Manuelde Falla

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur espagnol (Cadix 1876 – Alta Gracia, Argentine, 1946).

Andalou par son père, mais Catalan par sa mère, Falla doit à l'audition d'une symphonie de Beethoven sa vocation de compositeur. Élève, à Madrid, de José Trago (piano) et de Pedrell (composition), il compose quelques zarzuelas avant de prendre part à un concours organisé par l'Académie des beaux-arts et pour lequel il écrit la Vie brève (1904-1905). En 1907, il se rend à Paris où il résidera jusqu'en 1914. Il connaît Dukas, Debussy, Ravel, Albéniz et Vinés qui joue ses Quatre Pièces espagnoles à la Société nationale et lui suggère Nuits dans les jardins d'Espagne. De retour en Espagne, il se fixe à Madrid où il écrit l'Amour sorcier, inspiré par les récits fantastiques d'une gitane, puis le Tricorne, destiné aux Ballets russes. La mort de ses parents (1919) le conduit à quitter Madrid pour Grenade où il habitera, avec sa sœur, jusqu'en 1939. C'est l'époque du Retable de maître Pierre, commande de la princesse de Polignac, et du concerto pour clavecin écrit pour Wanda Landowska, mais aussi d'une étude passionnée du cante jondo, en compagnie de García Lorca. En 1927, il entreprend l'Atlantide, vaste ouvrage auquel il travaillera jusqu'à sa mort et qu'il laissera inachevé. Les 4 Homenajes à Arbos, Dukas, Debussy et Pedrell sont sa dernière œuvre avant le départ pour l'Argentine. Invité à diriger plusieurs concerts pour le 25e anniversaire de l'Institut culturel de Buenos Aires, il y devait succomber à une crise cardiaque consécutive à de longs mois de maladie et sans réaliser son ultime désir de finir ses jours dans un couvent des environs de Cordoue.

À la crise de vérisme qui lui a inspiré la Vie brève, c'est en héritier d'Albéniz que Falla écrit ses premières partitions, aboutissement de la renaissance musicale espagnole amorcée par Iberia et à laquelle l'école française a donné la meilleure impulsion. Venu lui-même lui demander son épanouissement, il a eu la révélation de l'univers harmonique fascinant de Debussy et de sa maîtrise à faire table rase des conventions tonales et rythmiques qui emprisonnent alors la musique. Par ailleurs, Louis Lucas, dont l'Acoustique nouvelle (1854) est prophétique, apporte des fondements rationnels à l'émancipation de la fantaisie. Enfin, sa manière toute personnelle d'assimiler les caractères essentiels de la musique espagnole conduit Falla à un style original, plus classique que celui de ses prédécesseurs. Sans perdre le contact avec les mélodies et les rythmes folkloriques, il en a surtout interrogé l'esprit au point de faire de l'Amour sorcier l'expression définitive du chant gitano-andalou.

Dès le Tricorne, cependant, l'évolution d'un langage qui se réclame de Scarlatti correspond à un passage du temporel au spirituel qui délaisse bientôt le « pittoresque » de l'Espagne pour une vision plus âpre et plus intérieure de son patrimoine culturel. À l'option heureuse des vingt premières années de sa vie, le laborieux effort des vingt dernières oppose le spectacle d'une tension physique et spirituelle qui n'est pas éloignée d'une sorte de stoïcisme, mais dont les opérations ne sont plus des miracles. Incantation, carmen et sortilèges restent liés aux étapes de l'ascension purificatrice et c'est, pour terminer, le chant d'un hidalgo sorti des tableaux du Greco. Le Retable et surtout le concerto de clavecin attestent l'effort vers la plénitude du dépouillement, dans une assimilation parallèle des musiques anciennes et de la technique de Stravinski.

À défaut de la messe qu'il désirait écrire, c'est cependant dans l'Atlantide, immense épopée exaltant l'alliance de l'âme ibérique et du christianisme, que Falla réalise sa conception dernière de la musique, simplifiée à l'extrême, soit dans le plus pur diatonisme, soit dans le plus archaïque modal. Partition que terminera Ernesto Halffter et qui donne de la démarche de Falla une conclusion qu'on aurait tort de considérer comme un échec ou un renoncement. Le tracé linéaire des mélodies et la transparence harmonique ne font qu'y refléter, avec la douce intensité requise par le sujet, la lumière d'une intériorité ouverte à l'infini.