Franz Schreker

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur, dramaturge et pédagogue austro-hongrois (Monaco 1878 – Berlin 1934).

Élève de Robert Fuchs au conservatoire de Vienne, il rencontra, grâce à ses œuvres de jeunesse (une ouverture, un psaume), des succès flatteurs. Surtout attiré par le théâtre, il présenta en 1902 un opéra en 1 acte, Flammen, en l'accompagnant lui-même au piano. Cet essai n'eut de suite que le jour où Schreker, mécontent de tous les livrets qu'on lui avait proposés, décida de ne se fier qu'à son propre talent et d'écrire, comme Wagner ou comme Busoni, ses poèmes lui-même.

C'est ainsi que Der ferne Klang triompha à Francfort en 1912, point de départ d'une des plus fulgurantes carrières lyriques de l'histoire. Le compositeur, qui, jusque-là, avait vécu de petits emplois, fut aussitôt nommé professeur au conservatoire de Vienne, poste qu'il devait conserver jusqu'à son départ en 1920 pour Berlin. Là, il dirigea la Hochschule für Musik jusqu'à son éviction par les nazis en 1932. C'est lui notamment qui y fit nommer Schönberg à la succession de Busoni en 1924. À Vienne, comme chef du Chœur philharmonique qu'il avait fondé, il créa en 1913 les Gurrelieder de Schönberg. En 1913, son second grand ouvrage, Das Spielwerk und die Prinzessin, connut l'honneur rarissime d'être créé le même jour (15 mars) à Francfort et à Vienne ; mais le public de cette dernière ville, dérouté par les aspects symboliques du livret, se divisa en deux camps antagonistes ; et la soirée se termina en quasi-émeute, tout comme à Paris la création, deux mois plus tard, du Sacre du printemps.

Le dramaturge n'en était pas moins engagé sur la voie de triomphes tels que peu de musiciens les connurent en notre siècle : son auditoire n'eut d'égal que celui de Wagner, et dépassa largement celui que son concurrent direct Richard Strauss connaissait à la même époque. Certains des drames suivants furent en effet simultanément à l'affiche dans dix pays différents. Les premiers furent Die Gezeichneten (« les Stigmatisés »), œuvre maîtresse, dont le livret avait d'abord été commandé à Schreker par Zemlinski à son propre usage (composée de 1912 à 1915, créée en 1918 à Francfort et en 1920 à Vienne) ; et Der Schatzgräber (« le Chercheur de trésor »), écrit entre 1915 et 1918, créé en 1920 à Francfort et représenté la même année à Zurich et en 1922 à Vienne. Mais Irrelohe (1924, Cologne) fut un demi-échec du fait des aspects trop novateurs de l'écriture musicale, partiellement sérielle ; et Christophorus, terminé en 1927, ne put être représenté à l'époque (sa création n'a eu lieu que pour le centenaire du compositeur, à Francfort). Le déclin fut aussi brutal que le succès avait été rapide et éclatant. La montée du nazisme autant que les dithyrambes abusifs d'un Paul Bekker (qui concluait qu'auprès de Schreker Wagner devait être oublié) n'y furent pas étrangers. En 1928, Der singende Teufel ne se maintint pas à Berlin ; et en 1932 Der Schmied von Gent ne put être monté dans cette ville que grâce au courage du directeur de la Deutsche Opernhaus, P. Breisach. Sa démission forcée et la mise à l'index dès 1933 de toute son œuvre abattirent l'artiste qui, victime le 18 décembre 1933 d'une grave attaque, mourut trois mois plus tard.

Les exigences de la scène ont retardé dans le cas de Schreker une renaissance qui semble inéluctable, si l'on en juge par l'intérêt qu'ont suscité les reprises récentes, colloques et expositions qui ont eu lieu tant en Autriche qu'en Allemagne. Au concert, Schreker ne donna que peu de pages significatives ; mais on citera au moins la Kammersymphonie, pour 23 instruments, à rapprocher de la première Symphonie de chambre de Schönberg, et le Vorspiel zu einem Drama, qui n'est autre qu'un développement du prélude des Stigmatisés. L'œuvre mélodique de Schreker est plus abondante : après une série de lieder pianistiques de jeunesse, elle culmine sur une admirable page, deux grandes mélodies avec orchestre d'après Walt Whitman, réunies sous le titre Vom ewigen Leben (1926, orchestrées en 1929), et par lesquelles Schreker s'inscrit dans le droit fil du dernier Mahler.