Romain Rolland

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Écrivain français (Clamecy 1866 – Vézelay 1944).

La place de la musique dans la vie et l'œuvre de Romain Rolland est tout à fait prépondérante : non content d'avoir développé en France, par le biais notamment de ses cours à l'École normale supérieure, la science musicologique, il écrivit une douzaine d'ouvrages consacrés à des genres ou des compositeurs (Histoire de l'opéra avant Lulli et Scarlatti, 1895 ; Musiciens d'autrefois, musiciens d'aujourd'hui, 1908 ; Vie de Beethoven, 1903 ; Voyage musical au pays du passé, 1919 ; les quatre tomes de Beethoven, les grandes époques créatrices, 1928-1944), et confia à son héros Jean-Christophe, lui-même compositeur, le soin de ranimer la conscience de ses concitoyens par un nouvel idéal musical.

C'est en effet prioritairement à la musique allemande que s'intéresse Rolland et, au-delà, à l'âme allemande. La « musique aimante », « musique mère », « musique maîtresse », est présentée comme « la seule source profonde où (il a) puisé une connaissance presque charnelle de l'âme germanique ». De fait, Rolland n'alla que peu outre-Rhin, et ses rares voyages, dont un à Bayreuth, lui furent pénibles tant la lourdeur et la vulgarité servile des Allemands blessaient l'idéal qu'il avait de leur culture.

Car cet esprit fasciné par l'humanisme de « l'Allemagne éternelle du cœur », désireux d'infuser dans la pensée logique française la masse de sentiments obscurs éveillés par la musique allemande, était en même temps fort lucide, tout à la fois quant aux méfaits d'un esprit revanchard et exterminateur (l'époque, de 1870 à 1914, puis dans les années 30, s'y prête), et quant à l'évolution qu'il constate en Germanie. Si donc il stigmatise Mahler, « bric-à-brac » opulent et criard », et Richard Strauss, « barbare et décadent », auteur de « chefs-d'œuvre odieux » trempés à l'encre de Hofmannsthal, ce « neurasthénique » " impuissant », « hystérique », « névrosé », « dégénérescent », s'il vomit Wagner et les Associations Wagner, c'est qu'il y voit les symptômes d'un besoin grégaire masqué sous les oripeaux d'un faux idéalisme, d'un respect hypnotique de la force s'épanchant en contentements de soi d'une mélancolie fade. Le problème allemand, qu'il soit culturel ou politique, lui paraît toutefois devoir s'insérer dans un ensemble plus vaste touchant à la décadence morale de l'Europe tout entière. Il en rend responsables « la crise des volontés, la neurasthénie, l'abdication de l'intelligence, elles-mêmes conséquences de l'introduction de la pensée nordique » dont l'Allemagne porte le poids, avec le constat schopenhauerien et wagnérien de la vanité de la lutte pour la vie, la nostalgie qu'ils véhiculent d'un nirvana où la volonté n'est plus ; le pressentiment tragique de cette nourriture et de la guerre imminente fait reconnaître à Rolland, derrière l'ivresse de la puissance qui habite l'Allemand, « Mars-commis voyageur », l'incertude du vouloir.

Mais ses appels antiprussiens à une régénération de la véritable âme allemande, celle de la fin du xviiie siècle, dénoncés en France comme les traîtrises d'un germanophile enragé, n'eurent outre-Rhin qu'un faible écho, tant on était là-bas habitué à de telles exhortations, lesquelles y revêtaient un sens tout différent. Au soir de sa vie, Rolland eut la douleur d'assister à un second soubresaut de la volonté wilhelminienne remise au goût d'une Allemagne éternelle bien éloignée de celle qu'il appelait de ses vœux.