Tarpeia
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Romaine victime de sa trahison.
La jeune Tarpeia est la fille de Spurius Tarpeius qui commande la citadelle de Rome, lors de la guerre contre les Sabins. Elle promet à leur chef, Tatius, de leur ouvrir les portes de la citadelle à condition que les Sabins lui remettent ce qu'ils portent à leur bras gauche, convoitant en cela les bracelets incrustés de pierres précieuses. Tatius promet et, de son côté, Tarpeia tient parole. Quand la porte du futur Capitole est ouverte – celle même dont Tarpeius, père de Tarpeia est le gardien –, Tatius ordonne à ses hommes de donner à la jeune fille ce qu'ils portent à leur bras gauche. Et les guerriers, en plus de leurs bracelets, jettent sur la jeune fille leur pesant bouclier « pour faire croire que la force seule les avait rendus maîtres de ce poste, soit pour prouver que nul n'est tenu à la fidélité envers un traître ». Tarpeia périt étouffée, écrasée.
Tarpeia, pour commettre son forfait, aurait choisi le jour anniversaire de la fondation de Rome, alors que la surveillance, en ce jour de fête, a été relâchée. Properce précise que si Tarpeia trahit sa patrie, c'est parce qu'elle éprouve un amour immodéré pour Tatius ; son unique objectif, en agissant de la sorte, est de devenir sa femme.
Les Romains donnent le nom de Tarpeia au rocher (Tarpeium saxum) du haut duquel ils précipitent les traîtres et les parjures. C'est ainsi qu'en 384 av. J.-C. Marcus Manlius est mis à mort pour avoir aspiré la royauté (et bien qu'il ait sauvé le Capitole de l'invasion gauloise). À la suite de quoi une loi interdit aux patriciens de posséder une maison sur le Capitole, là où Manlius a eu la sienne. Camille y élève, en 344 av. J.-C., le temple de Junon Moneta.
Variantes : Tarpeia a-t-elle trahi sa patrie ?
I. Pour l'annaliste Lucius Calpurnius Pison, Tarpeia doit au contraire être considérée comme une héroïne, elle qui a voulu s'emparer des boucliers des ennemis de Rome. (Sa tombe est alors régulièrement honorée par des libations).
II. Pour Florus, Tarpeia n'a pas vraiment l'intention de trahir sa patrie. En récompense de son action, elle a demandé aux Sabins ce qu'ils portent à la main gauche, sans préciser si elle fait allusion aux bracelets ou aux boucliers. Les Sabins, pour dégager à la fois leur parole et pour se venger, écrasent Tarpeia sous leurs boucliers.
III. Enfin, Plutarque mentionne que certains auteurs ont fait de Tarpeia la fille de Tatius ; contrainte de vivre avec Romulus, elle se serait vengée, mais n'en aurait pas moins été châtiée par son père. Plutarque qualifie ce récit d'incroyable.
Noter que le comportement de Tarpeia, et ses conséquences, ne sont guère originales. D'autres traîtresses à leur patrie sont bien connues : Scylla, à Mégare, qui trahit son père par amour pour Minos ; Pisidicé, à Lesbos, trahit son père par amour pour Achille ; Comaitho, à Taphos, tue son père pour Amphitryon. Dans tous les cas, l'ennemi profite d'abord de l'opportunité apportée par la traîtrise de la femme, puis met à mort cette dernière.
Tarpeia
Je dirai les bois du Capitole, le déshonneur et le tombeau de Tarpeia, et la prise de ces lieux, où résidait l'antique majesté de Jupiter.
Une forêt épaisse environnait une grotte que le lierre tapissait, et une source naissante murmurait au milieu des arbres. C'était la demeure d'un Silvain. Plus d'une fois, la flûte harmonieuse du berger y conduisit, au milieu du jour, ses troupeaux altérés : mais alors Tatius avait environné la source d'un retranchement solide, et la terre, amoncelée de toutes parts, protégeait ses guerriers fidèles. Oh ! que Rome était faible, quand la trompette des Sabins ébranlait de ses lourds accents les rochers du Capitole, quand leur lance brillait dans ce Forum auguste, où l'univers conquis vient aujourd'hui recevoir des lois ! Nos remparts, c'était la montagne elle-même ; ces lieux où s'élève le palais du sénat, c'était une source à laquelle se désaltérait le belliqueux coursier. Tarpeia, la tête courbée sous une urne d'argile, y puisait aussi l'eau du sacrifice. Que n'a-t-elle eu, grands dieux ! plusieurs morts à souffrir, cette femme coupable, qui voulut trahir les feux éternels de Vesta !
Elle vit, un jour, Tatius s'exercer dans la plaine poudreuse, et couronner de ses armes brillantes les feux de son cimier. La beauté du roi et de ses armes la frappe, elle oublie tout, et l'urne échappe de ses mains. Souvent elle accusa d'un triste présage l'astre innocent de la nuit, et, pour le détourner, elle voulut répandre sur sa tête l'eau du fleuve ; souvent aussi elle offrit aux nymphes le lis argenté, pour que la lance romaine ne défigurât pas le beau Tatius ; et lorsqu'aux premiers feux de la nuit elle remontait au Capitole, les bras déchirés par les buissons qui hérissent le sentier, elle s'assit au haut de la montagne, et pleura en ces mots un amour criminel, que Jupiter eût dû punir de son temple voisin :
Feux des Sabins, dit-elle, tentes des guerriers de Tatius, armes brillantes qui avez tant de charmes à mes yeux, oh ! que ne suis-je captive au milieu de leurs foyers ! là, du moins, je pourrais contempler les traits de mon Tatius. Et vous, montagnes sur lesquelles Rome fut fondée ; et toi, Vesta, qui rougis de ma honte, je vous maudis ! Bientôt, le généreux coursier, dont il caresse souvent l'ondoyante crinière, va emporter au loin mes amours. Pourquoi s'étonner encore que Scylla ait dérobé à son père le cheveu fatal, et que les dieux attachent à ses flancs une meute farouche ? Pourquoi s'étonner qu'Ariane ait trahi son frère même, en ouvrant à Thésée les tortueux détours du Labyrinthe ? De quel opprobre ne vais-je pas couvrir, à mon tour, les vierges romaines, moi prêtresse indigne et criminelle du foyer de Vesta ? Mais, du moins, si l'on trouve éteints les feux sacrés, qu'on me pardonne mon crime : c'est que l'autel fut baigné de mes pleurs.
Demain, si j'en crois un bruit sourd, on se battra dans Rome. Cher Tatius, occupe cette montagne humide et couverte de ronces. La route est glissante et perfide, car souvent elle cache une eau dormante sous un sentier trompeur. Oh ! si je connaissais les enchantements de l'art magique, comme ma langue secourrait aussi le héros que j'aime ! Que la pourpre te sied mieux qu'à ce Romulus, qui suça, loin des caresses de sa mère, les sauvages mamelles d'une louve cruelle ! Que je partage ta couche comme amante ou comme reine : car Rome, que je trahis, n'est point une dot à dédaigner ; ou du moins, ne laisse pas impuni l'enlèvement des Sabines ; mais exerce, en me ravissant, des représailles trop justes. Je puis ramener la paix au milieu des combats. Venez, jeunes épouses, venez jurer l'alliance sur l'autel qui recevra nos serments ; que l'hymen entonne ses cantiques ; que la trompette cesse des chants guerriers : oui, mon union avec Tatius adoucira tous les ressentiments.
Mais déjà la trompette a sonné la quatrième veille et l'approche du jour ; déjà l'étoile s'incline et tombe dans les flots : j'appellerai le sommeil, et qu'un doux songe ramène devant mes yeux et à ma pensée ton image chérie.
Elle dit, et abandonne ses sens à un repos agité, sans penser, hélas ! qu'un feu nouveau dévore ses veines : car Vesta, qui veille sur les cendres d'Ilion, entretient néanmoins une ardeur coupable et allume un violent incendie au cœur de la prêtresse. Soudain Tarpeia s'élance, comme l'Amazone au sein nu lorsqu'elle devance les flots impétueux du Thermodon.
On célébrait à Rome la fête que nos aïeux consacrèrent à Palès, et le jour qui vit le premier nos remparts naissants. Les bergers passaient dans les festins et les jeux cet anniversaire. On voyait les tables somptueusement chargées de mets rustiques, et une foule ivre de joie et de vin franchir çà et là d'un pied poudreux quelques bottes de paille enflammées. Romulus avait accordé le repos à tous les guerriers, et la trompette ne troublait point le silence du camp romain. Tarpeia croit l'instant propice ; elle vole à Tatius, le lie par un serment, et l'accompagne pour accomplir les siens.
La montagne était difficile à franchir ; mais la fête en ouvre l'accès, et Tarpeia égorge sans retard les chiens dont elle redoute la vigilance. Tout paraissait plongé dans le sommeil ; Jupiter seul veillait pour punir une telle perfidie. Déjà elle a livré Rome endormie, en livrant la porte qui fut confiée à sa garde, et elle demande à Tatius de fixer à son gré le jour qui doit éclairer son hymen. Mais l'ennemi des Romains ne veut point couronner une trahison si noire : « Viens, dit-il, monte sur le trône où je règne ; » et aussitôt les guerriers sabins accablent l'infortunée du poids de leurs armes, seule dot que méritât son infamie.
Malheureux Tarpeius ! le Capitole a porté ton nom. Ce fut une triste consolation du coup affreux qui te frappa.
Properce
