Hugo Wolf

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

Compositeur autrichien (Windischgrätz, auj. Slovenj Gradec, 1860 - Vienne 1903).

Il est l'un des deux principaux émules d'Anton Bruckner, avec Gustav Mahler, son contemporain exact. Son père, d'ascendance allemande, dut reprendre l'entreprise paternelle de tannerie, mais conservera sa vie durant la nostalgie d'une vocation artistique (il aurait souhaité être architecte). Sa mère, née Katharina Nussbaumer (germanisation de l'original slovène Orchovnik), de souche paysanne, avait aussi du sang italien. Tout le tempérament artistique du futur compositeur est déjà déterminé par la fusion de ces atavismes, fusion éminemment caractéristique du creuset viennois à l'époque où Hugo Wolf va faire toute sa carrière.

Après des études secondaires « cahotantes », il découvre les grands classiques viennois, qui nourrissent sa passion exclusive pour la musique. Les premiers essais de composition, dès la quatorzième année, sont destinés au piano ; le lied fait bientôt son apparition ; si bien qu'en arrivant à Vienne pour s'inscrire au conservatoire à la rentrée de 1875, le jeune homme peut entrer d'emblée en seconde année de composition.

La maturité précoce : du « Quatuor » à « Penthésilée »

À côté d'études qu'il écourtera volontairement dès 1877 (il n'aura pas moins obtenu plusieurs récompenses), les premières années viennoises sont surtout marquées par la découverte émerveillée du monde musical contemporain « avancé », et d'abord de Wagner, que Wolf approche personnellement dès décembre 1875. C'est l'opéra qui cristallise à cette époque toutes ses émotions ­ il en entreprend d'ailleurs un lui-même, König Alboin, dont quelques esquisses ont été conservées. Mais l'œuvre la plus originale des années de conservatoire est de très loin la symphonie dont seuls les deux mouvements terminaux nous sont parvenus (ils ont été publiés sous le titre Scherzo und Finale für grosses Orchester), mais qui fut à l'époque menée à bien sous deux formes différentes. Le scherzo notamment contient déjà des trouvailles très remarquables (le modèle privilégié de Wolf était alors Berlioz).

Menant déjà une vie déréglée, il se satisfait de modestes leçons, et n'occupera que pendant quelques mois, fin 1881, l'emploi de chef de chœur au théâtre de Salzbourg, sous la direction de Karl Muck. C'est un échec qui portera plus tard ses fruits, car non seulement il détermine l'ambition de Wolf de s'imposer un jour au théâtre, mais il contribue à lui montrer sa voie, celle du style comique, et à l'éloigner du drame wagnérien.

De sa passion orageuse pour la jeune Valentine (Wally) Franck, nièce d'un professeur au Collège de France, à qui il a d'abord donné quelques leçons de piano, émergent six Chœurs sacrés d'après Eichendorff (1881). L'écho s'en fait entendre aussi dans l'œuvre majeure de ces années de maturité précoce, le vaste Quatuor à cordes en « ré » mineur, qui portera en suscription ces mots tirés du Faust de Goethe : Entbehren sollst du, sollst entbehren ­ ce ne sera là que le premier de multiples renoncements ! De dimension beethovénienne (mais le souffle lyrique doit autant à Schubert qu'à Wagner), ce Quatuor, entrepris dès 1878, mais terminé seulement en 1884, sera reconnu dès sa création en février 1903, à la veille de la mort du compositeur, comme une partition prophétique qui influencera notamment deux des principaux admirateurs de Wolf : Reger et Schönberg.

Mais le jeune maître allait encore au-devant d'une déconvenue avec l'œuvre unique qu'il allait laisser pour l'orchestre, et qui est aussi le legs fondamental de cette première partie de sa vie créatrice : le poème symphonique Penthésilée, entrepris à l'instigation de Liszt en 1883 et terminé deux ans plus tard. Présentée en 1886 à la lecture des nouveautés par la Philharmonie, l'œuvre devait y être tournée en dérision par Hans Richter, furieux de voir le critique Wolf déchirer à belles dents la musique de « maître Brahms ». Il est temps aujourd'hui de reconnaître enfin combien Penthésilée non seulement surclasse ses modèles lisztiens, mais se situe au-delà de toutes les futures productions similaires d'un Strauss : et cela grâce à la seule connaissance que Wolf pouvait avoir déjà de la symphonie brucknérienne par les deux ouvrages de son grand aîné (Symphonies nos 3 et 4) qu'il avait entendus.

Si le propos dramatique (ici le schéma fourni par Kleist) est traduit avec un surprenant réalisme, l'œuvre de Wolf répond en effet, de surcroît, à une structure symphonique dont l'unité interne, cimentée par l'intervalle de seconde mineure qui gouverne tous les thèmes, n'est pas moins parfaite que celle qu'on rencontre chez Bruckner à la même époque. Il s'agit, en fait, du trait d'union historique entre les poèmes symphoniques de Liszt et le Pelléas et Mélisande de Schönberg !

Le lied : une production volcanique

L'échec de Penthésilée, conséquence directe des prises de position de son auteur en faveur des « musiciens de l'avenir » contre le formalisme qui règne en maître à Vienne sous la férule de Brahms et de Hanslick, a donc sonné le glas de l'ambition de symphoniste de Hugo Wolf ­ qui d'ailleurs abandonnera dès l'année suivante (1887) sa chronique au Wiener Salonblatt. Après être retourné momentanément à la musique de chambre avec l'Intermezzo en mi bémol (1886) puis surtout la célèbre Sérénade italienne (mai 1887, instrumentée en 1892), Wolf a la joie de voir paraître ses premiers cahiers de lieder imprimés, qui rencontrent un succès immédiat (1887). Ceci explique la véritable explosion à laquelle on assiste dès l'année 1888, où voient le jour près d'une centaine de lieder géniaux, répartis en trois grands recueils sur des vers respectivement de Mörike (53), d'Eichendorff (13), de Goethe (25). Et les deux années suivantes voient la poursuite du même effort, selon un rythme il est vrai moins soutenu, avec un second ensemble de vingt-six poèmes de Goethe, puis, entre octobre 1889 et avril 1890, le Spanisches Liederbuch (en deux volets également). Celui-ci sera lui-même suivi du premier des deux recueils de l'Italienisches Liederbuch, créé en deux étapes, à un an de distance, fin 1890 et fin 1891.

Les intervalles représentent autant de silences douloureux, de crises d'impuissance dont la correspondance du musicien porte l'empreinte tragique. Au contraire, il est porté par sa propre création à des enthousiasmes parfois délirants, mais où l'émotion rejoint la terreur, ce qui donne la mesure du désordre qui s'installe dès cette époque en lui, et dont on sait aujourd'hui l'origine syphilitique (la contamination remonterait à 1877 déjà).

Des pages chorales ou scéniques de commande complètent la moisson de ces années décisives : Christnacht, petit oratorio de Noël d'après Platen (déc. 1886 - mai 1889) ; Das Fest auf Solhaug, musique pour le drame d'Ibsen (fin 1890-1891), créé au Burgtheater le 12 novembre 1891 et repris en concert quelques mois plus tard (et en édition posthume).

La réputation de Wolf s'est donc établie, déjà de son vivant, essentiellement par les grands cycles de lieder dont la composition est ramassée sur une brève période de quatre années ­ il s'y ajoutera, en 1896, le second recueil de l'Italienisches Liederbuch et des poèmes d'auteurs divers dominés par les trois admirables Michelangelo Lieder, son chant du cygne.

Romain Rolland, et à sa suite la plupart des biographes du compositeur, en ont conclu un peu hâtivement que toute la création de Wolf se circonscrivait à ces quelques années centrales. C'est là une vue totalement erronée, dont ce qui a été dit plus haut fait déjà justice. Mais il est commode de qualifier Wolf de « Wagner du lied » comme on a qualifié Bruckner de « Wagner de la symphonie » ; et il reste vrai que cette forme a connu en lui son plus grand représentant après Schubert.

Il n'est pas moins vrai que le compositeur lui-même fut irrité de se voir confiné à ce qu'il qualifiait de « petite forme », et ne cessa, durant les deux grandes décennies de sa vie créatrice, d'ambitionner des réussites de premier plan dans les genres « nobles ». Nous en avons déjà vu deux exemples avec le Quatuor et Penthésilée ; c'est encore le cas de l'œuvre clé, et guère moins malchanceuse, qu'est le Corregidor.

Le sommet de l'opéra-comique allemand

Tiré par Rosa von Mayreder du roman de Pedro de Alarcón le Tricorne (→ M. de FALLA), le Corregidor ­ littéralement « le Magistrat » ­ est entrepris fiévreusement au printemps de 1895, terminé dans l'année même et créé avec un indéniable succès le 7 juin 1896 à Mannheim. Il tombe cependant très vite, mais sera encore repris une fois du vivant de Wolf, à Strasbourg. Après sa mort, il ne fera que des apparitions sporadiques sur les scènes germaniques, et trouvera cependant en Bruno Walter ­ qui le comprit vraiment dans son essence ­ un défenseur enthousiaste (Salzbourg, 1936).

L'insuccès du Corregidor a couramment été mis au compte de la prétendue absence de sens scénique du compositeur : l'œuvre tiendrait davantage du recueil de lieder orchestraux ­ au demeurant admirables ­ que de l'ouvrage de théâtre. Or, il s'agit de tout autre chose. En fait, l'aspect négatif de la pièce tient uniquement à la définition du caractère du héros, personnage grotesque ­ l'exact contraire de Carmen ­ que très peu d'interprètes savent « faire passer ». Reste qu'au terme d'une histoire longue et riche (v. notamment Lortzing, Cornelius, Goetz), le Corregidor pourrait bien représenter la véritable apogée de l'opéra-comique allemand, c'est-à-dire de pièces vraiment comiques mais dont la signification dépasse le simple comique. Si Wolf a retenu la leçon de Wagner, il l'a, selon P. Balascheff, transposée en caractérisant chaque personnage par un rythme propre. Bref, loin des mauvais « mélos » du style de La Tosca, c'est bien plutôt vers un chef-d'œuvre comme Falstaff qu'il faut se tourner pour établir un parallèle.

Les derniers projets et la fin

L'année de la création de l'opéra fut aussi, on l'a dit, celle des derniers grands lieder. Parmi les expressions ultimes de l'art de Wolf, une place à part doit être réservée, outre aux Michelangelo, au Morgengesang de Reinick, dont il donnera un an plus tard, alors qu'il se trouvera déjà à l'hospice du Dr Svetlin, une admirable adaptation chorale sous le titre de Morgenhymnus (décembre 1897). Mais le grand projet de cette année tragique demeure celui du second opéra, Manuel Venegas, tiré d'une autre pièce d'Alarcón, El Niño de la bola. La musique du premier acte est esquissée au cours de l'été de 1897, dans un enthousiasme semblable à celui qui vit naître l'œuvre précédente. Mais celle-ci sera brutalement interrompue par une crise précipitée par l'emploi d'alcool comme stimulant, et occasionnée le 20 septembre 1897 par une visite à Mahler.

Ce dernier ayant promis à son ancien condisciple de monter le Corregidor, Wolf est en effet ulcéré par ses atermoiements, et entre tout à coup dans une grande excitation qui dégénère rapidement et justifie son internement. Après deux mois passés dans un isolement complet, il peut reprendre une certaine activité, tente de développer sa Sérénade italienne et d'en entreprendre une autre, qui demeurera embryonnaire. Il quitte l'hospice fin janvier 1898, et passera une année calme, menant une vie végétative, voyageant avec des amis, en particulier en Italie. Un matin d'octobre, il tentera de se noyer dans le Traunsee, et devra être à nouveau et définitivement interné à Vienne, où il survivra encore près de cinq années. Une pneumonie le délivrera enfin le 22 février 1903, et il sera inhumé auprès de Beethoven et de Schubert.

Hugo Wolf et le lied

Dans la majorité de ses lieder, Schubert ­ qui sera suivi en cela par Brahms et par Richard Strauss ­ s'inspirait d'un certain état d'âme ou d'un climat régnant dans le texte choisi, et ne se souciait pas forcément de suivre dans le détail l'expression verbale que le poète avait donnée à ses sentiments. Cela lui permettait de traiter avec un égal bonheur des textes de grands auteurs ou de poètes de second ordre : il cherchait une réalité spirituelle ou affective derrière les paroles. Cependant, certaines de ses œuvres tardives ouvraient aussi une autre voie : celle qui consiste à suivre méticuleusement la diction du poète, en négligeant, s'il le faut, les contraintes de construction régnant dans la musique instrumentale. Les exemples les mieux connus sont les six lieder sur des textes de Heine qui font partie du Schwanengesang. Là il cherche la réalité à travers les paroles. Cette méthode mène à Hugo Wolf et au Sprechgesang de Schönberg, tandis que chez Schumann on peut constater une manière d'équilibre entre les deux conceptions.

Hugo Wolf s'inscrit donc résolument dans cette seconde filière, et ce, dès le début. Déjà le premier recueil (Liederstrauss, 1878, textes de Heine) porte le titre « Gedichte » (poèmes) et non pas celui de « Lieder », indiquant ainsi que l'essentiel pour lui est la parole. Et, sur les soixante-dix lieder posthumes publiés ou réédités par la Hugo-Wolf-Gesellschaft, qui représentent des œuvres de jeunesse non jugées dignes de publication par le compositeur, il ne se trouve que quatre textes de poètes inconnus et quatorze de poètes mineurs. Nous connaissons aussi la méthode de travail de Wolf : il lisait plusieurs fois à haute voix le poème choisi, puis se couchait et composait le lied en se réveillant.

On sait qu'une caractéristique de la musique post-beethovénienne est le rétrécissement de la cellule génératrice accompagné d'un élargissement de la forme (v. les articles Schubert et Bruckner, ou ci-dessus ce qui est dit de Penthésilée). Ce double phénomène s'observe dans la production mélodique de Wolf. Si l'on compare, par exemple, sa version du lied de Mignon Nur wer die Sehnsucht kennt avec celle de Schubert (D. 877/4), on constate que Wolf établit le climat psychologique par un motif de quatre notes, tandis que, dans l'ensemble, sa partition (57 mesures) est plus étendue que celle de Schubert (46 mesures). Cette technique libère la voix chantée de tout souci de la phrase musicale, et lui permet de reproduire la moindre inflexion de la voix parlée. Ceci ne veut pas dire que Wolf reste l'esclave de ses poètes : il se permet des entorses à la prosodie (syllabes faibles sur une note élevée), mais elles sont rares et toujours dictées par un souci d'expressivité.

Du rythme il fait le même usage que ses devanciers, notamment pour constituer un décor sonore comme le galop d'un cheval. Mais le chromatisme hérité de Wagner lui permet un jeu harmonique infiniment plus varié que chez les anciens. La tonalité est rarement établie d'emblée ; et si un accord parfait ouvre le discours, il est aussitôt quitté pour ne revenir qu'à bon escient : ainsi par exemple dans le prélude de Gebet (Mörike n[o+] 28) où, intervenant après des chromatismes troubles (l'inquiétude de l'âme avant la prière), il fait l'effet d'un rayon de soleil pénétrant dans une cathédrale du haut de la coupole.

Les grands cycles allemands

La grande époque du lied, on l'a dit, débute chez Hugo Wolf par sa découverte de Mörike. Cet engouement ne laisse pas de surprendre à première vue. Mörike (1804-1875), pasteur paisible d'une petite ville provinciale de la Souabe, est considéré comme le poète du repos de l'âme, du sage contentement, de l'humour quelque peu désabusé. Le bouillonnant Wolf, qui dans d'autres circonstances préférait un auteur aussi explosif que Kleist, que venait-il faire dans cette galère ? Soupçonnait-il la lave qui couvait sous la surface de calme apparence et qui se devine à travers quelques poèmes tels que Peregrina ? Fut-il attiré par l'étonnante diversité de ces poésies ? Toujours est-il que, dans Mörike, Wolf a donné le meilleur de lui-même ; et si l'on jouait au jeu de l'île déserte, c'est le volume Mörike qu'il faudrait choisir. Non pas que les autres compositions soient de qualité inférieure, loin de là. Mais le volume Mörike est le plus complet.

Tout s'y trouve. Du sentiment religieux le plus intériorisé (Gebet ; Schlafendes Jesuskind ; Auf eine Christblume) jusqu'à l'humour le plus débridé (Zur Warnung ; Abschied, où l'on notera, dans le postlude, l'emploi original d'une valse viennoise qui accompagne la chute du critique dans l'escalier), rien d'humain n'est absent de ces poèmes. Le charme goguenard (Elfenlied) côtoie le drame halluciné (Der Feuerreiter, dont Wolf donnera aussi, en 1892, une version pour chœur et orchestre).

Eichendorff (1788-1857) est surtout populaire comme chantre de la fameuse « Wanderlust » ­ protestation écologiste avant la lettre, de l'âme allemande contre la vie réglementée de l'industrialisation récente. Il semble que ce soit ce côté contestataire qui ait surtout attiré Hugo Wolf. Les chants nostalgiques, les rêves d'un passé à jamais disparu, qui ont tant séduit Schumann, sont chez Wolf en minorité (Nachtzauber ; Heimweh). La plupart de ses lieder chantent, sur un ton fort rythmé et quelque peu désinvolte, le défi aux valeurs courantes de la société. Ce sont les marginaux, soldats, marins, aventuriers, musiciens ou poètes indifférents à l'argent, aux honneurs, au succès, qui ont ici droit à la parole. Un défilé de « hippies », dirait-on. Comme une fleur isolée dans un jardin sauvage, s'élève le seul vrai chant d'amour du recueil, le merveilleux Verschwiegene Liebe.

Des différentes phases que parcourut Goethe au cours de sa longue vie (1749-1832), la première, de style galant, « anacréontique », n'intéressait pas Wolf. De la seconde, celle du bouillonnant poète du « Sturm und Drang », révolution littéraire et contestation sociale des années 1770, le musicien n'a retenu que trois hymnes : Prometheus, Ganymed et Grenzen der Menschheit, où, en doublant Schubert, il s'y oppose. Les lieder de Wolf font donc presque tous appel à la grande maturité du poète. On y respire un air de sagesse ironique, de détachement, d'une existence en dehors de la mêlée. Les tons tragiques ne sont certes pas absents : les chants de Mignon et du Harfenspieler (« Harpiste ») sont ce que Goethe a écrit de plus désespéré. Mais ces paroles ont attiré d'autres compositeurs également (Schubert, Schumann).

L'originalité de Wolf réside plutôt dans la recherche délibérée de l'humour, trait pourtant peu caractéristique de Goethe (Der Rattenfänger ; Ritter Kurts Brautfahrt ; Gutmann und Gutweib ; Epiphanias).

Quant au second volume, il est presque entièrement consacré aux poèmes du West-östliche Divan, recueil de textes que Goethe, sexagénaire, écrivit sous la double impulsion d'un nouvel amour et de la poésie persane qu'il venait de découvrir. Mais Wolf écarte les poèmes passionnés et se concentre sur des chants en éloge à la boisson, ou sur d'autres où Goethe joue avec l'amour plutôt qu'il n'aime vraiment. À sept ans de son effondrement, Wolf se comporte ici en homme rangé et sage. On notera qu'il évite cette fois les textes déjà illustrés par d'autres.

Les recueils « méditerranéens »

Les deux recueils suivants sont consacrés à des poèmes étrangers, traduits par deux poètes de seconde zone, Heyse et Geibel. Le Spanisches Liederbuch (« Chants espagnols », 1889-90) comporte une partie de chants sacrés et une partie de chants profanes. Les chants sacrés commencent en hymne à Marie, à laquelle sont consacrés les trois premiers ; puis nous assistons à la naissance de Jésus, saluons l'enfant merveilleux, qui nous conduit doucement vers le Sauveur martyrisé. Le ton est simple, les harmonies moins chromatiques que dans la plupart des autres compositions ; la profonde religiosité de Wolf, qui ne s'était guère exprimée depuis Mörike, revient ici à la surface.

Les chants profanes, quant à eux, se caractérisent par un délicieux climat entre larmes et sourire, tout à fait particulier à ce recueil, et qui ne se trouve guère exprimé ailleurs avec pareil bonheur. C'est mi-amusés, mi-attendris que nous assistons aux déboires de tel amoureux trop timide (Wer sein holdes Lieb verloren), ou de tel autre auquel les œillades de la belle promettent le bonheur, tandis que le geste de son doigt lui ôte tout espoir (Seltsam ist Juanas Weise ; Auf dem grünen Balkon mein Mädchen).

Dans l'Italienisches Liederbuch (« Chants italiens », 1890-91 et 1896), un des thèmes auxquels Wolf est particulièrement attentif est la dispute entre amoureux. Deux merveilleux lieder chantent la réconciliation : Wir haben beide lange Zeit geschwiegen et Nun lass uns Frieden schliessen ; d'autres nous mènent au milieu de la bataille, dont le ton taquin laisse cependant prévoir un dénouement heureux (Du sagst mir… ; Nein, junger Herr ; Wer rief dich denn ?). Deux seulement sont d'une teneur vraiment dramatique : Hofärtig seid ihr, schönes Kind (où l'amant malheureux claque la porte avec un accord dissonant), et Was soll der Zorn mein Schatz.

Les lieder non compris dans ces recueils mais publiés par Wolf de son vivant sont réunis sous le titre Lieder nach verschiedenen Dichtern (d'après différents poètes). En dehors du ravissant Mausfallen-Sprüchlein (encore Mörike !) et des six poèmes d'après Gottfried Keller, les mieux connus sont les trois lieder d'après Michel-Ange, lourds de tristesse et de mélancolie.