musique à programme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Terme général par lequel on a coutume de désigner toute musique d'essence narrative, évocatrice, descriptive ou illustrative, donc renvoyant à une donnée « extramusicale » ; cela par opposition à la musique « pure », qui ne ferait appel qu'à une perception « abstraite », sans référence à aucun élément extramusical.

Définie ainsi, la musique à programme engloberait les genres « appliqués » comme le ballet, la musique de scène et de ballet, les genres « à texte » comme le lied, la chanson, l'opéra, la cantate, etc., ainsi que le poème symphonique, l'ouverture de concert et toutes les musiques formant « tableau » pour l'auditeur par leurs titres, leurs évocations, etc. : de la Symphonie pastorale de Beethoven aux Miroirs de Ravel, de la Danse macabre de Liszt aux Tableaux d'une exposition de Moussorgski. L'arbitraire d'une distinction tranchée entre musique à programme et musique pure apparaît cependant, si l'on considère que beaucoup d'œuvres dites « à programme » ne sont telles que par leur titre évocateur d'images (la Mer, Scènes d'enfant, Jeux d'eau à la villa d'Este) et qu'elles possèdent une architecture musicale autonome, en soi, et sont justifiables et analysables du seul point de vue de la forme, du discours, des proportions, comme « musique pure ».

On peut entendre aussi le terme de « musique à programme » dans le sens plus restreint que lui donnait Franz Liszt, quand il introduisit cette notion : le « programme » désignait pour lui très concrètement un papier, un texte d'intention, pour une œuvre purement instrumentale (sans texte chanté), par lequel le compositeur explicite ses thèmes d'inspiration (lecture, mythe, légende, etc.), afin de « préserver son œuvre de l'arbitraire d'une explication poétique erronée et d'orienter par avance l'attention sur l'idée poétique du tout ou sur un point particulier ». C'était le cas, en 1830, de la Symphonie fantastique de Berlioz, et de son « programme » (très contesté par certains musiciens, dont Schumann) distribué aux auditeurs avant l'exécution pour guider leur écoute. Toujours conciliateur, Liszt s'efforçait ainsi de légitimer et de limiter l'usage d'un procédé que beaucoup taxaient de facilité et de racolage : donner à l'auditeur une trame narrative toute faite, lui permettant de « rêver » sur la musique et de se bercer d'images, au lieu d'en écouter la structure et le discours. Il insistait fortement sur l'idée que la musique à programme doit en même temps se justifier complètement comme musique pure dans ses « proportions, ordonnance, harmonie et rythme ».

Dans cette acception lisztienne de la musique à programme (illustrée par ses propres « poèmes symphoniques »), la forme musicale est subordonnée au propos, « le retour, le changement, les motifs et les modulations de ces motifs sont conditionnés par leur relation à une idée poétique », ce qui n'empêche pas que la musique doive toucher directement l'auditeur, sans la connaissance obligatoire de cette trame cachée. L'époque moderne, très puritaine sur ce point, tend à qualifier de « musique à programme » toute musique dès lors qu'elle est entachée d'un titre faisant image, ou d'une intention descriptive explicite.

Dans l'idée de « programme », il ne faut pas entendre seulement une inspiration descriptive ou évocatrice. Le mot implique aussi une histoire, une certaine évolution dans le temps, dont la musique s'efforce de suivre les phases successives : cela par opposition aux simples musiques descriptives statiques d'un animal (le Coucou de Daquin), d'une idée, d'un milieu naturel. Des musiques « à programme », comme le Cappricio sopra la lontananza de Jean-Sébastien Bach, les Métamorphoses de Carl Ditters von Dittersdorf, les Sonates bibliques de Kuhnau, les Quatre Saisons de Vivaldi, les Tableaux d'une exposition de Moussorgski, le Phaéton de Saint-Saëns, racontent toutes une « succession » de phases ou d'événements. Sous cet angle, la musique à programme est aussi une manière d'entendre la musique, toute musique, comme narration, comme succession d'états moteurs, affectifs.

Ainsi Schumann s'amusant à entendre dans les Variations de Chopin sur La Ci darem la mano de Mozart le « si bémol » sur lequel Zerline succombe. Derrière ces fantaisies narratives, auxquelles se sont abandonnés les musiciens et mélomanes les plus sérieux, il ne faut pas oublier que toute forme musicale possède en même temps une dimension narrative, et toute séquence dramatique d'événements une dimension symbolique, formelle. Le nombre des situations dramatiques, des « modèles », n'est pas infini, on trouve un nombre limité de « schèmes » narratifs qui ont leur correspondance dans les formes musicales : la forme sonate à 2 thèmes raconte une sorte d'histoire qui constitue son « programme » (exposition, voyage et luttes des thèmes, retour au bercail du ton principal à la réexposition), de même que la forme rondo, la forme thème et variations, etc. Simultanément, ces formes peuvent être envisagées d'un point de vue purement « géométrique », en considérant le temps comme un espace (non orienté, susceptible d'être parcouru dans les deux sens).

La musique à programme serait ainsi la musique dans sa dimension « en temps », inscrite dans une durée irréversible et dramatique, tandis que la musique pure serait censée se justifier d'un point de vue « hors temps » comme traduction sonore de proportions, de relations d'intervalles. Toutes les musiques dites « formelles » ou abstraites (Ars nova, Art de la fugue de Bach, musique sérielle) insistent d'ailleurs sur l'utilisation de procédés d'écriture « en miroir » (rétrogradations), qui nient le temps dans son irréversibilité et le maîtrisent comme un espace où l'on passe et revient à volonté dans les deux sens. Selon cette perspective formelle, le principal péché de la musique « à programme » est d'inscrire la musique dans un temps dramatique, lourd de ses contingences mortelles, de son caractère événementiel, quotidien. Le débat sur le problème de la musique à programme et de la musique pure est essentiellement une question de « point de vue » sur la musique : toute musique est, en un sens, les deux à la fois, selon la manière dont on l'écoute.