Ajax le Locrien

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Fils d'Oïlée et d'Ériôpis, athlète hors pair originaire de Naryx, en Locride.
Il a été surnommé « Ajax le Petit » par comparaison avec Ajax Télamon, plus « grand » que lui, et pour le différencier de ce dernier ; cependant, Homère le décrit aussi comme petit de taille, ce qui ne l'empêche pas d'être un athlète hors pair, notamment un excellent coureur à pied, qui n'a pas son égal parmi les Achéens.
À la tête des Locriens, il est l'un des héros grecs, brave mais brutal, qui, en tant que prétendant d'Hélène, participe à la prise de Troie, fort d'une flotte de quarante navires.
Châtié mais honoré
Alors que la citadelle est la proie des flammes, il poursuit Cassandre, la fille de Priam, jusque dans le temple d'Athéna où il la viole. Son comportement scandalise la déesse, et les Achéens eux-mêmes, qui veulent le lapider. Calchas, en effet, les a prévenus : qu'ils ne mettent pas à la voile tant qu'Athéna est irritée contre eux. Mais Ajax réussit à prendre le large avec sa flotte. Athéna, très en colère, n'a cependant pas dit son dernier mot : elle en réfère à Zeus, qui lui répond qu'elle peut se venger et sacrifier les Argiens à sa colère.
En possession de l'éclair et de la foudre, Athéna provoque une tempête qui expédie vaisseaux et hommes d'équipage par le fond. Seul Ajax, qui bénéficie de l'aide de Poséidon, en réchappe. Il échoue sur un récif. Mais son orgueil le perd : il ose proclamer qu'il s'est sauvé seul, sans l'aide d'aucun dieu. Furieux d'entendre un tel blasphème, Poséidon frappe l'une des Gyrées avec son trident : un bloc de pierre se détache et atterrit sur l'impie que les flots emportent à jamais. Son corps est enseveli à Myconos par Thétis. Dans l'Hadès, Ajax éprouve une rancœur immense contre Aphrodite qu'il rend responsable de sa passion pour Cassandre, et donc de sa ruine. Les Locriens, à cause de la violence de leur chef, sont frappés d'une épidémie de peste particulièrement mortelle. Malgré cela, en souvenir d'Ajax, ils prennent le deuil pendant un an et honorent sa mémoire : chaque année, ils poussent à l'eau un navire arborant une voile noire, auquel ils mettent ensuite le feu.
Variantes
I. Pour Virgile : la déesse provoque un tourbillon d'eaux qui envoie le roi des Locriens contre la pointe d'un roc.
II. Selon Quintus de Smyrne qui raconte la mort d'Ajax en détail, les dieux se sont mis à plusieurs pour venir à bout de l'impie : Athéna dépêche Iris auprès d'Éole afin d'obtenir de lui que les vents soufflent avec une grande virulence sur les récifs de Capharée. La messagère a tôt fait d'atteindre la demeure du dieu, qui promet son aide ; armé de son trident, Éole frappe la montagne et commande aux violents tourbillons de presser les flots voisins du mont Capharée. Les Grecs sont saisis d'effroi : leurs navires, dans la nuit la plus noire, se soulèvent sur des vagues gigantesques, et tombent aussitôt dans des abîmes profonds. Poséidon s'occupe de démonter la mer, tandis qu'Athéna sillonne le ciel sombre d'éclairs éblouissants. Zeus déverse sur l'océan et les îles ses foudres et ses éclairs, auxquels il mêle une pluie épaisse. Athéna, apercevant Ajax, saisit la foudre que lui a confiée son père, et la lance sur le vaisseau de l'impie, qui se brise de toutes parts. Le fils d'Oïlée, projeté dans les flots, s'accroche à des débris flottants, il se fraie un chemin parmi les vagues déchaînées et rugissantes. Son courage étonne les dieux mêmes. Mais Athéna savoure sa vengeance : elle ne veut lui ôter la vie qu'après qu'il sera vidé de toutes ses forces. Pourtant Ajax nage toujours. Enhardi par sa propre énergie, déjà il se vante d'avoir échappé au naufrage. Mais peut-on se soustraire à la volonté céleste ? Poséidon, indigné d'une telle présomption, bouleverse à la fois les îles et le fond de la mer Egée. La montagne Capharée explose en mille rocs qui roulent vers les roches en contrebas, alors même qu'Ajax tente d'y chercher refuge. Athéna, pour finir, renverse sur le fils d'Oïlée une masse de pierres. Le roi des Locriens expire alors sous le poids de la terre et des eaux réunies
III. Ajax ne viole pas Cassandre ; il l'emmène simplement comme sa prisonnière. Il la présente ensuite à Agamemnon ; celui-ci tombe immédiatement amoureux de la jeune femme, au point qu'il ne veut plus la rendre à Ajax. Une dispute s'élève alors entre les deux hommes. Agamemnon accuse Ajax d'impiété envers Athéna : la déesse a en effet signalé à l'armée achéenne qu'elle sera détruite si elle ne se débarrasse pas d'Ajax. Craignant d'être lapidé comme Palamède, Ajax préfère s'enfuir. Il s'embarque, de nuit, sur un frêle esquif. Comme il se dirige vers Ténos, il doit essuyer une formidable tempête. Il y laisse la vie.
IV. C'est Ulysse qui incite les Achéens à lapider Ajax, pour le punir de son crime envers Cassandre.
Voir aussi : Palamède
La mort d'Ajax le Locrien
Dieux puissants ! calmez cette mer furieuse : ces vaisseaux portent des Grecs, mais ils portent aussi des Troyens. Nous ne pouvons en dire davantage : les flots étouffent notre voix. Un nouveau malheur fond sur nous. Armée de la foudre de Jupiter irrité, Pallas déploie pour nous perdre toute la puissance que lui donnent sa lance redoutable, son égide horrible et les feux paternels. De nouvelles tempêtes sifflent dans l'air. Seul, invincible à tant de maux, Ajax lutte encore. Au moment où il plie ses voiles, un éclat de foudre l'effleure. La déesse balance une nouvelle foudre. De tout l'effort de son bras, elle la darde en imitant son père. Le trait enflammé traverse Ajax et son vaisseau emportant quelque débris de l'un et de l'autre. Toujours intrépide, quoique brûlé de la foudre, il s'élève comme un roc au-dessus des flots ; il fend avec sa poitrine les vagues de cette mer furieuse ; il saisit et entraîne son navire, et les flammes qui l'enveloppent resplendissent au milieu de l'obscurité des flots.
Enfin, debout sur un écueil, il crie d'une voix tonnante et furieuse qu'il a vaincu la mer et les feux : « Je triomphe, dit-il, du ciel, de Pallas, de la foudre et des flots : je n'ai point reculé devant le terrible dieu des combats ; seul, j'ai soutenu les coups d'Hector et les attaques de Mars ; les traits d'Apollon ne m'ont point ébranlé, j'ai triomphé de ces dieux comme des Troyens : pourrais-je craindre ces foudres sans force lancées par une main étrangère ? Quand ce serait Jupiter lui-même... » Sa fureur allait oser davantage, quand Neptune, levant sa tête au-dessus des mers, brise d'un coup de son trident le rocher sur lequel il s'appuie, et le blasphémateur est entraîné dans sa chute, vaincu enfin par la terre, la mer et le feu réunis contre lui seul.
Sénèque
