Tunique de Nessus

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Vêtement offert par Déjanire à Héraclès, préalablement imprégnée du sang du Centaure Nessus (Nessos).

Blessé mortellement par Héraclès, Nessus, pour se venger, a fait croire que son sang est un puissant philtre d'amour. Lorsque le héros revêt la tunique, celle-ci adhère à sa peau en occasionnant de mortelles brûlures.

Le poison violent se répand dans tout son corps avec la rapidité de l'éclair. Longtemps Héraclès se retient de gémir. Mais bientôt, malgré son courage, la douleur est trop forte : l'Œta et ses forêts retentissent de ses cris. Héraclès veut arracher la tunique ; mais elle colle à sa peau. Et quand, malgré tout, le tissu est emporté, il emmène avec lui des lambeaux de chair. La sang coule, un sang qui durcit sous l'action du poison. Les entrailles se décomposent, les veines éclatent comme du verre. Désespéré, souffrant trop, Héraclès se tourne alors vers le ciel et implore Héra, son ennemie : elle a eu ce qu'elle veut, qu'elle fasse à présent preuve de compassion ! Qu'elle lui ôte la vie, cette vie qui lui est odieuse, cette vie qui ne lui a été donnée que pour l'effort !

Voir aussi : Nessus, Héraclès, Déjanire

La tunique de Nessus

Déjanire comprend le mal qu'elle a fait, en offrant à Héraclès la tunique enduite du sang du Centaure. Le coryphée tâche de lui rendre confiance. Paraît Hyllos, hors de lui. Il annonce à Déjanire qu'elle a tué son époux. Elle le presse alors de questions, et c'est ainsi qu'il répond.

Puisqu'il faut te l'apprendre, eh bien ! je te dirai tout. Quand, après avoir saccagé l'illustre ville d'Eurytos, Héraclès partit, emportant les trophées et le butin de la victoire, il se rendit sur la côte de d'Eubée qu'entoure la mer, là où se dresse le promontoire Kénaeon [Cénaion] : il y consacre à Zeus, père de sa race, des autels et une enceinte boisée. C'est là que je le revis pour la première fois, tout joyeux, après une longue attente. Comme il s'apprêtait à égorger les innombrables victimes, se présente, venant du palais, le héraut de notre maison, Lichas : il apportait ton présent, la tunique mortelle. Mon père la revêt, suivant ton désir, et immole douze taureaux irréprochables, prémices de son butin ; en tout, il sacrifie cent victimes de toute espèce. D'abord l'infortuné, le cœur en fête, fier de sa magnifique parure, fit au dieu sa prière ; mais comme la flamme du sacrifice auguste s'élevait, sanglante, du bois résineux, la sueur coule de son corps, la tunique s'attache à ses flancs, elle se colle, comme les plis des statues, sur tous ses membres, elle mord ses os et les tiraille, puis un venin semblable à celui de l'odieuse et meurtrière vipère le dévore. Alors, à grands cris, il appelle le malheureux Lichas, qui était innocent de ton crime, et lui demande par quelle trahison il lui a apporté ce vêtement ; l'infortuné, qui ne savait rien, répond que c'est de toi seule que vient le présent, et qu'il est tel que tu l'as envoyé.

À ce moment, une convulsion douloureuse secoue les flancs d'Héraclès : saisissant le héraut par le pied, à l'endroit du talon, il le précipite sur un écueil battu par les vagues ; de son crâne fendu en deux jaillit la cervelle avec un flot de sang. Tout le peuple pousse des gémissements à la vue de mon père en proie au terrible mal, et de Lichas sans vie, mais personne ne se sent l'audace d'intervenir. Lui se débattait, tantôt à terre, tantôt debout, criant, se lamentant ; au loin retentissaient les rochers et les montagnes du pays des Locriens et les promontoires de l'Eubée. Enfin, se jetant à terre, le malheureux ! faisant entendre des cris pitoyables, il maudit, ô infortunée ! ta couche funeste et l'alliance d'Œnée, d'où lui est venu le fléau de sa vie ; puis, levant ses yeux troublés par la noire fumée du sacrifice, il m'aperçoit au milieu de la foule, fondant en larmes ; il se tourne vers moi, il m'appelle « Ô mon fils, dit-il, viens, ne fuis pas loin de ma misère, dût-elle causer ta mort comme la mienne ; prends-moi, emporte-moi, dépose-moi en un lieu où nul mortel ne puisse me voir ; si tu as quelque pitié de ton père, tire-moi de ce pays, hâte-toi : que je ne meure pas ici ! »

Telle fut sa prière, et aussitôt nous le mîmes sur un navire et, à grand-peine, nous le poussâmes vers ces bords, rugissant et se tordant de douleur. Tout à l'heure vous le verrez, vivant encore ou mort depuis peu. Voilà, ma mère, l'attentat que tu as médité et commis contre mon père ; tu es prise sur le fait : que la Justice et l'Érinye vengeresses te châtient ! Si ce vœu m'est permis, je le forme, et qui pourrait me l'interdire ? Toi-même l'as rendu légitime en donnant la mort à l'homme le meilleur qui fut sur cette terre, à un héros comme tu n'en verras jamais plus.

Sophocle