Cipus
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Préteur romain.
Comme il sort de la ville, Genecius Cipus est l'objet d'un prodige : sur sa tête ont poussé des cornes. Aussitôt les prêtres sont consultés afin de déterminer le sens de ce phénomène. Les haruspices annoncent à Cipus qu'il deviendra roi, s'il retourne dans la ville. Comme c'est un homme loyal, il choisit de lui-même de demeurer en exil. Pour le remercier, le sénat fait sculpter sa tête sur la porte Raudusculana, au pied de l'Aventin.
Cipus
Tel fut encore l'étonnement de Cipus, lorsque, dans l'onde du Tibre, il vit les cornes récentes dont son front était armé : il les vit, et d'abord, refusant sa foi à ce qu'il crut une image trompeuse, il porta souvent ses doigts à son front, toucha ce qu'il avait vu, et cessa d'accuser ses yeux d'imposture. Il revenait à Rome, vainqueur des ennemis ; il s'arrête, et, levant ses yeux et ses bras vers le ciel : « Dieux, s'écrie-t-il, quel que soit l'événement qu'annonce ce prodige, s'il est heureux, qu'il soit pour ma patrie et pour le peuple romain ; s'il est funeste, qu'il soit pour moi seul. » Il dit, et, sur des autels de gazon, l'encens fume pour apaiser les dieux. Le héros fait, avec la patère, des libations de vin, immole deux brebis, et, dans leurs entrailles palpitantes, cherche l'explication du prodige. L'haruspice tyrrhénien, qui les interroge avec lui, entrevoit de grands événements, d'abord obscurs et confus ; mais, lorsqu'il détourne des fibres de la victime son regard perçant, qu'il porte sur le front de Cipus : « Ô roi, s'écrie-t-il, je te salue ! Oui, Cipus, ces lieux et les citadelles du Latium obéiront à tes lois. Hâte-toi : marche vers ces murs dont les portes s'ouvrent devant toi : ainsi les Destins l'ordonnent. À peine entré dans Rome, tu seras roi, et tu porteras longtemps un sceptre pacifique. »
Cipus étonné recule, et, d'un air sombre, détournant ses regards de Rome : « Puissent les dieux, s'écrie-t-il, chasser loin de moi de tels présages ! Je m'imposerai pour toujours un juste exil, avant que le Capitole me reçoive comme roi d'un peuple libre. »
Il dit, et soudain il convoque le peuple et le sénat. Cependant il cache le présage funeste sous le laurier de la paix qu'a donné la victoire ; il monte sur un tertre que ses soldats robustes viennent d'élever, et, après avoir, selon l'usage antique, invoqué les dieux :
« Romains, dit-il, ici même est un homme qui, si vous ne le chassez de la ville, sera votre roi. Cet homme, je vous le désignerai plutôt par un signe que par son nom : des cornes s'élèvent sur sa tête. L'augure vous avertit que, s'il entre dans Rome, il y donnera ses lois. Il pouvait y paraître, les portes étaient ouvertes ; je l'en ai empêché ; et cependant personne ne lui est attaché de plus près que moi. Romains, défendez-lui votre ville ; et si vous le jugez coupable, chargez-le de fortes chaînes ou mettez fin à vos alarmes par la mort du tyran. »
Tel que les sifflements de l'Eurus dans une forêt de pins, ou tel que le bruit sourd des flots de la mer, entendu dans le lointain ; tel est le murmure qui s'élève dans l'assemblée du peuple romain. Mais au milieu des confuses clameurs de la foule frémissante, une voix s'élève, et crie : « Quel est cet homme ? » Tous se regardent les uns les autres, et cherchent des yeux l'homme que son front et l'oracle désignent. Cipus, reprenant la parole : « Celui que vous cherchez, le voici ! » Et, ôtant sa couronne, malgré le peuple, qui veut l'en empêcher, il découvre son front, chargé du signe funeste.
Tous ont baissé les yeux, tous font entendre des gémissements ; et, qui le croirait, le peuple regarde à regret ce front couvert de gloire ; et, ne pouvant souffrir qu'il reste plus longtemps sans honneur, il lui rend et replace lui-même le laurier qui le couvrait.
Ô Cipus ! puisque vous ne pouviez plus entrer dans Rome, le sénat voulut honorer votre vertu, et vous décerna autant de terrain que pouvait en enfermer un sillon tracé par la charrue depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, et fit graver, sur les portes d'airain de la ville, votre image, pour perpétuer la mémoire de cet événement.
Ovide
