Polyphème

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

1. Cyclope.
Fils de Poséidon et de la nymphe Thoosa, Polyphème est un géant carnivore, un Cyclope, avec un œil unique au milieu du front.
Ulysse
Poussés par la nécessité, Ulysse et ses compagnons abordent dans son île (dans l'Odyssée, il fait le récit de cet épisode au roi Alcinoos). Quand ils parviennent à cette terre, ils voient, à son extrémité, une haute caverne ombragée de lauriers, près de la mer. Et là, reposent de nombreux troupeaux de brebis et de chèvres. Auprès, il y a un enclos pavé de pierres taillées et entouré de grands pins et de chênes aux feuillages élevés.
Mais ignorant encore la nature de leur hôte, Ulysse choisit douze de ses compagnons et se dirige vers la caverne. Polyphème est absent. Devant l'abondance de victuailles, les marins d'Ulysse n'ont alors qu'une envie : s'emparer de plus possible de vivres et partir. Mais le chef refuse, comptant sur la générosité de l'occupant.
Finalement Polyphème arrive, avec son troupeau de brebis qui se dispersent dans l'antre. Ulysse, lui demande de leur accorder l'hospitalité. Pour toute réponse, Polyphème étend les mains sur ses compagnons et il en saisit deux et les écrase contre terre comme des petits chiens. Et leur cervelle jaillit et coule sur la terre. Et, les coupant membre à membre, il prépare son repas. Il les dévore comme un lion montagnard et il ne laisse ni leurs entrailles, ni leurs chairs, ni leurs os pleins de moelle. Et Ulysse et ses autres compagnons, en gémissant, lèvent leurs mains vers Zeus, en face de cette chose affreuse et le désespoir envahit leur âme. Après quoi, le géant s'assoupit, devant l'énorme rocher qui bloque la sortie.
Le lendemain matin, Polyphème déjeune de deux marins, puis sort avec ses bêtes, refermant derrière lui la caverne en roulant le rocher. Pendant son absence, les captifs s'emparent de la grosse massue de leur hôte : ils la polissent et en taillent la pointe. Le soir venu, le Cyclope s'empare de nouveau d'une paire de matelots qu'il dévore. Ulysse, qui prétend s'appeler Personne, l'invite à boire de son vin, du vin doux, si doux qu'après avoir avalé quelques gorgées, Polyphème ne peut se retenir d'en demander encore et encore, jusqu'à ce qu'il s'écroule, ivre mort.
Pendant son sommeil, les prisonniers plongent dans le feu le pieu qu'ils ont taillé. Quand il commence à flamber, Ulysse le retire des braises. Ses compagnons l'entourent, animés d'un grand courage. Ayant saisi l'épieu d'olivier par le bout, ils l'enfoncent dans l'œil du Cyclope et Ulysse le tourne en appuyant dessus. Le sang jaillit ; la vapeur de la pupille brûle les paupières et le sourcil ; les racines de l'œil frémissent.
Polyphème hurle de douleur et s'arrache le pieu, tout en appelant ses voisins Cyclopes. Ceux-ci se présentent devant la grotte et veulent connaître la raison d'une telle colère. Qui le tue ? Personne, répond Polyphème, en faisant allusion au nom d'Ulysse. Ainsi, puisque ce n'est personne, les Cyclopes s'en retournent à leurs occupations.
Le lendemain matin, Ulysse et ses compagnons réussissent à sortir de la caverne, cachés sous le ventre des béliers, préalablement attachés ensemble, trois par trois. Ulysse est si heureux de s'être joué de Polyphème qu'une fois en mer, à peine éloigné de la côte, il l'accable de ses sarcasmes, ne pouvant s'empêcher de crier qui il est : Ulysse, le fils de Laërte, le pilleur de Troie.
N'ayant pu l'atteindre avec ces rochers jetés au hasard vers le large, Polyphème invoque son père Poséidon, pour qu'il se charge de la vengeance.
Galatée
Polyphème est également connu pour l'amour qu'il porte à Galatée. Théocrite le présente sincère, presque pitoyable. Mais la nymphe n'a d'yeux que pour son jeune berger, Acis. Désespérément jaloux, Polyphème écrase le garçon sous un rocher.
2. Lapithe, fils d'Élatos et d'Hippée, et Argonaute.
Polyphème est le premier à annoncer à Héraclès que le jeune Hylas a disparu, probablement victime de voleurs ou de bêtes féroces. L'Argo repart sans lui. Polyphème termine ses jours chez les Chalybes, « les plus misérables des mortels » ; il fonde la ville de Cios en Mysie sur laquelle il règne.
Le Cyclope et Personne
le chœur. Qu'as-tu donc à crier, Cyclope ?
le cyclope. C'est fait de moi.
le chœur. Tu es affreux à voir.
le cyclope. Et bien malheureux.
le chœur. Est-ce que, dans ton ivresse, tu serais tombé parmi les charbons ardents ?
le cyclope. L'auteur de mon mal, c'est Personne.
le chœur. Nul ne t'a donc maltraité ?
le cyclope. Je te dis qu'on m'a crevé l'œil et que c'est Personne.
le chœur. Tu n'es donc point aveugle !
le cyclope. Puisses-tu l'être aussi peu que moi !
le chœur. Mais comment, par le fait de personne, devenu-aveugle ?
le cyclope. Tu me railles ! Mais où est-il, Personne ?
le chœur. Nulle part, Cyclope.
Euripide
Déclaration d'amour de Polyphème à Galatée
Ô blanche Galatée, plus blanche à voir que le lait des brebis, plus délicate que l'agneau, plus vive que la génisse, toi dont la beau brillante est plus lisse que l'enveloppe des raisins verts, pourquoi dédaignes-tu celui qui t'aime ? Tu viens sur cette plage quand le sommeil m'enveloppe de ses voiles ; mais quand le sommeil me lâche, tu fuis comme la brebis quand elle a vu le loup blanc. Je commençai à t'aimer, jeune fille, le jour où, pour la première fois, tu vins avec ma mère cueillir sur la montagne des fleurs d'hyacinthe. Je vous montrai la route. Depuis ce jour je t'aime, et ne puis cesser de t'aimer. Mais toi tu t'en soucies peu, cela t'est égal. Par Zeus ! Je sais, charmante jeune fille, pourquoi tu me fuis : c'est parce que j'ai un épais sourcil qui s'étend sur mon front de l'une à l'autre oreille ; c'est parce que je n'ai qu'un seul œil, et qu'un large nez descend sur ma lèvre. Mais tel que je suis, je fais paître mille brebis, qui me fournissent un lait délicieux : je ne manque de fromages ni en été, ni en automne, ni pendant le plus rigoureux hiver ; en tout temps, mes éclisses sont pleine ; je sais jouer de la syrinx mieux que tous les Cyclopes qui habitent cette île, et souvent je chante tes charmes, ô chère pomme à la douce saveur, souvent je chante mon amour jusque bien avant dans la nuit. Je nourris pour toi onze petites biches, que j'ai ornées de colliers, et quatre petits ours. Viens près de moi, et tu n'y perdras rien ; laisse la mer azurée se briser contre le rivage ; la nuit te sera plus heureuse, lorsque tu la passeras avec moi dans la grotte. Là s'élèvent des lauriers et de minces cyprès, là rampe un lierre noir et une vigne aux doux fruits, là coule une onde fraîche que me verse l'Etna de ses rochers couverts de neige blanchissante, et qui me fournit une boisson délicieuse. Peux-tu préférer à tout cela ton humide séjour au sein des flots bruyants ? Si tu me trouves trop velu, j'ai du bois de chêne dans ma grotte, un feu qui ne s'éteint jamais veille chez moi sous la cendre ; viens, et je souffrirai tout ; je te laisserais brûler et mon âme et mon œil unique, qui m'est plus cher que tout au monde. Malheureux que je suis ! pourquoi ma mère ne m'a-t-elle pas enfanté avec des branchies ? Je plongerais vers toi, et je baiserais ta main, si tu me refusais ta bouche. Je te porterais ou un lis blanc ou un pavot aux pétales rouges : je ne pourrais te porter tous les deux à la fois, car l'un vient en été et l'autre en hiver. Maintenant au moins j'apprendrai à nager, jeune fille, vienne quelque vaisseau chargé d'étrangers ; et j'apprendrai à l'instant même, afin de voir quels bonheurs vous retiennent ainsi au fond de l'abîme. Puisses-tu en sortir, ô Galatée ; puisses-tu, en étant sortie, oublier, comme je le fais à cette heure, de retourner au bois ! puisse-t-il te prendre envie de faire paître les troupeaux avec moi, de traire les brebis, de faire des fromages en caillant le lait avec de la présure aigre ! Ma mère est cause de mon malheur, et c'est elle que j'accuse. Elle ne t'a jamais dit un mot en ma faveur, elle qui chaque jour me voit dépérir. Je lui dirai que les pieds me font mal et que ma tête brûle, afin de lui faire de la peine, puisque moi aussi je suis affligé.
Théocrite
