France
(xve s.)
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
On désigne plus spécialement sous l'appellation d'école franco-flamande la génération d'Ockeghem, Obrecht et Josquin, mais on l'étend parfois à l'ensemble des musiciens nés au xve siècle dans les pays du Nord qui s'étendent de Saint-Quentin à Amsterdam, une région remarquable par le nombre et le lustre de ses maîtrises, conséquence de l'installation de la chapelle papale en Avignon. Dans ces véritables pépinières (cf. notamment Cambrai, où se forma Dufay avant d'y enseigner à la fin de sa vie comme le firent Grenon ou Obrecht) est dispensée une formation savante, orientée essentiellement vers la pratique d'un strict contrepoint développé à l'extrême et de l'improvisation polyphonique, pratique qui valut à ses membres une réputation de sérieux et de savoir-faire inégalée. Elle explique, en outre, que l'Italie se soit servie de ces centres comme d'un réservoir : la chapelle pontificale prisait fort ces chanteurs qui jouissaient de la même estime dans les cours d'Italie du Nord, à preuve la mission de recrutement de chanteurs flamands confiée, en 1501, à Josquin par le duc de Ferrare ou, quelques années plus tôt, à Gaspar Van Weerbeke par le duc Sforza de Milan. Le séjour outre-mont des musiciens franco-flamands est donc courant dès la première moitié du siècle (Dufay, Fontaine, Grenon) ; il devient la règle au temps de Josquin (cf. Josquin à Milan, Rome et Ferrare, Compère, Obrecht, Isaac, Gaspar Van Weerbeke) ; seul Ockeghem y échappe.
La cour de Bourgogne
En ce xve siècle, la cour de Bourgogne constitue assurément un centre de vie artistique de tout premier plan par le mécénat qu'y exercent les ducs ; cette situation justifie l'appellation, parfois employée, d'école bourguignonne. La chapelle, même si elle ne forme un corps stable que vers 1430, est un élément du faste de la cour : Grenon dès 1385, Fontaine dès 1404, Binchois pendant trente ans (1430-1460), l'Anglais Robert Morton à partir de 1457, Hayne van Ghizeghem et Busnois en 1468 en furent, entre autres, des figures actives ; toutefois les plus grands noms ne furent attachés ni à la dignité de conseiller ni à celle de premier chapelain : Dufay par exemple ne fut qu'un collaborateur occasionnel, peut-être dirigea-t-il tardivement le chœur. La réorganisation à laquelle procède Philippe le Bon est le signe d'une mutation dans le recrutement des musiciens : exclusivement française à son arrivée au pouvoir en 1419 (sous Philippe le Hardi et Jean sans Peur, on chantait selon l'usage parisien), la chapelle recrute progressivement dans les seuls « pays d'en deçà ». Ce tournant n'est pas sans rapport avec l'établissement de la cour en Flandre à partir de 1460. De plus, les rapports du duché avec la cour d'Angleterre semblent avoir favorisé les échanges musicaux à tel point que Martin le Franc, dans son Champion des dames, vers 1440-1442, souligne, dans le cadre de la mise en place d'un style nouveau, « la contenance anglaise » de Dufay et Binchois (cf. notamment le faux-bourdon, l'usage de longues vocalises et un certain climat harmonique). De fait, Dunstable a vécu à Paris chez le duc de Bedford, régent et administrateur des possessions françaises du jeune roi d'Angleterre Henri VI, et Morton fut engagé comme chantre à partir de 1457, puis comme chapelain de Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Cet éclat ne saurait nous faire oublier l'existence d'une vie musicale en France, à Paris (Notre-Dame et Sainte-Chapelle), Chartres ou Rouen sur le plan religieux, mais aussi dans les cours d'Anjou, de Bretagne, et dans celle de Bourbon que sert Ockeghem, à Moulins, de 1446 à 1448, avant d'entrer à la chapelle royale alors installée sur les bords de la Loire. Mais c'est seulement avec Louis XI que l'on reparlera de musique française au sens strict.
La chanson
Le xve siècle est avant tout le siècle de la chanson et le nombre des recueils conservés croît avec les années : plus de 35 chansonniers manuscrits entre 1400 et 1450, plus de 60 entre 1480 et 1520 ; pourtant, cette période consacre la dichotomie entre le musicien et le poète (Busnois est une des rares exceptions), lequel devient souvent difficilement identifiable même si Alain Chartier, Charles d'Orléans, Christine de Pisan ou Pétrarque figurent parmi les choix d'un Binchois ou d'un Dufay. Toutefois, le texte généralement encore des poèmes à forme fixe, le rondeau, la ballade (qui tombe en désuétude vers 1430), la bergerette (un virelai écourté) est fondamental puisque sa forme détermine la structure musicale, qui est par exemple pour le rondeau, chez Binchois : ab ac/ ab ab/ ab ac/a. Les thèmes développés sont, avant tout, ceux de l'amour courtois et de sa sémantique allégorique mais la ballade se prête à de plus nobles sujets, souvent de circonstance ; enfin, il faut noter des sujets populaires, bergeries ou pastourelles et, pour les poèmes de forme libre, des chansons à boire, de nouvel an ou de mai.
Plutôt que de parler d'une école ou d'un style bourguignon, il serait plus juste de relever certaines caractéristiques communes et dominantes de la chanson à 3 voix du début du xve siècle, un genre qui devient international comme le montrent les chansonniers : recherche d'une simplification mélodique et rythmique (contrepoint sommaire, imitations courtes et peu fréquentes), adoption d'un traitement syllabique, mais très peu d'attention apportée au sens des paroles, dans un souci de clarté et d'expression purement musicales ; en témoignent Fontaine, Grenon, R. de Loqueville et surtout Binchois, le représentant type de cet art de cour raffiné et intime qui s'inscrit en réaction contre les complexités rythmiques et contrapuntiques spéculatives de la fin du xive et du début du xve siècle (cf. manuscrit de Chantilly et Ars subtilior). C'est Dufay qui réussit (conséquence de ses contacts prolongés avec la musique italienne) à briser le carcan du poème à forme fixe, en dissimulant la coupure de la fin du vers (que Binchois soulignait précisément par un mélisme), en traitant superius et ténor en duo où parfois ils interfèrent, en canons ou imitations, par des mélismes ou des lignes mélodiques plus souples, plus expressives parce que plus colorées. Il est, en somme, avec Busnois qui sut opposer strophes binaires et ternaires, le reflet de la transformation qui s'opère dans la chanson entre 1435 et 1470 : autonomie progressive du ténor et recherche d'un nouvel équilibre des voix, extension des imitations, sens plus aigu d'une ligne mélodique expressive et spontanée. C'est cette chanson savante, courtoise, délivrée de l'emprise de la rhétorique, à l'architecture équilibrée, à l'écriture subtile, au contrepoint libre, que Josquin porte à son apogée. Nul mieux que lui n'a su allier l'art polyphonique, la profondeur de l'expression et une sensibilité nouvelle ouverte sur le sentiment harmonique. Face à cette chanson savante, se développera, surtout à Paris et à Lyon, une chanson d'allure populaire promue à un bel avenir. La naissance de l'imprimerie musicale devait profondément transformer les conditions de la musique et assurer à la chanson franco-flamande une diffusion insoupçonnée : l'Harmonice Musices Odhecaton A, publié en 1501 à Venise par O. Petrucci qui avait acquis le privilège pour vingt ans en 1498, et les Canti B (1502) et C (1504) constituent l'ensemble le plus représentatif de la chanson franco-flamande du xve siècle et soulignent l'estime en laquelle elle était tenue.
La transcription de ces chansons forme encore l'essentiel de la musique instrumentale pendant plus d'un siècle, mais elle tient de plus en plus compte de la spécificité des instruments, notamment par le biais de l'ornementation (cf. Buxheimer Orgelbuch, v. 1470) ; on doit plus particulièrement à Manfred Bukofzer d'avoir montré comment s'est fait le passage de la chanson à la musique de danse (cf. manuscrit des basses-danses de Marguerite d'Autriche, dont un grand nombre de ténors de rondeaux de Fontaine ou Binchois se trouvent être l'élément de base). Il semble évident, d'autre part, que le mode d'écriture de la chanson à la cour de Bourgogne invite à confier aux instruments l'exécution d'une ou plusieurs parties, à l'exception du superius, l'ancienne triple, toujours vocal. Les œuvres d'Ockeghem et Josquin proposent, au contraire, une polyphonie entièrement vocale, ce qui ne saurait exclure les doublures instrumentales.
La musique religieuse
En ce qui concerne la musique religieuse, deux faits retiennent l'attention. D'une part, le motet, de profane (cf. Machaut), devient religieux ; d'autre part, on assiste à la constitution progressive du cycle unitaire de la messe par le biais de l'adoption d'un thème donné (cantus firmus) commun aux différents fragments, emprunté au répertoire liturgique ou profane (d'où le nombre de messes portant un titre de chanson) ou, parfois, plus artificiel (cf. la messe Mi-mi d'Ockeghem). Ainsi naissent trois types : la messe à teneur (thème présenté au ténor en valeurs longues), la messe paraphrase (un ou plusieurs thèmes divisés en sections), la messe parodie (adaptation plus ou moins libre d'un modèle polyphonique). En effet, si chez Binchois, malgré quelques timides groupements, le fragment indépendant écrit dans un style proche de celui de la chanson reste la règle, Dufay, manifestant son esprit d'invention, met en place le cycle de la messe et bâtit de grandes architectures à 4 voix en tirant parti de la technique du cantus firmus reprise au motet (cf. ses œuvres postérieures à 1460 : messes de l'Homme armé, Ecce ancilla, Ave Regina). C'est la marque d'un esprit nouveau se dégageant résolument de l'héritage de l'Ars nova et qui annonce la découverte des possibilités de la maîtrise de la technique du contrepoint et du style en imitation par la génération d'Obrecht, de La Rue et Ockeghem. Ce dernier est sans doute l'un des premiers compositeurs à traiter dans un esprit différent la musique profane et la musique religieuse. Sa virtuosité technique, sa mathématique transcendante ne sauraient gêner son goût pour l'émotion immédiate ; l'expression, le souci du rapport texte-musique conditionnent le choix de ses moyens et la création d'un tissu sonore où point le sentiment de l'harmonie. Josquin ira encore plus loin. Il adopte, certes, le principe d'imitation continue à toutes les voix comme une marque essentielle de son style, mais la division en deux groupes du quatuor vocal place son écriture sous le signe de la clarté. En outre, son souci constant est bien de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. C'est surtout dans le motet à mélodie libre (par opposition au motet sur mélodie donnée où, à partir du style cantilène de Binchois, se précisera la technique de développement par sections adoptée par Dufay et mise au point par Josquin) que ce figuralisme s'épanouira. Dans ce genre plus libre, Josquin laisse aller son imagination créatrice et sa virtuosité (une quarantaine de pièces à 5 ou 6 voix, le reste à 4 voix comme les messes) tout en recherchant un équilibre entre texte et musique, mélodie et rythme, harmonie et polyphonie. Cette importance du texte au détriment du nombre sur lequel se fonde encore la forme au début du siècle (le motet isorythmique est constant chez Grenon, fréquent chez Binchois) est significative de la transformation stylistique qui s'est opérée. Aussi ne sommes-nous pas étonnés de voir à la fin du xve siècle la musique passer, à l'intérieur des Arts libéraux, du quadrivium (qui regroupe au Moyen Âge les disciplines scientifiques : arithmétique, géométrie, astronomie et musique) au trivium (qui regroupe les disciplines littéraires : grammaire, philosophie, rhétorique).
Enfin, il ne faudrait pas oublier l'existence d'un théâtre religieux très vivant et populaire : le xve est le siècle des mystères consacrés à la Passion (cf. celles d'Arnoul Greban à Paris, 1450, de Jehan Michel à Angers, 1485) ou à la vie des saints (cf. le tableau de Jean Fouquet, le Martyre de sainte Apolline). Même si nous n'en avons aucune trace manuscrite, nous savons que la musique y jouait un grand rôle.