Roland de Lassus

appelé aussi de son vivant Orlando di Lasso

Roland de Lassus
Roland de Lassus

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur franco-flamand (Mons 1532 – Munich 1594).

Après une enfance dans le Hainaut, il fut, sans doute, membre du chœur de Saint-Nicolas de Mons. Attaché à Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile (1545-1549), en raison de ses qualités vocales, il parcourut, à sa suite, la France, la Sicile, l'Italie. En 1546, il se trouvait à Milan. Puis, en 1549-50, il servit à Naples et à Rome un chevalier de l'ordre de Malte, Constantino Castrioto. Et bientôt il fut appelé à assumer les responsabilités de maître de chapelle de Saint-Jean de Latran à Rome (1553). Ces déplacements lui permirent de multiplier les échanges musicaux, d'accélérer et de diversifier sa formation. Formation redevable, par ailleurs, à l'art italien pour lequel il se passionnait. Mais la maladie et la mort de ses parents (1554) l'obligèrent à regagner son pays. Après un passage en Angleterre, Lassus séjourna à Anvers (1555-56), où, chez Susato, parurent ses premières œuvres, publiées dans le même temps à Venise. Il fut engagé comme ténor à la cour du duc Albert V de Bavière et fut nommé, en 1563, à Munich, maître de chapelle de la cour, poste qu'il devait occuper jusqu'à sa mort.

Cette stabilité professionnelle ne restreignit en rien le nombre de ses voyages ­ diplomatiques et artistiques ­ en Italie, en France (1571) et même à Vienne. Anobli en 1570, Lassus entretint d'étroites relations avec maintes cours européennes, qui, souvent, se conduisirent à son égard en véritables mécènes. Ainsi, en France, le roi Henri III lui accorda-t-il, en 1575, un privilège pour la publication de ses œuvres. Et le musicien put se retirer quelque peu de la vie de cour à partir de 1580, pour se consacrer à la composition religieuse.

Très vaste, l'œuvre de Roland de Lassus exploite toutes les formes de l'époque. Par goût et pour satisfaire une « clientèle » aussi diverse qu'exigeante, le compositeur a écrit 700 motets, 53 messes, 101 magnificat, 180 madrigaux, 146 chansons françaises, 93 lieder, des hymnes, psaumes, offices, 4 passions, etc. Mais il n'a pas créé de genre : il a donné aux genres existants une dimension nouvelle, les élargissant et les approfondissant pour leur imprimer sa marque personnelle. Cette œuvre, reflet de son expérience et de ses voyages, se présente comme une synthèse des tendances françaises, allemandes et italiennes qu'il sut parfaitement assimiler ; et Lassus y apparaît tel un trait d'union entre Ockeghem, Josquin Des Prés et Monteverdi. Ses contemporains ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, et lui ont décerné les qualificatifs de « Orpheus belgicus », « mirabile Orlando », « divin Orlande », « Prince des musiciens de notre temps », etc. La diffusion de sa musique à travers l'Europe fut immense, à en juger par les transcriptions instrumentales auxquelles elle donna lieu et par le nombre de maisons d'édition qui souhaitèrent publier ses œuvres.

Les madrigaux à 5 voix tiennent, en nombre et en importance, le premier rang des œuvres profanes, témoignage des dix années que Lassus passa en Italie à une époque déterminante de sa formation musicale. Le compositeur y adopte une attitude nouvelle, en laissant le texte, et non la prosodie, déterminer la forme musicale autant que le traitement fortement individualisé des motifs. De cette volonté de donner une traduction directe du texte découle un dessin très ferme, éloigné à la fois d'un maniérisme expressif et d'une fausse simplicité. Le madrigal sérieux prédomine, sous l'influence de Cyprien de Rore, par exemple dans Crudel, acerba, inesorabili morte, sur un texte de Pétrarque qu'il affectionne particulièrement et où il allie grandeur et profondeur. Mais, à la fin de sa vie, Lassus se tourna vers le madrigal spirituel, négligeant, en revanche, le madrigal pastoral à la mode vers 1580 et si prisé de Philippe de Monte. Le ton change peu à peu, en effet, de la gaieté des premières œuvres à l'austérité et à la tension intérieure des derniers madrigaux, tel le cycle des Larmes de saint Pierre à 7 voix sur des textes de Luigi Tansillo.

Selon un processus parallèle, Lassus se détourna de ses premières expériences chromatiques. Chez lui, la chanson française peut être pittoresque (Dessus le marché d'Arras), burlesque ou caustique avec un strict syllabisme (Un jour vis un foulon), grivoise (Il estoit une religieuse), courtoise (Ardant amour, Bonjour mon cœur) ou élégiaque (Je l'aime bien), mais les pages mélancoliques se firent plus nombreuses au fil des années. Avec Lassus, la chanson apparaît comme une synthèse des différents caractères du genre, tel qu'il était pratiqué à Paris au début de la seconde moitié du xvie siècle (après Janequin) ­ sans toutefois atteindre la perfection, voire l'originalité d'un Claude Le Jeune ­, et des éléments du madrigal. À côté des compositions à 4 voix, on trouve des édifices à 5, parfois 6 ou 8 voix. Le souci constant du rapport texte/musique (Lassus s'adresse volontiers à A. Chartier, F. Villon, et aux poètes de la Pléiade) se traduit par l'insertion d'éléments figuralistes, ainsi que par la recherche de l'expression à la fois sur le plan mélodique et harmonique (la Nuict froide et sombre). De plus, Lassus juxtapose volontiers cellules homorythmiques et courts passages en imitations (Ô vin en vigne). François Lesure a souligné combien sont capitales dans l'histoire de la chanson française la publication en 1557 à Paris de deux chansons tirées du recueil de Susato et l'influence de Lassus en France dans la seconde partie du siècle. Adrian Le Roy, luthiste et éditeur, en fut l'artisan : il l'introduisit auprès de Charles IX, qui échoua dans ses tentatives pour le retenir à la cour de France (il retourna à Munich).

Lassus était profondément croyant, et son œuvre ne put s'abstraire du courant de la Contre-Réforme qu'il avait embrassé avec passion. Certes, malgré ses 53 messes, il ne saurait, en ce domaine, égaler un Palestrina ni parvenir à une émotion comparable. Dans ses 37 magnificat, il sacrifie à l'usage de la messe-parodie. Dans les messes brèves ou celles à 4 voix (Octavi toni, 8e ton), il se sent moins à l'aise que dans des formes plus amples, à 5 et 6 voix, où il peut accorder une place plus importante au développement et au lyrisme (Ecce nunc benedicite Dominum, à 6 v.). Les motets, qu'il écrivit tout au long de sa vie, restent son titre de gloire et son œuvre la plus significative. Du genre, il a, en effet, considérablement élargi la forme et approfondi l'esprit : ses motets sont à la fois l'aboutissement de la polyphonie flamande et son éclatement sous l'influence italienne. Lassus préfère l'imitation libre et recherche notamment, dans les motets de 6 à 12 voix, les effets de sonorités, les modulations audacieuses, le chromatisme (une voie dans laquelle il n'a pas persévéré), les oppositions de style polyphonie-homophonie, les ruptures brusques et, en général, tout ce qui ne manque pas de surprendre, telle la déclamation quasi parlando (Super flumina Babylonis). Enfin, Lassus s'essaya, à la suite de Willaert à Venise, au double chœur, guidé dans cette voie par le souci de libérer toute l'émotion du texte. À cette méditation spirituelle se rattachent les cycles des Prophéties des sibylles, des Lamentations du prophète Jérémie, fondées sur le contrepoint et le symbolisme madrigalesque, ainsi que les Psaumes de la pénitence à 5 voix, destinés à l'usage privé du duc de Bavière, et dont l'absence de chromatisme et la grandeur un peu massive ne nuisent en rien à l'intensité de l'expression.

Roland de Lassus
Roland de Lassus
Roland de Lassus, Lagrime di San Pietro, 1. Il magnanime Pietro
Roland de Lassus, Lagrime di San Pietro, 1. Il magnanime Pietro