toccata

(de l'italien toccare, « toucher »)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Ce terme, qui apparaît en Italie à la fin du xve siècle, définit des compositions, jouées isolément ou au début d'un office ou d'un concert, et destinées à faire valoir le toucher de l'interprète. Ce sont des pièces de virtuosité que caractérisent la liberté de la forme, un caractère apparent d'improvisation, de fréquentes modifications rythmiques ou mélodiques, un jeu d'ornementation qui se lie à une certaine richesse mélodique et prend le pas sur le respect strict des règles du contrepoint. Une des seules exigences propres à la toccata est de s'adapter, de façon rigoureuse, à l'instrument sur lequel elle sera exécutée.

Dans ses premières manifestations, la toccata se distingue encore mal de la sonate (de l'italien suonare, « sonner »), plus précisément destinée à faire valoir les sonorités de l'instrument, et des autres morceaux de forme libre par lesquels un instrumentiste ouvre un concert, le prélude, le ricercare, l'intonazione, l'intrada, etc. La confusion entre ces différents noms durera jusqu'au milieu du xviiie siècle ; on la trouve encore dans le traité de Mattheson sur les organistes (1719) et dans le grand ouvrage de Marpurg (1754-1778).

La toccata d'instruments autres que le clavier

Un des plus anciens emplois du mot toccata se trouve dans une description du couronnement du roi Alphonse II de Naples (1494). Il s'agit d'une « toccata de trombe », probablement une fanfare triomphale pour l'arrivée du monarque. C'est encore avec une « toccata con tutti li stromenti » que s'ouvre l'Orfeo de Monteverdi (1607). À l'époque, la toccata commence pourtant à prendre place dans les genres habituellement réservés aux instruments à clavier, à l'orgue en particulier. Mais l'usage se perpétuera en Italie pendant longtemps de remplacer une pièce d'orgue par sa transcription pour plusieurs instruments à vent (cuivres en général) dans certaines circonstances particulièrement solennelles ou dans des lieux qui ne possèdent pas d'orgue. Il ne fait pas de doute que de nombreuses toccatas pour orgue ont été connues du public dans de telles exécutions.

Par ailleurs, le mot toccata continue d'apparaître, généralement lié à celui de sonate, dans la littérature du violon. On trouve ainsi une toccata comme mouvement initial des Sonate accademiche, op. 2, de Veracini, publiées simultanément à Londres et à Florence en 1744.

La toccata pour clavier en Italie

La toccata pour clavier se rencontre aux deux pôles de la vie musicale italienne. Dans la région vénitienne, des organistes, tels que les Gabrieli (Andrea comme Giovanni), Padovano, Merulo, cherchent à lui donner une structure un peu plus formalisée. Aux mouvements complètement libres, d'allure récitative, et aux canzone, ils opposent des passages fugués beaucoup plus rigoureux. On trouvera ainsi des alternatives entre de simples expositions mélodiques où l'interprète joue sur les inégalités de mesure, et des passages de grande rigueur polyphonique.

Par ailleurs, au sein de l'école napolitaine, la toccata présentera les formes les plus irrégulières et les plus propres à faire briller les qualités de l'interprète. Rythmes et tonalités seront bouleversés dans une recherche permanente de l'effet de surprise. À Naples brillent les noms de Jean de Macque, qui est d'origine flamande, et de Trabaci.

Mais c'est à Rome que la toccata va rencontrer son grand créateur en la personne de Frescobaldi. C'est lui qui commencera à organiser la variété interne de la toccata en la subdivisant en fragments opposés les uns aux autres mais obéissant chacun à une grande rigueur interne. Les changements de rythme à l'intérieur d'un développement permettent, en ne faisant que peu appel au contrepoint, d'obtenir un effet de variété en réutilisant, sous des formes aux décorations différentes, le même élément mélodique relativement court. De plus, Frescobaldi va systématiquement raccrocher la toccata à un usage liturgique fréquent (toccatas « après l'épître », « après le Credo », « à jouer à l'élévation », etc.). Ce sera dans cet esprit qu'il publiera en 1635 son recueil des Fiori musicali. Dans un tel contexte, si le côté improvisation apparente de la toccata persiste, son allure de pièce de virtuosité n'a plus de raison d'être.

L'influence de Frescobaldi sera profonde, tant sur ses élèves italiens, tels que Michelangelo Rossi, que sur les musiciens allemands venus apprendre auprès de lui un nouvel art de l'orgue, tels Froberger ou Tunder.

La tradition frescobaldienne restera vivante en Italie. Perpétuée par des musiciens tels que Pasquini, Zipoli ou Alessandro Scarlatti, elle se marquera au début du xviiie siècle par une séparation entre la toccata pour orgue et celle pour clavecin. Jusque-là, en effet, la spécificité des pièces était très peu marquée, Frescobaldi lui-même étant, malgré ses fonctions officielles à Saint-Pierre de Rome, plus intéressé par le clavecin que par l'orgue.

Il faut remarquer que c'est au moment ou la toccata pour le clavecin prend son autonomie qu'elle perd, en Italie tout au moins, les caractères qui la distinguent de la sonate. Cette confusion est sensible dans les recueils de Della Ciaja (1717), de Leonardo Leo (1744) et même dans ceux de Domenico Scarlatti, qui qualifie encore à l'occasion de toccatas des pièces qui n'ont plus aucun rapport avec le genre pratiqué un siècle et demi auparavant.

La toccata pour clavier en Allemagne

L'Allemagne ne semble pas avoir attendu l'influence italienne pour connaître la forme, sinon le nom, de la toccata. Certains des plus anciens recueils d'orgue comportent des préludes à forme irrégulière qui sont bien proches du genre que pratiqueront les Vénitiens. L'entrée de la nouvelle forme se fera sous une double influence. D'une part, celle des organistes de l'Europe septentrionale qui, après Jan Pieterszoon Sweelinck et dans la foulée de ses innovations, vont élaborer un style très riche et libre à la fois, profitant au maximum des richesses de timbre et de sonorité des grandes orgues des villes de l'Allemagne du Nord. Ce courant passe par Scheidt et Buxtehude qui se montrera le maître incontesté, avant Bach, de la grande forme de la toccata, enchâssant ou précédant une fugue.

L'autre courant, venu de l'Allemagne du Sud, sera plus directement inspiré de Rome et de l'art frescobaldien. Son protagoniste le plus important, Froberger, est d'ailleurs un élève de l'organiste de Saint-Pierre.

C'est dans l'art de Jean-Sébastien Bach que vont fusionner les deux tendances. Si l'on s'en tient rigoureusement aux titres sous lesquels les œuvres de Bach circulent, celui-ci aurait écrit quatre toccatas pour orgue, toutes suivies de fugues, et sept toccatas pour clavecin. Il s'agit dans l'ensemble d'œuvres de jeunesse composées, les plus anciennes à Mülhausen, les autres pendant le séjour à Weimar.

La réalité est plus complexe. Si les six toccatas pour clavecin qui portent les numéros de catalogue BWV 910 à 915 présentent une structure commune, dans laquelle se sent une certaine évolution du rapport interne des divers éléments constitutifs, il n'en va pas de même de la Toccata BWV 916 en sol majeur, dont la forme ressemble beaucoup à celle d'un concerto instrumental à l'italienne.

Le phénomène se retrouve inversé avec la Fantaisie chromatique BWV 903, composée vraisemblablement en 1720, mais remaniée dix ans plus tard et qui présente les caractéristiques des plus belles toccatas bachiennes. Débutant sur un mouvement très rapide, plein de traits d'une virtuosité étonnante, elle se développe dans un récitatif instrumental fortement dramatique. Les deux éléments, virtuosité et dramatisme, se complétant tout au long du discours musical pour atteindre au plus haut niveau de l'expression.

Ce qu'il faut remarquer, c'est que la Fantaisie chromatique introduit une fugue, d'allure assez libre d'ailleurs, tandis que les pièces qualifiées du titre de toccatas incluent dans leur développement un ou deux thèmes fugués en alternance avec des sections de construction moins rigoureuse.

Dans la mesure où il est possible d'avancer une datation pour la composition de ces œuvres, on voit que, de 1706, date possible de la BWV 913 (Toccata prima) à 1712 que l'on peut retenir pour les deux dernières (BWV 910 et 911), la conception technique du compositeur semble avoir évolué. D'une forme très prolixe, présentant une fragmentation poussée des mouvements et des rythmes, se rapprochant des règles de la musique d'orgue, il va se diriger vers un maximum de concentration des thèmes qu'il lui sera possible alors de développer plus amplement. Le nombre des mouvements diminue mais ils sont plus élaborés. La quantité d'émotion dégagée y gagne, en même temps que les œuvres s'éloignent de la conception première du terme toccata.

Dans le domaine de la musique d'orgue, Bach suivra un itinéraire assez semblable. Il importe toutefois de préciser que, contrairement à ses pièces pour clavecin, ses toccatas pour orgue (elles sont officiellement au nombre de quatre) servent toutes d'introduction à une fugue. La plus ancienne, qui est aussi la plus célèbre, la Toccata en ré mineur BWV 565, a probablement été composée à Weimar aux environs de 1708. Elle est encore très proche, dans la hardiesse de son attaque, dans l'utilisation des silences, dans le foisonnement harmonique, des grandes œuvres de Buxtehude et des organistes du nord de l'Allemagne. L'évolution se fera sentir dans les œuvres suivantes, entre 1715 et 1720.

Sous l'influence indirecte de l'école romaine, Bach utilise son matériau musical de façon beaucoup plus homogène, resserrant le tissu de la composition sur un modèle proche de celui du concerto italien. Mais ce serait une erreur de limiter aux quatre œuvres baptisées toccatas, les BWV 565, 540, 538 (Toccata « dorienne ») et 564, l'usage fait par Bach de cette forme musicale. Qu'il s'agisse de la Fantaisie en sol mineur BWV 542 ou du Prélude et Fugue BWV 532, on trouve dans le mouvement d'ouverture toutes les mêmes caractéristiques que dans les grandes toccatas. Pour la dernière, on peut même remarquer sa parenté avec l'attaque de la Toccata pour clavecin BWV 912.

L'enchaînement libre des diverses parties sera la règle dans les préludes pour orgue de Bach jusqu'à ce qu'il adopte les contraintes beaucoup plus strictes de la sonate en trio ; mais cette modification ne se produira guère avant Leipzig et les années 1730. Lorsqu'il aura renoncé à la liberté particulière que donnait la toccata, c'en sera fini du genre dans l'Allemagne du Nord. Seuls quelques-uns parmi les plus conservateurs de ses élèves feront encore appel à un genre devenu démodé.

La toccata après l'âge baroque

Au xixe siècle, la toccata retrouvera un peu de son renom primitif comme pièce brillante, destinée à mettre en valeur la virtuosité d'un pianiste. C'est dans ce but qu'en composent des artistes aussi différents que Clementi, Czerny ou Schumann.

De leur côté, les organistes de l'école de Niedermeyer verront dans l'utilisation de la forme toccata un retour aux sources du grand art et de l'orgue bachien et pré-bachien. C'est ainsi que la forme sera employée par des musiciens comme Gigout, Widor, Vierne, Boëllmann (ce dernier indique bien l'esprit de ce retour à la toccata en incluant une pièce sous ce titre dans sa Suite gothique).

Cette volonté d'archaïsme se transforme en un goût du pastiche chez les pianistes du xxe siècle débutant, qui emploient dans un contexte classicisant ou parodique des toccatas. Il en est ainsi de Max Reger, de Prokofiev, de Busoni ou de Hindemith, les exemples les plus remarquables étant dus à Ravel (le Tombeau de Couperin) et Debussy (Pour le piano). Dans ces deux derniers cas, la rapidité du mouvement combinée avec l'égalité de valeur des notes donne à la toccata une allure de moto perpetuo.