pédérastie

Pédérastie. Ganymède enlevé par l'aigle.
Pédérastie. Ganymède enlevé par l'aigle.

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Forme d'amour portant un homme et un adolescent à s'unir.

La pédérastie dans le monde antique est un ensemble de pratiques sexuelles, certes, mais surtout sociales, qui la distinguent de l'homosexualité telle qu'elle existe dans les sociétés occidentales actuelles. Elle n'est pas un simple choix personnel, affaire de goût qui reste, au mieux, sans conséquences sociales, ni la soumission à une supposée « nature » homosexuelle innée qui pousserait à un repli minoritaire ou communautaire.

Chez les Grecs

Dans le monde grec classique, la pédérastie, c'est-à-dire le rapport sexuel entre un adulte et un adolescent du même sexe, ayant eu pour cause l'attrait exercé par la beauté d'un corps et le désir charnel qui en découle, est une institution, avec ses règles, ses codes et même, dans une certaine mesure, avec son jeu - son théâtre. La pédérastie s'insère dans un cadre général où sont pris en considération l'âge des deux partenaires – le rôle, de ce fait, par droits et devoirs, qu'ils doivent l'un et l'autre assumer – et, dans une certaine mesure, leur condition sociale.

L'adulte, le plus âgé des deux, que l'on appelle « éraste », est poussé par un désir sexuel (éros) envers un adolescent, qui porte le nom d'« éromène ». L'éraste est le sujet ; l'éromène est l'objet. L'éraste est actif ; l'éromène est passif. L'éraste est viril ; l'éromène est efféminé, d'où son devoir de présenter des joues absolument douces et lisses. Mais, détail important qui prouve, si besoin est, que les Grecs ne sont pas totalement dépourvus de moralité (du moins aux yeux de certains), l'éromène doit être en âge d'avoir des poils – ce que nous appelons le duvet ; cela signifie qu'il est entré au moins dans sa treizième année. Si l'éraste, on l'a dit, est mû d'un désir sexuel envers l'éromène, ce dernier est animé à son endroit d'affection et d'estime. Aux avances de son amant, qui ont lieu soit au gymnase, soit lors d'un banquet, il convient que l'aimé réponde de façon progressive. Leur dieu à tous deux est Éros et non Aphrodite qui est la déesse de l'amour physique entre un homme et une femme.

Éros éducateur. La relation éraste-éromène relève de l'éducation du jeune Grec ; elle est, à l'instar de la plupart des rites à passages, une étape obligée de son initiation, entre douze et seize ans, vers l'état adulte. Si un jeune Lacédémonien, beau et bien fait, écrit Élien, préfère pour ami un homme riche à un pauvre vertueux, les éphores le condamnent à payer une amende ; ils punissent également tout citoyen honnête homme qui refuse de s'attacher un ami, car ils pensent que l'honnête homme aurait pu rendre cet adolescent semblable à lui ; de même, une loi ordonne qu'un adolescent soit pardonné pour les fautes qu'il commet, eu égard à sa jeunesse et à son inexpérience : c'est l'éraste qui est puni à sa place, car il a manqué à son devoir, qui est d'éducation et de surveillance de l'éromène ; bref, il s'agit « en suivant le chemin de l'amitié de conduire une âme jeune et bien douée à la vertu ». Strabon rapporte une coutume en vigueur chez les Crétois : l'amant, d'un rang élevé, après avoir annoncé à ses amis son intention, enlève un jeune homme ; si celui-ci semble d'un rang suffisant, s'il paraît bien éduqué et courageux (mais pas forcément beau), il le mène hors de la ville. Pendant deux mois, ils chassent ensemble et font la fête. Au terme de son éducation, le jeune se voit remettre, entre autres cadeaux, un équipement militaire, ainsi que le veut la loi. De retour en ville, le kléinos (l'éromène), proclame publiquement ses relations avec le philètor (l'éraste), les juge bonnes ou mauvaises ; l'amant peut être poursuivi s'il s'est montré violent.

On peut ne voir dans cette coutume qu'un rituel, où désir et plaisir sont absents. À moins de considérer l'acte (homo-) sexuel comme foncièrement différent de n'importe quel autre acte, il n'est pas si extraordinaire, après tout, d'imaginer que deux individus, ayant l'un et l'autre un devoir commun à accomplir, s'en acquittent de manière purement formelle, comme un maître dispense sa leçon en se disant qu'il serait mieux à la pêche, à un élève qui l'écoute d'une oreille lointaine, en songeant à la mer. Toutefois, les relations ont sûrement été plaisantes pour l'éraste ou l'éromène, voire désirées par l'un, l'autre, ou les deux.

Des statuts et des hommes. Adulte, l'éromène devient éraste, ce qui signifie qu'il perd son état antérieur marqué de passivité : c'est la règle. En d'autres termes, il faut exclure ici toute idée de préférence. L'Athénien adulte qui se confinerait dans son statut d'éromène, disons par goût, est traité comme un criminel, s'expose à la perte de ses droits civiques et à celle de sa citoyenneté, sans parlers des quolibets railleurs de ses concitoyens. De même, on n'imagine pas que la relation entre l'éraste et l'éromène puisse se poursuivre quand ce dernier a atteint l'âge adulte. On l'aura compris, il faut éviter de considérer la pédérastie de la Grèce antique avec le même esprit que l'on considère l'homosexualité aujourd'hui – que l'on soit partisan, détracteur, ou indifférent ; du reste, ni les Grecs ni les Romains n'avaient dans leur langue un mot équivalent à celui d'homosexualité : il ne s'agit pas pour eux d'un rapport de même sexe à même sexe, mais de celui d'un statut à un autre.

Maintenant, il serait sans doute exagéré de prétendre que les relations homme-adolescent ne choquaient pas certains : « À Lacédémone, les jeunes gens ne se montrent ni dédaigneux ni fiers à l'égard de leurs amants ; et ce qui prouve qu'ils diffèrent en cela de ceux qui, chez les autres peuples, se distinguent par leur beauté, c'est qu'ils prient leurs amant de respirer en eux : expression lacédémonienne, par laquelle ils les prient de les aimer. L'amour spartiate ne connaît rien de honteux. Ceux qui seraient assez lâches pour souffrir un affront, ou assez audacieux pour outrager un concitoyen, ne sauraient demeurer à Sparte : il ne leur reste plus que l'exil, ou la mort même. » Élien écrit cela au iie siècle apr. J.-C. Bien qu'il paraisse confirmer un état de fait, on peut se poser la question : pourquoi ce besoin ? Parle-t-on des choses qui vont de soi ? Écrit-on sur des phénomènes admis par tous ? Mais il serait intéressant de connaître le public visé par l'auteur : grec ou romain ?

Prostitution interdite. On peut, pour en finir sur ce point, rappeler ici le discours d'Eschine contre Timarque : Eschine, l'orateur, est accusé de trahison pour avoir favorisé Philippe de Macédoine lors des pourparlers, qui devaient déboucher sur la « paix de Philocrate », en 346 av. J.-C. Avant toute chose, Eschine soulève un point important contre son adversaire, dans le seul but d'annoncer que Timarque n'a pas le droit de porter la moindre accusation contre lui, ni contre quiconque d'ailleurs, pas plus qu'il n'a le droit de s'exprimer en public. Pourquoi ? Parce que cet homme politique, depuis son plus jeune âge, a fait commerce de son corps. Et Eschine d'énumérer les points de la législation athénienne, concernant l'interdiction de prostituer les mineurs ; l'obligation, pour le prostitué majeur, de répondre de son crime, etc. Il est intéressant de remarquer ici la distinction entre hétairikótes (amis) et pórnoi (prostitués) : ces derniers sont en quelque sorte des professionnels : ils sont reconnus par la cité à laquelle, en tant qu'officiellement inscrits sur des registres spéciaux, ils versent une taxe (pornikon télos). Généralement les pórnoi (pórnai, s'il s'agit de femmes) sont issus des couches les plus basses de la cité. Les hétairikótes, pour leur part, n'ont aucune existence légale et, partant, peuvent donc occuper des fonctions qui leur seraient interdites si leur vie privée venait à être affichée publiquement : et c'est bien où veut en venir Eschine à l'encontre de Timarque, même s'il finit par qualifier son adversaire aussi de pórnos, ce qui laisse penser que l'une et l'autre catégories, sans pour autant être assimilées, ne jouissaient auprès des Athéniens d'aucune estime. Il convient de préciser qu'il s'agit ici uniquement d'homosexualité masculine : ce qui est avilissant, ce ne sont pas les rapports homosexuels, c'est le fait qu'un homme adulte assume un rôle passif.

Chez les Romains

Il est ordinairement admis que la pédérastie grecque s'est exportée dans le monde romain ; les références des écrivains sont nombreuses ; il faut sans doute se garder d'étendre à l'ensemble de la morale romaine les propos scandalisés de Suétone, quand il évoque les turpitudes pédophiles et sexuelles en tout genre de Néron ou de Tibère, qui sont les œuvres de ce que nous appellerions de deux détraqués, comme il en existe partout et à toutes les époques. De ce point de vue, rien de nouveau sous le soleil.

Chez les Romains, le rôle actif ne peut être joué que par un citoyen de condition sociale élevée : s'il est dégradant pour cet homme d'être pénétré (éventuellement), c'est ce qui peut arriver de plus normal à un esclave, qui n'a aucune intégrité corporelle à préserver (et peut-être a-t-on a ici un aperçu de l'estime en laquelle la femme était tenue ?). Mais là encore, il convient d'apporter une précision : il arrive parfois qu'un citoyen romain, pour payer ses dettes, choisisse de devenir esclave ; son maître n'a pas pour autant le droit d'avoir des rapports sexuels avec lui : il est citoyen romain avant tout ; sa condition d'esclave ne l'est que de surface, assimilable plutôt à celle de serviteur. C'est pourquoi par la suite on interdit à un citoyen de Rome de se vendre comme esclave : la « passivité » qui peut s'ensuivre rejaillit sur la cité tout entière. L'honneur et le sang de Rome sont en jeu.

Au iiie siècle av. J.-C., la loi Scatinia réglemente la pédérastie : elle punit celui qui se laisse pénétrer : ainsi, ce ne sont pas tant les relations sexuelles homme-homme qu'elle condamne, que le fait, pour un homme, d'assumer le rôle d'une femme.

En 342 apr. J.-C., Constance II promulgue une loi (inscrite plus tard dans le Code théodosien, 27 février 380), qui prévoit la peine de mort pour tout citoyen ayant assumé le rôle passif. En 390, tout efféminé est passible du bûcher. En 533, Justinien fait condamner à mort l'homosexualité, active et passive.

Dans la mythologie

Comment le Grec pourrait-il avoir honte d'être pédéraste, quand les dieux et les héros qu'il vénère ou admire le sont également ? Ce n'est là qu'une demi-boutade, car peu importe de savoir si les divinités ont été façonnées à l'image des individus par ces derniers. Le fait est que si un être parfait pratique la pédérastie, alors la pédérastie ne peut ressortir qu'à la perfection. Quels sont les dieux ou les héros qui cautionnent cette pratique ?

Le premier d'entre eux, Zeus. Suivant la tradition la plus courante, il enlève Ganymède, le plus beau des mortels. Il fait de lui son échanson à la place d'Hébé, fille d'Héra, mais surtout son amant. Il est remarquable que son épouse s'irrite moins d'être trompée (mais peut-on parler de tromperie ?) que de l'humiliation morale ainsi causée à sa fille.

Parmi les autres dieux, citons : Apollon, éraste d'Hyacinthos et de Cyparissos ; Poséidon, éraste de Pélops ; Dionysos, d'Ampélos ; Hermès, de Daphnis.

Parmi les héros : Achille et Patrocle. Les relations entre ces héros s'écartent sensiblement de ce que la loi prescrivait en Grèce, car il est aussi difficile d'imaginer l'un des deux partenaires adolescent, que de se dire qu'Achille jouait le rôle d'éraste ou d'éromène. Leurs relations amoureuses sont seulement suggérées dans l'Iliade : après la mort de Patrocle, Thétis adresse ce reproche à son fils : « Mon enfant, jusques à quand, pleurant et gémissant, consumeras-tu ton cœur, oubliant de manger et de dormir ? Cependant il est doux de s'unir par l'amour à une femme. »

Chez les poètes tardifs, l'allusion est limpide ; ainsi des mots d'Achille adressés à Patrocle : « Quel commerce plus doux que tes embrassements ? »

D'autres couples sont formés par Oreste et Pylade ; Thésée et Pirithoos ; Sarpédon et Atymnios ; Calamos et Carpos ; Hipparinos et Achéos ; le plus fameux d'entre les héros : Héraclès et Hylas, Héraclès et Sostratos, Héraclès et Abdéros (?).

Quant aux initiateurs, aux inventeurs de la pédérastie en Grèce, deux noms sont évoqués : Orphée, trop accablé par la perte d'Eurydice, se console auprès de jeunes garçons, et c'est pourquoi les Ménades, par jalousie et humiliation, le mettent en pièces ; on dit également que Minos est l'inventeur de la pédérastie, en faisant de lui le ravisseur de Ganymède.

Pédérastie. Ganymède enlevé par l'aigle.
Pédérastie. Ganymède enlevé par l'aigle.