Arétaphile

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Patriote et héroïne grecque.

Arétaphile de Cyrène a vécu temps de Mithridate ; rien ne la prédispose à s'illustrer pour sa patrie, ni à être honorée comme une héroïne. Elle est la fille d'Églator et de Phédime, tous deux personnages de haute condition. Sa merveilleuse beauté n'a d'égale que sa très grande intelligence, mais aussi son désintérêt pour la politique, jusqu'au jour où Nicocrate vient accabler sa patrie.

Nicocrate a usurpé le pouvoir souverain à Cyrène. Il a mis à mort un grand nombre de citoyens, et, entre autres, un prêtre d'Apollon, nommé Mélanippus, qu'il tue de sa propre main pour s'emparer du sacerdoce. Après qu'il a tué aussi le mari d'Arétaphile, il épouse cette dernière malgré elle. Il ne se contente pas d'avoir attenté aux lois. Il place aux portes de la ville des gardes commis pour outrager les morts que l'on conduit à leur dernière demeure. Ils percent leurs cadavres à coups de poignard et leur appliquent des fers brûlants. Car Nicocrate craint que quelque citoyen ne s'échappe de la ville en se faisant passer pour mort.

Arétaphile supporte avec peine ses maux particuliers, malgré la très grande part que le tyran, fort épris d'elle, lui donne de sa puissance. Elle exerce en effet sur lui une sorte de domination. Inflexible et farouche, d'ailleurs, il ne s'apprivoise que pour elle. Mais ce qui la désole le plus, ce sont les malheurs de sa patrie indignement opprimée. Les citoyens sont égorgés les uns après les autres et l'on n'espère de vengeance d'aucun côté : car ceux qui ont été bannis, se voyant dépourvus de toute ressource, sont frappés de terreur et restent dispersés.

L'empoisonneuse

Arétaphile veut se constituer seule l'espérance commune de tous. Elle résout de faire périr Nicocrate par le poison. Dans ce dessein, elle se procure plusieurs substances vénéneuses. Elle en fait l'essai, quand elle est découverte et dénoncée. Sur les premiers indices, la mère du tyran, Calvia, femme sanguinaire et inflexible, veut que sans retard on livre Arétaphile à la mort, après lui avoir fait subir les plus honteux traitements. Nicocrate, au contraire, trouve dans son amour des prétextes pour retarder et pour adoucir les effets de sa fureur. L'énergie que met Arétaphile à repousser les accusations et à se défendre semble en quelque sorte justifier ces dispositions. Mais, accablée sous les preuves, ne pouvant nier l'évidence, elle avoue, prétendant toutefois que ce n'est pas un breuvage mortel qu'elle a préparé, mais un antidote ou une sorte de vaccin. Nicocrate croit devoir mettre à l'épreuve la sincérité d'une pareille justification. En présence de Calvia, implacable, il ordonne qu'Arétaphile soit torturée ; mais celle-ci oppose aux bourreaux une fermeté si invincible que sa belle-mère, lassée, renonce malgré elle. Nicocrate, convaincu de l'innocence d'Arétaphile, fait cesser les supplices et se repent d'y avoir recouru. Peu de jours même se sont écoulés, que son amour le ramène près d'elle et qu'il la reprend avec lui, faisant tout pour regagner sa bienveillance à force d'hommages et de tendresses. Mais elle ne doit pas céder aux bons traitements quand elle a triomphé des tourments et de la douleur. À son noble patriotisme s'ajoutent les désirs de vengeance, et elle imagine un autre moyen. Elle a une fille en âge de se marier, et suffisamment belle dont elle se sert comme appât auprès de Léandre, frère de Nicocrate.

La manipulatrice

Une fois épris, Léandre n'a de cesse que son frère lui permette de se marier. De son côté, la jeune fille, à qui sa mère a fait la leçon, se met dès ce moment à exciter Léandre : elle le persuade qu'il doit affranchir la ville, que lui-même n'est pas libre sous un gouvernement tyrannique, puisqu'il n'a pas le droit de prendre ou de garder une compagne. De leur côté, les amis du jeune homme insinuent toujours dans son esprit des griefs et des soupçons contre son frère, afin de se concilier les bonnes grâces d'Arétaphile. Dès qu'il sait que cette dernière a les mêmes projets que lui et qu'elle agit vigoureusement, il précipite l'exécution, faisant assassiner Nicocrate par un domestique appelé Daphnis.

Mais, loin de se rapprocher d'Arétaphile, Léandre montre aussitôt par ses actes que, s'il a tué son frère, il n'a pas fait disparaître le tyran, et il déploie le despotisme le plus brutal et le plus insensé. Toutefois, Arétaphile jouit auprès de lui d'un peu d'honneur et d'autorité. Elle ne semble pas le haïr et ne lui mène pas de guerre ouverte. C'est en secret qu'elle dispose ses plans. D'abord elle suscite contre lui une expédition de Libyens, en déterminant un roitelet, nommé Anabus, à envahir la contrée et à marcher contre Cyrène. Ensuite elle calomnie auprès de Léandre les amis et les généraux du tyran : elle lui dit qu'ils n'ont pas d'ardeur à combattre et qu'ils aiment bien mieux la paix et leur tranquillité. Elle ajoute que, du reste, il doit désirer lui-même cet état de choses pour conserver sa vie avec son trône et pour affermir son autorité sur ses sujets. Elle promet en même temps de ménager une cessation d'hostilités, et se fait forte, pour peu qu'il l'y autorise, de déterminer Anabus à un accommodement qui préviendra les maux inévitables d'une guerre. Léandre l'y invitant, Arétaphile a d'abord un entretien particulier avec l'Africain ; et à force de largesses, à force d'argent, elle lui fait promettre qu'il s'emparera de la personne de Léandre lorsque celui-ci se rendra à la conférence. L'Africain s'y engage. Le tyran, lui, hésite ; mais comme Arétaphile lui a répété qu'elle sera présente à l'entretien, cette déclaration lui fait honte, et il part sans armes et sans escorte. À peine est-il arrivé, à peine a-t-il aperçu Anabus qu'il est saisi d'un vif sentiment de répugnance, et qu'il veut encore attendre ses satellites ; mais Arétaphile, qui est là, sait le retenir en lui adressant tour à tour des paroles rassurantes et des reproches. Il balance toujours. Alors elle lui saisit la main par un mouvement énergique et résolu, et le fait approcher du barbare. Au même instant, on se saisit de sa personne. Arrêté, chargé de chaînes, il est gardé à vue par les Africains, jusqu'au moment où les amis d'Arétaphile, apportant les sommes promises, se présentent avec les autres citoyens.

L'héroïne

Ceux-ci, en effet, dès qu'ils ont été informés, ont accouru en foule à cet appel. Quand ils ont vu Arétaphile, peu s'en est fallu qu'ils n'oublient la colère dont ils étaient animés contre le tyran. Mais le besoin d'assouvir leur vengeance n'est pas celui qui leur semble le plus impérieux. Leur premier mouvement, leur premier acte de liberté est de saluer unanimement cette femme généreuse, avec des démonstrations de joie et des torrents de larmes. On se prosterne à ses pieds comme devant la statue d'une déesse. Les flots d'adorateurs se succèdent sans interruption, et ce n'est qu'à grand-peine que, vers le soir, après s'être fait livrer Léandre, ils retournent à la ville pour faire un sort aux tyrans. Calvia est brûlée vive. Léandre, cousu dans un sac, est jeté à la mer. On décide qu'Arétaphile partagera le gouvernement de l'État et l'autorité souveraine avec les principaux citoyens. Mais elle n'a qu'une hâte : retourner dans son gynécée. Elle abjure complètement toute participation aux affaires publiques ; et, à dater de ce jour, elle passe tranquillement sa vie entière, occupée de travaux d'aiguilles, au milieu de ses amis et de ses proches.