Kurt Weill

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur américain d'origine allemande (Dessau 1900 – New York 1950).

Encouragé très tôt à la musique par son père, il étudie auprès de A. Ding et entre en 1918 dans la classe de E. Humperdinck et celle de R. Krasselt à l'École supérieure de musique de Berlin. Pour gagner sa vie, il se produit comme pianiste de cabaret et fait des arrangements de musiques scéniques. En 1919, il assure les fonctions de corépétiteur au théâtre de Dessau et en 1929 de directeur musical au théâtre de Lüdenscheidt, et se trouve ainsi directement en contact avec les milieux de la scène.

En 1921, il entre dans la classe de Busoni en présentant sa Première Symphonie en un mouvement, et compose des musiques d'inspirations diverses, assez influencées par Mahler et par Schönberg (Die Zaubernacht, 1922 ; Der Frauentanz, 1924 ; Quatuor op. 8, 1923). Il prend part au même moment aux activités de groupements idéologiques comme le Novembergruppe. Il obtient un premier succès en 1924 avec son Concerto pour violon et instruments à vent, d'écriture concise et directe, mais qui n'est pas sans présenter un certain côté expressionniste dont il ne se départira jamais.

Cette période européenne est ensuite marquée par trois rencontres décisives, tout d'abord celle avec Fritz Busch, en 1922, qui devient un de ses plus fidèles interprètes et le présente à Georg Kaiser, écrivain dramatique expressionniste à tendances sociales, avec qui il collabore à plusieurs reprises. Il lui fournit le livret du Protagoniste (1924-25), court drame comicotragique pour lequel Weill fait s'opposer deux orchestres et introduit dans sa musique des éléments de jazz et de danses modernes. La seconde rencontre berlinoise est celle de Yvan Goll, écrivain-poète expressionniste gagné à l'esthétique de l'absurde, qui lui procure le texte du Nouvel Orphée (cantate scénique, 1925), et de Royal Palace (1927), « Zeitoper » (opéra d'actualité) inspiré de l'opérette et du cabaret et qui ne renonce à aucun des gadgets modernes, des hélices d'avion aux projections de diapositives.

Il écrit la même année une « comédie à la manière ancienne » sur un texte de Kaiser, Le tsar se fait photographier, dans laquelle il allie chœur de vieillards à l'antique et airs de tango diffusés par un électrophone. Mais il s'adonne en même temps à un style plus sombre, celui de la ballade Vom Tod im Walde (1927) et du Berliner Requiem (1928), chœur composé à la mémoire de l'assassinat de Rosa Luxembourg.

La rencontre capitale est celle de Brecht, en 1927. Le dramaturge essaie à ce moment-là d'imposer sa conception « épique » du théâtre, libérée des boursouflures du drame. Dans ses pièces, il relate froidement les faits, démonte pour les caricaturer les processus de l'âme humaine, et confie à la musique le devoir de véhiculer les idées principales.

C'est Weill qui, alors à la recherche d'un public nouveau et plus vaste, trouve l'impact nécessaire à cela dans ses songs, sorte de ballades modernes apparentées au moritat et à la chanson de cabaret. Martelées de façon prosodique à l'oreille de l'auditeur, à la manière des chants d'agitproptruppen (groupes d'agitation-propagande), et soutenues par les accents syncopés d'un orchestre repris au jazz, leurs harmonies rudes d'accords parfaits superposés, leurs ruptures tonales brusques, leurs « fausses basses » viennent tour à tour appuyer, contredire ou parodier le contenu des paroles et obliger le spectateur à une « distanciation » critique vis-à-vis du spectacle.

Les plus belles réussites dans le genre sont l'Opéra de quat'sous (Drei Groschen Oper, 1928) est les deux versions de Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny (Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, singspiel : 1927 ; opéra : 1929), dans lesquels se produit sa jeune femme Lotte Lenya. Puis, après Happy End (D. Lane, 1929), célèbre pour le Surabaya Song et le Bilbao Song, Weill s'essaie avec Brecht au genre du Lehrstück, cantate scénique didactique ; il compose en 1929 le Lindberghflug, en collaboration avec Hindemith, et, en 1930, Der Jasager.

Mais leurs personnalités respectives les obligent à se séparer en 1930, et c'est à K. Neher que Weill demande le livret de Die Bürgschaft (« la Caution », 1931), œuvre d'envergure qui émousse malheureusement par ses dimensions l'efficacité du song, puis à Kaiser celui de Der Silbersee (1932), qui attaque le nazisme naissant. En 1933, il doit se réfugier à Paris, puis à Londres, et écrit pour Balanchine un ballet mêlé de songs et de monologues, les Sept Péchés capitaux (Die sieben Totsünde, 1933), ultime œuvre sur un livret de Brecht.

En 1935, répondant à un appel de Max Reinhardt, il s'installe définitivement aux États-Unis (il est naturalisé en 1943), où il partage sa vie entre New York et Hollywood. Le changement est total. Possédant à fond son métier d'homme de théâtre et de musicien, Weill s'adapte immédiatement aux courants américains et aux lois du show-business, et se met à composer en grand nombre des opéras à succès influencés par l'opérette et le show en vogue à Broadway. Son langage, parfois très conventionnel, comme dans One touch of Venus (1943), fait volontiers parler de cotton-candy-music. Toutefois, il ne se départit pas d'une certaine orientation idéologique, dans The Eternal Road par exemple (F. Werfel, 1935, drame biblique sur la question juive), dans les œuvres sur textes de M. Anderson (Knickerbocker Holiday, 1938 ; Lost in the Stars, 1949), dans Johnny Johnson (1936) ou Down in the Valley (1948, opéra didactique). Il s'ouvre en même temps aux courants de la psychanalyse, en particulier dans Lady in the Dark (1940), succès qui consacre définitivement sa rupture avec l'Europe.

Ainsi, Weill n'est pas à considérer du seul point de vue de sa période créatrice des années 20, mais bien en fonction de son adaptation constante aux courants de son époque, en fonction d'une personnalité aux facettes multiples, qui lui a donné de préserver son indépendance vis-à-vis de tout mouvement particulier, et qui explique son influence sur toute une génération de compositeurs allemands, parmi lesquels Eisler et Dessau.