Turnus
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Roi des Rutules, adversaire d'Énée en Italie.
Fils de Daunus et de la nymphe Venilia, ou de Glaucus et de Venilia, Turnus Herdonius règne sur les Rutules (les Rouges) ; leur capitale, située dans le Latium, est Ardée (à une trentaine de kilomètres de Rome). La fille du roi Latinus, Lavinia, qui lui a été promise comme épouse, est offerte à Énée, lorsque après avoir quitté Troie en flammes, il débarque en Italie.
Exhorté par l'Érinye Alecto, qui d'abord a pris les traits de Calybé, la prêtresse de Junon, puis son véritable aspect, Turnus porte les armes contre son rival. Prié instamment de cesser le combat, une première fois par le roi Latinus, une seconde par la reine Amata, Turnus, qui considère cette attitude comme une lâcheté, refuse. Sauvé dans un premier temps grâce au concours de Junon, éloigné de la mort par sa sœur Juturne, Turnus ne peut ensuite échapper à son destin : il est tué par Énée en combat singulier.
Si Énée est le véritable « héros » de l'Énéide, le lecteur ne peut s'empêcher d'éprouver une grande admiration pour Turnus : c'est un guerrier plein de noblesse, de passion et de fierté, qui n'a qu'un objectif : sauver son pays du colonisateur Énée, Énée le « fuyard », Énée « le lâche », Énée « l'eunuque » – même si, parfois, Lavinia, tout comme Hélène, passe pour l'enjeu de la guerre. Quand Juturne tente désespérément de le sauver, Turnus s'offense : « va-t-il tourner le dos, et le sol de sa patrie verra-t-il Turnus en train de fuir ? Est-ce donc un si grand malheur de mourir ? Que les Mânes, soient bons pour lui, puisque les dieux du ciel se sont détournés ; Turnus descendra chez eux, âme sainte et innocente de toute faute, sans jamais avoir été indigne de ses grands ancêtres. »
Si Turnus a été vaincu, si finalement il a tort, c'est parce que les dieux sont contre lui. Et puis, ne se rapproche-t-il pas, par certains aspects, du héros des Français gallophiles : Vercingétorix ?
Voir aussi : Pallas (Variante 3)
Portrait de Turnus
Turnus en personne, de toute sa prestance, parmi les premiers,
va et vient, les armes à la main, et de sa tête, domine la foule.
Son haut casque, empanaché d'une triple crête,
soutient une Chimère, dont la gueule souffle du feu comme l'Etna ;
et plus les combats se font cruels, et baignent dans le sang,
plus elle rugit, et devient farouche sous l'effet des sinistres flammes.
Mais sur le fin bouclier, Io, les cornes levées, en une empreinte d'or,
figurait, déjà couverte de soies, déjà génisse,
thème si répandu ! avec Argus, le gardien de la jeune vierge,
et son père Inachus déversant un fleuve d'une urne ciselée.
Une nuée de fantassins suit Turnus, et des armées portant boucliers
emplissent les plaines ; il y a la jeunesse argienne,
et la troupe des Auronques, les Rutules et les Sicaes antiques,
la troupe des Sacranes, les Labicans avec leurs boucliers peints ;
il y a ceux qui labourent tes vallons, Tiberinus, et les saintes rives du Numicus,
ceux qui retournent à la charrue les collines des Rutules,
et la crête de Circé. Sur ces champs régnent
Jupiter Anxurus et Feronia, qui se complaît dans un bois verdoyant ;
là s'étend le sombre marais de Satura, et l'Ufens glacé cherche sa voie
à travers de profondes vallées, avant de disparaître dans la mer.
Virgile
La mort de Turnus
Turnus se sent abandonné par les dieux :
Tandis qu'il hésite, Énée brandit le trait fatal,
des yeux il choisit son moment et, tendant tout son corps,
lance de loin son arme. Jamais pierre que lance contre les murs
une machine de guerre ne fait un tel bruit, jamais la foudre ne produit
un si grand fracas. Comme un noir tourbillon, la pique s'envole,
porteuse d'une mort horrible ; elle déchire les bords de la cuirasse
et le dernier cercle du bouclier fait de sept peaux superposées :
en sifflant elle transperce le milieu de la cuisse. Sous le coup,
le grand Turnus, genoux ployés, s'affale sur le sol.
Les Rutules d'un bond se lèvent en gémissant ; la montagne résonne
dans les alentours et les bois profonds répercutent au loin leurs voix.
Lui, tel un suppliant, avec ses yeux humbles et sa main tendue,
il implore : « En vérité, j'ai mérité mon sort, et ne demande pas grâce », dit-il ;
« jouis de ta chance. Si tu peux être un peu sensible au souci que j'ai
de mon malheureux père (ton père Anchise aussi t'en a donné),
je t'en prie, aie pitié du vieux Daunus, et rends-moi aux miens,
ou si tu le préfères, rends-leur mon cadavre privé de lumière.
Tu es le vainqueur, et le vaincu te tend les mains
sous les regards des Ausoniens ; Lavinia t'échoit comme épouse,
ne pousse pas plus loin ta haine. » Dressé, redoutable
sous ses armes, Énée détourna les yeux et retint son bras ;
déjà la prière de Turnus commençait à fléchir son cœur hésitant
de plus en plus, lorsque par malheur apparut sur l'épaule ennemie,
le baudrier de Pallas, et que brillèrent sur les lanières les clous familiers
du baudrier de l'enfant vaincu que Turnus avait frappé et abattu,
avant d'arborer sur ses épaules l'insigne de son ennemi.
Dès que ces objets évoquant une douleur cruelle eurent empli ses yeux,
Énée, excité par les Furies, plein de colère, se fit terrible :
« Toi qui t'es revêtu des dépouilles des miens, tu pourrais
m'être arraché à présent ? C'est Pallas, qui, par ce coup, oui, c'est Pallas,
qui t'immole, et tire vengeance en répandant ton sang impie. »
Sur ce, dans son ardeur, il enfonce son épée dans le cœur de son ennemi ;
les membres de Turnus s'abandonnent, gagnés par le froid,
et sa vie, dans un gémissement, s'enfuit indignée chez les ombres.
Virgile