui me paraît devoir être, après l’Himalaya, la plus haute montagne du monde... Sans nez, selon Cyrano, point de valeur, point d’esprit, point de finesse, point de passion, rien de ce qui fait l’homme » (Théophile Gautier, Les Grotesques, 1844).
D’autres sources viendront enrichir l’inspiration de Rostand : une préface aux œuvres de Cyrano de Bergerac où Le Bret, son ami, désigne Cyrano comme un « démon de la bravoure ». Et les États et empires de la Lune où Cyrano de Bergerac affirme que seul un grand nez permet de devenir « un homme spirituel, prudent, courtois, affable, généreux et libéral ».
3.3. Une comédie héroïque
Mais on trouve aussi dans la pièce de Rostand bien d’autres échos littéraires : Cyrano de Bergerac, cette « comédie héroïque », réactualise le drame romantique, genre ancien qui, dans la première partie du xixe siècle, a fait le succès de Victor Hugo et d’Alfred de Musset (→ romantisme).
On retrouve en effet, sous la plume de Rostand, de nombreux traits empruntés à ce genre défunt : le refus de la règle des trois unités, le mélange des genres (drame, comédie, tragédie) et des tons (lyrique, dramatique, burlesque), le héros romantique, la couleur locale.
3.4. Un succès intemporel
« J’écrivis Cyrano par goût, avec amour, avec plaisir » (interview de Rostand) : portée par l’enthousiasme de son auteur et par le talent de son interprète, le grand Coquelin (Rostand lui dédia sa pièce), la pièce a d’emblée trouvé son public.
Le triomphe est sans précédent : le jour de la générale (le 28 décembre 1897), vingt minutes d’applaudissements déchaînés suivent la tombée du rideau. Dans les coulisses, un ministre s’approche de Rostand, décroche sa Légion d’honneur pour la lui agrafer, en disant : « Permettez-moi de prendre un peu d’avance. » Rostand recevra la décoration en 1898 et sera élu à l'Académie française en 1901. La pièce connaîtra un destin hors pair et fera de Rostand une gloire nationale.
En 1913, alors que Rostand s'est retiré à Cambo-les-Bains, la reprise de Cyrano est encore une fois triomphale. La millième représentation est donnée la même année.
Resté sourd aux critiques des intellectuels qui reprochent à la pièce son sentimentalisme, ses situations rocambolesques et ses vers trop faciles, le grand public continue de plébisciter la pièce. Jouée dans le monde entier des milliers de fois, elle inspire le théâtre et le cinéma en France comme à l’étranger. Dans l’Hexagone, les plus grands acteurs assurent la gloire du héros légendaire : Jean Piat, Jean Marais, Jean-Paul Belmondo, Gérard Depardieu, Jacques Weber, pour ne citer que les plus connus.
Mais comment expliquer que la pièce brave le temps alors que Rostand lui-même, assailli par le doute le jour de la première, demanda pardon à Coquelin de l’avoir entraîné dans « cette effrayante aventure » ? Que penser de la passion universelle qu’inspire une pièce dont le vocabulaire difficile et les allusions littéraires obscures devraient décourager les lecteurs comme les spectateurs ? Comment ne pas s’étonner de voir tant de metteurs en scène tenter l’aventure d’une représentation quand on sait que la pièce pose d’innombrables défis techniques : décors multiples, personnages innombrables, longueur du rôle-titre (mille six cents vers pour Cyrano !), alexandrin haché, scène de bataille dans l’acte IV ?
Comme d’Artagnan, illustre cadet de Gascogne immortalisé par Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires (1844), le personnage de Cyrano est un symbole de la France éternelle. À ce titre, il séduit le public universel. Son romantisme, sa tristesse et son désespoir amoureux nous vont droit au cœur. Sa poésie et son talent d’expression nous réjouissent tandis que sa liberté de pensée et d’action forcent l’admiration du peuple français, naturellement porté vers l’individualisme.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire du théâtre.