monstres

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Êtres remarquables par leur difformité, leurs dimensions ou leur caractère composite, et généralement dangereux.
Les monstres et les autres animaux fabuleux font partie de la mythologie au même titre que les dieux, les rois et les héros. On peut même avancer que ces derniers n'existeraient pas sans les monstres. En les tuant, ces hommes exceptionnels s'accomplissent, acquièrent le statut de héros, accèdent au pouvoir (terrestre), parfois à la divinité, ou, le temps de leur combat, participent du combat des dieux ; mais c'est aussi à eux qu'ils doivent leur déchéance ; affronter le monstre est une étape obligée de leur parcours initiatique. À chaque héros son monstre et à chaque monstre son héros, est-on tenté de dire.
Quelles sont les caractéristiques du monstre ? Et que représente cette créature-devant-être-anéantie, dont l'aspect et les attributions varient, mais dont le pouvoir, lui, est invariablement maléfique ?
Le monstre est localisé. Il vit généralement dans une contrée précise : c'est le Minotaure, en Crète ; la Chimère en Carie ; Charybde et Scylla en Sicile ; les lions à Némée et sur le Cithéron ; Glaucétès en Érythrée ; le sanglier à Calydon ; le Sphinx à Thèbes ; Phaïa, la truie gigantesque, à Crommyon...
Le monstre est lié à un dieu. Lorsqu'il est son enfant « génétique », le couple divin qui lui a donné naissance appartient aux divinités primordiales, c'est-à-dire à celles qui ont immédiatement succédé au Chaos. Le monstre peut être l'enfant spirituel d'un dieu ; éventuellement élevé par lui, il est l'instrument de la vindicte divine : Sphinx est celui d'Héra qui veut punir les Thébains ; Poéné est l'envoyé d'Apollon qui veut venger la mort de Psamathée ; le sanglier dit « de Calydon » est expédié dans le pays par Artémis jalouse. Le monstre ravage alors le territoire et terrorise les hommes.
Dialectique monstre-héros
Être hybride, le monstre est doté d'une force extraordinaire, à tout le moins de pouvoirs qui défient le courage ou l'ingéniosité du héros qui l'affronte et qui, parfois, doit se faire seconder : Thésée tue le Minotaure avec l'aide d'Ariane ; Héraclès, l'Hydre de Lerne avec Iolaos ; Bellérophon, la Chimère avec Pégase ; Persée décapite Méduse avec les armes remises par les dieux. Œdipe semble faire figure d'exception ; mais son combat contre le Sphinx est d'une autre nature : il est intellectuel.
Le plus souvent, le monstre demeure dans un antre ou une région souterraine ; en d'autres termes, il est lié à la terre dans ce qu'elle a de plus sombre, de plus inaccessible, de plus inextricable. Le héros, lui, se meut à la surface du sol, en un espace dégagé ; c'est d'ailleurs un grand marcheur. Et, au-dessus de lui, se trouvent les dieux. Le héros doit donc s'enfoncer d'abord dans les ténèbres, s'il veut rejaillir à la lumière. L'exemple le plus éclatant est celui de Cerbère, le chien gardien de l'Hadès ; cette épreuve, la dernière d'Héraclès, est aussi considérée comme la plus difficile : le fils de Zeus et d'Alcmène accède ensuite à l'immortalité, c'est-à-dire qu'il rejoint l'Olympe, à travers les flammes purificatrices qui s'élèvent de son bûcher, et se réconcilie avec son ennemie jurée de la veille, Héra.
Il arrive toutefois que le héros, enivré par sa victoire sur le monstre, et se croyant investi d'un pouvoir qui le place au-dessus des autres hommes, imagine, dans sa candeur perdue, d'être capable de rivaliser avec les divinités : ces dernières le châtient et sa chute s'ensuit. Le monstre est mort, mais son fantôme est toujours présent, révélateur d'une âme, héroïque sans doute, mais suffisante et vaniteuse. Bellérophon est assez pur pour refuser les avances amoureuses de la reine Anthée ; malgré tout calomnié, il est envoyé par le roi Proétos auprès d'Iobatès, le roi de Lycie ; Bellérophon démontre l'étendue de sa candeur, en remettant à Iobatès les tablettes fermées que lui a confiées Proétos, sur lesquelles il est écrit qu'il faut supprimer le porteur du message. Iobatès confie donc à Bellérophon la mission de tuer la Chimère, espérant qu'il y perdra la vie. Mais grâce au cheval ailé, Pégase, autre créature fabuleuse, don d'Athéna, Bellérophon vainc la Chimère. Et là encore, le héros prouve combien il est naïf, à se croire l'unique vainqueur du monstre, à s'imaginer qu'il a su remporter la victoire seul. Mais sa naïveté, cette fois, est mauvaise, car entachée d'orgueil. Oublier qu'il a su vaincre sans la déesse, lui coûte cher : grisé par l'illusion de sa force, Bellérophon entreprend de rejoindre l'Olympe, mais, désarçonné par l'intervention de Zeus (à l'image d'un Phaéton qui se nattait de pouvoir conduire le char du Soleil), il finit ses jours aveugle, boiteux et seul. Ainsi ses forces n'étaient-elles que pures... chimères.
D'un point de vue moral, le monstre « incarne » souvent, sinon toujours, une perversion de l'esprit, un spectre de la psyché. Il matérialise une intention maligne envers l'homme, donc une impiété envers les dieux bienveillants. Combattre le monstre, c'est combattre sa mauvaise foi, donner corps, pour les dépasser, aux peurs intérieures trop souvent refoulées, résoudre le conflit par la victoire, accéder à la vérité.
Les créatures fabuleuses


