Coriolan

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Tribun romain.
De son vrai nom Gnaeus (Cneius, Gaius) Marcius, ce Romain est surnommé Coriolan pour s'être distingué lors de la prise de la cité Volsque de Corioli (Corioles), en 493 av. J.-C. Non seulement il vainc les ennemis, mais il refuse le riche butin qui lui revient, attitude qui accroît sa vertu aux yeux des Romains.
Deux ans plus tard, Rome est le théâtre de troubles populaires. Pendant la guerre, aucune terre n'a été ensemencée et les vivres n'ont pu être importés. S'ensuit une disette qui entraîne la colère des chefs de la plèbe contre les riches, ces derniers accusés d'avoir provoqué la famine.
Finalement du blé arrive à Rome, en assez grande quantité, au point qu'on peut croire que les dissensions disparaîtront avec la disette. Le sénat se réunit. Il est déjà question de vendre ce blé à bas prix, de manière que les plus pauvres puissent se nourrir, quand Coriolan, fort de ses triomphes, et assuré de son charisme, s'élève contre une telle décision, accusant les sénateurs de vouloir bassement plaire à la multitude, laquelle, à son avis, est trop complaisamment écoutée, et qui finira par refuser toute autorité. Si le discours de Coriolan convainc quelques jeunes et les plus riches, les tribuns de la plèbe s'assurent aussitôt l'appui du peuple, qui tient une assemblée véhémente. Des troubles, des heurts s'ensuivent entre patriciens, tribuns, édiles... qui ne prennent fin qu'avec la nuit.
Le lendemain, Coriolan est sommé de s'expliquer : n'a-t-il pas, par ses propos, voulu la guerre civile ? Le discours qu'il prononce pour sa défense ne fait qu'exaspérer un mécontentement déjà très accentué. Un des tribuns, Sinicius, déclare alors que Coriolan est condamné à mort, jetable sur-le-champ du haut de la roche Tarpéienne. Mais l'excès de la sentence apparaît bien vite, même aux yeux des plébéiens : comment peut-on ainsi condamner à mort un des meilleurs citoyens romains, sans jugement ?
Le jugement a lieu : les tribus condamnent Coriolan à l'exil. À présent celui-ci n'a qu'une idée en tête : se venger des Romains. Il s'allie à ses ennemis de la veille, les Volsques, emmenés par le riche et puissant Attius Tullius. Attius Tullius hait les Romains ; il n'en faut pas davantage pour que les deux hommes s'entendent et fassent la guerre à Rome.
Les Romains multiplient les ambassades afin de faire revenir Coriolan à la raison. Rien n'y fait. Jusqu'au jour où, en 488, cette délégation est constituée de femmes uniquement, emmenée par Veturia, la mère de Coriolan, Volumnia sa femme, et ses enfants. Coriolan veut embrasser sa mère, mais celle-ci le repousse et l'interroge : a-t-elle en face d'elle un ennemi ou un fils ? elle-même, est-elle une captive ou bien une mère ? Elle lui rappelle que Rome renferme tout ce qu'il a de plus cher : sa maison, ses pénates, sa famille. Quel malheur, quelle honte pour d'elle d'avoir mis au monde ce fils qui se dispose à asservir Rome !
Cette fois, Coriolan se laisse fléchir. Il renonce à marcher sur Rome. Il ordonne à son armée de se retirer. Pour commémorer cet événement, on bâtit un temple à la Fortuna des Femmes sur la via Latina, non loin de Rome.
Variantes
I. Chez Plutarque, Volumnia est la mère de Coriolan et Vergilia, sa femme.
II. Coriolan passe le reste de ses jours auprès des Volsques ; selon une autre version, les Volsques ne lui pardonnent pas son revirement et l'assassinent ; selon une autre il se suicide.
Coriolan cède aux prières de sa femme et de sa mère
Alors, les dames romaines se rendent en foule auprès de Véturie, mère de Coriolan, et de Volumnie sa femme. Cette démarche fut-elle le résultat d'une délibération publique, ou l'effet d'une crainte naturelle à ce sexe ? je ne saurais le décider. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles obtinrent que Véturie, malgré son grand âge, et Volumnie, portant dans ses bras deux fils qu'elle avait eus de Marcius, viendraient avec elles dans le camp des ennemis, et que, femmes, elles défendissent, par les larmes et les prières, cette ville que les hommes ne pouvaient défendre par les armes. Dès qu'elles furent arrivées devant le camp, et qu'on eut annoncé à Coriolan qu'une troupe nombreuse de femmes se présente ; lui que, ni la majesté de la république, dans la personne de ses ambassadeurs, ni l'appareil touchant et sacré de la religion, dans la personne de ses prêtres, n'avait pu émouvoir, se promettait d'être plus insensible encore à des larmes féminines. Mais, quelqu'un de sa suite ayant reconnu, dans la foule, Véturie, remarquable par l'excès de sa douleur, debout au milieu de sa bru et de ses petits-enfants, vint lui dire : « Si mes yeux ne me trompent, ta mère, ta femme et tes enfants sont ici. » Coriolan, éperdu et comme hors de lui-même, s'élance de son siège, et court au-devant de sa mère pour l'embrasser ; mais elle, passant tout à coup des prières à l'indignation : « Arrête, lui dit-elle, avant de recevoir tes embrassements, que je sache si je viens auprès d'un ennemi ou d'un fils ; et si dans ton camp je suis ta captive ou ta mère ? N'ai-je donc tant vécu, ne suis-je parvenue à cette déplorable vieillesse, que pour te voir exilé, puis armé contre ta patrie ? As-tu bien pu ravager cette terre qui t'a donné le jour, et qui t'a nourri ? Malgré ton ressentiment et tes menaces, ton courroux, en franchissant nos frontières, ne s'est pas apaisé à la vue de Rome ; tu ne t'es pas dit : derrière ces murailles sont ma maison, mes pénates, ma mère, ma femme et mes enfants ? Ainsi donc, si je n'avais point été mère, Rome ne serait point assiégée ; si je n'avais point de fils, je mourrais libre dans une patrie libre. Pour moi, désormais, je n'ai plus rien à craindre qui ne soit plus honteux pour toi, que malheureux pour ta mère, et quelque malheureuse que je sois, je ne le serai pas longtemps. Mais, ces enfants, songe à eux : si tu persistes, une mort prématurée les attend ou une longue servitude. » À ces mots, l'épouse et les enfants de Coriolan l'embrassent ; les larmes que versent toutes ces femmes, leurs gémissements sur leur sort et sur celui de la patrie, brisent enfin ce cœur inflexible ; après avoir serré sa famille dans ses bras, il la congédie, et va camper à une plus grande distance de Rome ; ensuite, il fit sortir les légions du territoire romain, et périt, dit-on, victime de la haine qu'il venait d'encourir.
Tite-Live

