Ernst Krenek

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur américain d'origine autrichienne (Vienne 1900 – Palm Springs, Californie, 1991).

Il aborde la musique dès l'âge de six ans et devient l'élève de Schrecker en 1916. Il écrit dans un style contrapuntique assez strict, inspiré de Bach et de Reger, qui témoigne d'une indépendance déjà grande à l'égard de son maître. En 1920, il le suit à Berlin ; il compose à une cadence rapide des œuvres au rythme et à la structure énergiques, qui le font passer pour révolutionnaire, bien qu'elles soient toujours contrebalancées par un côté conventionnel certain (quatuor op. 6, 1921 ; 2e Symphonie, 1922 ; cantate scénique Der Zwingburg, « la Forteresse », 1922, sur un texte de l'expressionniste Franz Werfel ; Der Sprung über den Schatten, « le Saut par-dessus l'ombre », 1923 ; un Zeitoper, qui parodie Offenbach). C'est à cette époque qu'il se fait connaître à la Société internationale de musique contemporaine ; ses œuvres sont jouées dans les grands festivals. De 1925 à 1927, il exerce la fonction de conseiller artistique de Paul Bekker au théâtre de Kassel, puis, en 1927, de directeur de l'opéra de Wiesbaden. Durant cette période, il compose beaucoup de musique de scène, son style évolue dans le sens de la mode, opérant une sorte de synthèse des styles postromantique, néoclassique et de la musique de jazz. La meilleure réalisation en est certainement Johnny spielt auf (« Johnny mène le jeu »), Zeitoper, créé en 1927, qui fait scandale par la mise en scène des amours d'un Noir et d'une Blanche et assure sa renommée à travers l'Europe. En 1928, il retourne à Vienne, où il rencontre Berg, Webern et Karl Kraus. Après le Reisebuch aus den Österreichischen Alpen (« Journal de voyage des Alpes autrichiennes », 1929), qui fait parler d'un « retour à Schubert », il se tourne vers une écriture plus stricte, proche de celle des Viennois, quoique toujours très souple en regard de la pure technique dodécaphonique. Son opéra Karl V, composé entre 1930 et 1933 et dans lequel il utilise simultanément les ressources de l'opéra classique, du film et du théâtre, est, en fait, une des seules œuvres qui respecte réellement cette technique.

En 1933, ses positions de musicien d'avant-garde lui font perdre ses appuis : il se met à voyager en tant que conférencier et se produit comme pianiste et chef d'orchestre. En 1938, il s'exile aux États-Unis ; son style change à nouveau. Il s'intéresse au chant grégorien, à la musique du Moyen Âge et du xve siècle ­ à Ockeghem en particulier ­, et écrit en 1941-42 sa remarquable Lamentatio Jeremiae prophetae pour chœur a cappella sur un cantus firmus confié à une série. Il consacre une part importante de son temps à des activités pédagogiques ­ Vassar College, près de New York, puis université de Saint-Paul dans le Minnesota (1942) ­, avant de s'installer à Los Angeles.

Les années 50 lui ouvrent le chemin des musiques expérimentales : en 1955-56, il travaille au studio de la radio de Cologne et compose un Pfingstoratorium (« Oratorio de Pâques ») pour voix et sons électroniques. Dans Sestina (1957), il explore jusqu'à l'automatisme la technique sérielle. L'aléatoire et l'ordinateur ne lui restent pas étrangers, et il va jusqu'à employer un jeu de roulette dans l'opéra Ausgerechnet und verspielt (« Calculé et manqué », 1962). Mais il refusera toujours les élucubrations pseudo-scientifiques, fréquentes chez ses contemporains.

Il faut ajouter encore, pour mieux cerner le personnage, que Krenek ne s'est pas contenté d'écrire pour tous les genres musicaux et de s'adapter aux courants stylistiques les plus divers, de l'expressionnisme à l'art technologique moderne en passant par la Nouvelle Objectivité et le surréalisme (Der goldene Bock, 1964), il a aussi rédigé lui-même la plupart de ses livrets, ainsi qu'un nombre assez important d'œuvres théoriques, esthétiques ou simplement littéraires (Documents de voyage). Tempérament fougueux plus que superficiel, allant toujours au fond des choses et restant critique vis-à-vis de ses propres œuvres et de son époque, Krenek peut être considéré comme une image de cet homme « multidimensionnel », que réclamaient futuristes et tenants de l'école à orientation à la fois artistique et technologique du Bauhaus.