Tacite

en lat. Publius Cornelius Tacitus

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Historien latin (vers 55 – v. 120 apr. J.-C.).

Peut-être né en Gaule transalpine, il appartenait sans doute à une famille de l'ordre équestre et son mariage en 77 avec la fille du gouverneur de Bretagne, Agricola, lui permit, grâce à la protection de son beau-père, de mener une carrière sénatoriale. Questeur en 81, édile en 84, préteur en 88, il exerça ensuite la charge de légat, peut-être en Gaule Belgique. Ses talents oratoires, affinés au contact de maîtres renommés comme M. Aper et Julius Secundus, en firent un des avocats en vue de la fin du ier s. En 97, après l'avènement de Nerva, il devint consul et l'année suivante se prononça violemment contre le règne de Domitien dans l'éloge funèbre de son beau-père Agricola. Le retour des libertés instauré par l'avènement de Nerva lui permit d'entreprendre la composition de la Germanie (sans doute en 98 apr. J.-C.) et du Dialogue des orateurs (vers 106), et celles de ses grandes œuvres historiques que sont les Histoires (entre 106 et 109 apr. J.-C.) et les Annales (vers 117 apr. J.-C.). En 112-113, il fut proconsul d'Asie, après quoi on perd sa trace et sans doute mourut-il au début du règne d'Hadrien.

Historien, Tacite a pour lui le recul, celui d'un provincial à Rome, originaire du sud de la Gaule ou de l'Italie du Nord ; c'est, malgré sa carrière flatteuse, un politique inaccompli, qui comprend vite que les charges sénatoriales ne sont plus que décorum face au pouvoir de l'empereur. Mais il s'obstine à croire que la politique est une dimension essentielle de l'homme ; il s'acharne à comprendre les raisons de la naissance d'un système qui le fascine et le désespère. L'éloquence est devenue sans objet depuis la disparition des grands débats politiques. Dans le Dialogues des orateurs, à travers le plaidoyer du Gaulois Marcus Aper en faveur du style à la mode, les critiques de Messala qui voit dans la mauvaise éducation donnée par les rhéteurs la cause du déclin de l'éloquence romaine, et l'analyse par Secundus des transformations de la vie politique et des restrictions apportées à la liberté de parole sous l'empire, Tacite dresse le constat de disparition de l'éloquence civique, et pose Virgile en modèle d'un nouvel orateur, en qui se fondent éloquence, philosophie et poésie. Dans la Germanie, véritable document ethnographique qui donne une image assez fidèle des peuplades germaniques à la fin du ier s., il peint la simplicité des lois et la pureté des mœurs des Germains, et laisse lire en creux la dépravation de la « civilisation » romaine. Dans la Vie d'Agricola, éloge funèbre du général conquérant de la Grande-Bretagne, mort en 94, il critique violemment la tyrannie de Domitien et dénonce sévèrement l'impérialisme de Rome (dans le célèbre discours du chef calédonien Calgacus). Dans les Histoires, qui évoquent la crise qui suivit la mort de Néron en 69, il dépeint, entre autres scènes saisissantes comme la bataille de Crémone ou la mort de Vitellius, les monstres qui gouvernèrent de Néron à Domitien, les assassinats, les révoltes de légions, les délires despotiques qui s'achèvent paradoxalement par l'avènement de princes bénéfiques (Nerva et Trajan).

Dans les Annales enfin, délaissant le règne d'Hadrien qui, sous ses yeux, instaure l'âge d'or au iie s., il va chercher plus loin dans le passé de quoi justifier son pessimisme prospectif et il inscrit l'Empire dans une perspective tragique. Comportant sans doute à l'origine 18 livres, les Annales racontaient l'histoire de l'Empire romain depuis la mort d'Auguste jusqu'à celle de Néron. Il ne reste de l'œuvre que les livres I à IV, des fragments des livres V et VI (règne de Tibère), et les livres XI à XVI (fin du règne de Claude et première partie de celui de Néron). Tacite analyse la dégradation du rêve impérial : l'empire autophagique se déchire à l'intérieur à travers les folies et les crimes des successeurs d'Auguste et se dilue aux frontières d'un domaine trop vaste. La sagesse du fondateur de la dynastie est devenue prudence mesquine, l'enthousiasme conquérant a fait place à la tyrannie intérieure. Le sénat, par lâcheté, est entré dans le jeu de l'hypocrisie impériale et a laissé perdre la liberté du peuple romain. Ce désespoir lucide est peut-être à la source de l'inachèvement de l'œuvre, mais il est aussi responsable de l'art de l'écrivain, tout en densité (fréquence des ellipses) et en rupture (dissonances rythmiques et syntaxiques qui créent la surprise). Tacite accuse les vices et les qualités des protagonistes pour mieux faire ressortir la leçon morale à tirer de l'histoire, l'Empire étant condamné à la fois pour son crime public contre le pouvoir du sénat et pour les crimes domestiques des familles régnantes : c'est ainsi que s'affrontent les portraits contrastés de Tibère, simulateur et cruel, et de son neveu Germanicus, figure éclatante du courage et de la vertu, ou que certains épisodes prennent la dimension de véritables tragédies, comme l'assassinat d'Agrippine ou le suicide de Sénèque.