Claude Le Jeune ou Claudin Le Jeune
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur français (Valenciennes v. 1530 – Paris 1600).
On ignore tout de sa jeunesse et de sa formation (peut-être participa-t-il à une maîtrise du Nord et séjourna-t-il quelque temps en Italie) jusqu'à sa première mention dans un recueil de chansons publié à Louvain (1552) et à son installation à Paris (v. 1564), où il devint le protégé de deux seigneurs protestants, François de la Noue et Charles de Téligny : il leur dédia ses Dix Pseaumes de David en forme de motets.
Membre actif, dès sa fondation, de l'Académie de poésie et de musique (1570) fondée par J.-A. de Baïf et Courville, et qui avait pour but de restaurer l'union des deux arts ainsi que de faire revivre, dans la langue française, la musique mesurée à l'antique, Claude Le Jeune s'y imposa comme le musicien le plus novateur. Il sut en tirer toutes les possibilités rythmiques. Échappant aux massacres de la Saint-Barthélemy (1572), il entra comme maître de musique au service de François, duc d'Anjou et frère du roi Henri III (av. 1582), et l'accompagna vraisemblablement dans l'expédition d'Anvers contre les Espagnols. Dans cette ville fut publié, chez Plantin, son Livre de meslanges (1585). Le Jeune servit ensuite divers nobles protestants en un temps où sa réputation était aussi grande que celle du « divin » Orlande. Hostile à la Ligue, il s'enfuit à La Rochelle, tandis que Jacques Mauduit parvenait à mettre en lieu sûr ses manuscrits.
En 1596, Henri IV nomma Claude Le Jeune compositeur ordinaire de la Chambre du roi. Rapin l'appelait le « Phénix des musiciens » ; Mersenne aimait louer la « beauté et diversité des ses mouvements ». Mais peut-être faut-il d'abord souligner la variété des genres qu'il pratiqua avec une égale liberté : psaumes, motets, chansons, chansons spirituelles, airs, etc. Par exemple, dans le Printemps (édité par sa sœur, Cécile Le Jeune, en 1603), il varie les dispositifs vocaux, fait alterner sur le plan structural couplets (chants) et refrains (rechants), sachant placer à bon escient un trait expressif. Son admiration pour Janequin s'y révèle par l'emprunt de l'Alouette et du Rossignol, deux pièces polyphoniques auxquelles Le Jeune ajoute une cinquième voix. Sans doute veut-il ainsi relier à la tradition le style nouveau, plus homorythmique et particulièrement personnel sur le plan harmonique, qu'il développe dans trente-trois des trente-neuf pièces du Printemps.
Si faire naître des passions en retrouvant l'ethos primitif de la musique est l'une de ses aspirations, Le Jeune semble avoir réussi auprès de ses contemporains, puisque l'exécution en 1605 de deux de ses Pseaumes par plus de cent chanteurs produisit un tel effet sur Eustache Du Caurroy qu'il « se convertit » à la musique mesurée. En la matière, mode et rythme ne sont que des moyens qui lui permettent, comme dans les Octonaires de la Vanité et inconstance du monde, sur un texte d'Antoine de La Roche Chandieu, de mieux cerner l'essence du poème, une œuvre engagée, où la polyphonie très ornée concourt à l'expressivité. L'œuvre se divise en douze sections, chacune écrite dans l'un des douze modes utilisables à la fin du xvie siècle.
Mais Claude Le Jeune ne saurait être enfermé dans une seule esthétique sur le plan de la musique spirituelle et religieuse : il a mis en musique Dix Pseaumes de David en forme de motets (1564), en faisant œuvre originale du point de vue mélodique. La mélodie traditionnelle se rencontre, d'ailleurs, chez lui, dans une harmonisation note contre note, à 4 voix, à moins que, assurant le lien entre les diverses strophes, elle ne circule librement entre les parties. C'est le cas du Dodécacorde (1598), douze psaumes polyphoniques établis de nouveau sur les douze modes de Glaréan. Notons aussi qu'il a pu préférer aux vers de Marot, rebelles à l'esthétique nouvelle, ceux de Baïf et d'Agrippa d'Aubigné (126 Pseaumes en vers mesurés, Te Deum, 1606). Dans le recueil d'Airs paru chez Ballard en 1608, on retrouve des pièces remaniées écrites à l'origine pour le mariage du duc de Joyeuse (1581).
Tel est le cas de Comment pensés vous que je vive : sur un bercement ternaire, les cinq voix entrent une à une avec chaque nouvelle strophe poétique, suggérant ainsi la mise en scène de cette pièce.
Le modernisme du langage harmonique de Le Jeune n'est peut-être nulle part plus frappant, plus étonnant que dans la chansonnette pour 3 voix aiguës Qu'est devenu ce bel œil, extraite du recueil de 1594. Enfin, il a signé un certain nombre de villanelle (par exemple, O Villanella bella à 4 voix) et de madrigaux italiens. Ces derniers, écrits dans le style de maturité du genre à 5 voix, exploitent les possibilités contenues dans le texte, que ce soit l'élan rythmique de Io ti ringrati' amor ou la chute chromatique de Viv' in dolor.
En somme, l'œuvre de Claude Le Jeune se présente, en cette fin du xvie siècle, comme une œuvre de synthèse ouvrant la voie aux nouvelles formes du siècle suivant. Dans le domaine de la musique mesurée à l'antique en particulier, son influence a été grande chez les premiers maîtres de l'air de cour.