pensées
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Le mot est plus ou moins synonyme de réflexion, de maxime, de sentence. La vérité, exposée, est énoncée brièvement ; la maxime insiste sur la valeur de la règle de la pensée et sur son élaboration stylistique ; la sentence suppose une forme ramassée et dogmatique. Au pluriel, le terme désigne des recueils qui peuvent être composés soit de maximes détachées, délibérément réunies sous cette forme par l'auteur, soit de fragments d'ouvrages projetés, ou qui consistent en une sélection, faite après coup, dans l'œuvre d'un écrivain (voire en une collection de réflexions tirées d'écrivains divers sur un même sujet). À la première catégorie appartiennent les Pensées de Marc Aurèle, les Maximes de La Rochefoucauld, de Vauvenargues, de Chamfort, les Pensées de Joubert ; c'est encore la forme que choisissent Anatole France dans le Jardin d'Épicure et surtout Paul Valéry dans plusieurs recueils (Tel Quel, Mauvaises Pensées et autres). Dans la seconde catégorie, les recueils factices sont nombreux, le plus souvent formés dans une intention pédagogique, depuis les chries, ou recueils de sentences de l'Antiquité, jusqu'au choix de maximes des Anciens, si en vogue à l'époque de la Renaissance, comme les Adages d'Érasme. Les Pensées, de Pascal, qui constituent aujourd'hui le modèle du genre, montrent combien la brevitas est une composante majeure d'une persuasion qui cherche à toucher un public sensible à l'élégance du style et à l'aisance de la lecture. Les Pensées transfèrent l'autorité au jugement des doctes aux ignorants appelés à se faire un jugement moral à partir de leur bon sens commun. La forme brève produit ainsi un nouveau dispositif de lecture : le savoir de la pensée est présenté au lecteur qui doit juger et qui s'assure par là même d'une maîtrise sur le sens. Ainsi l'énonciateur de la pensée doit-il se dissimuler au profit d'un discours moral général qui échappe à la singularité d'une énonciation d'auteur. Dès lors, l'énigme des Pensées de Pascal, de leur inachèvement, de leur projet, n'est pas seulement circonstancielle, elle dit quelque chose de ces textes qui échappent au parti-pris d'un auteur et qui persuadent en même temps de sa nécessité.