littérature policière
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Voulant relever un genre méprisé par la critique, certains historiens ont attribué à la littérature policière des origines mythiques comme la Bible, Œdipe Roi ou Zadig de Voltaire. Pour d'autres, comme Igor B. Maslowski, tout débuta avec la publication, en 1734, du premier volume des Causes célèbres de François Gayot de Pitaval, relatant des affaires comme celle de la Brinvilliers ou de Martin Guerre. L'attrait pour le crime se retrouvait également dans la littérature de colportage parlant des exploits de Cartouche ou de Mandrin. Puis il y eut, en 1828, la publication des Mémoires – sans doute apocryphes – de l'ex-bagnard devenu chef de la police, François Vidocq. Le personnage inspira Balzac, Hugo, Dumas, Eugène Sue et Paul Féval au moment où le feuilleton apparaît dans le quotidien la Presse d'Émile de Girardin en 1836. Le personnage ambigu de Vidocq se retrouve ensuite avec le Rocambole de Pierre-Alexis du Terrail, qui, de criminel, va devenir un brillant auxiliaire de la justice. Alexandre Dumas, dans les Mohicans de Paris (1854), utilisera Vidocq sous les traits de M. Jackal. Mais Vidocq inspira également Edgar Poe : sa nouvelle Double Assassinat dans la rue Morgue (1841) le fit désigner comme l'un des pères fondateurs de la fiction policière avec son chevalier Dupin. Poe sera ainsi l'un des premiers à systématiser la déduction logique.
Le roman-problème et le thriller
Tout semble semble s'enchaîner comme par enchantement. Poussant plus loin le rôle de la déduction inaugurée par Poe, Émile Gaboriau propose son policier Lecoq (le Crime d'Orcival, 1868). Sherlock Holmes, le roi des détectives, apparaît en 1887 dans Une étude en rouge, et son créateur, Conan Doyle, déclare qu'il s'est inspiré de Dupin et de Lecoq, ainsi que d'un de ses professeurs. Gaston Leroux réclame également le parrainage de Poe en créant son reporter Rouletabille (le Mystère de la chambre jaune, 1907). Puis c'est lui qui incitera Agatha Christie à devenir la grande prêtresse du roman d'énigme, ou roman-problème, avec son Hercule Poirot (la Mystérieuse Affaire de Styles, 1920). John Dickson Carr, auteur d'une biographie de Conan Doyle, avoue que son Gideon Fell (le Gouffre aux sorcières, 1933) est inspiré de G. K. Chesterton, père de l'abbé Brown (Un nommé Jeudi, 1908). Mais, parallèlement au roman-problème, existait le thriller, roman d'aventures à faire frémir, sans doute hérité du roman gothique anglais où abondent événements mystérieux qui font naître l'effroi (le Château d'Otrante, 1764, d'Horace Walpole ; Frankenstein, 1818, de Mary Shelley). Sax Rohmer, Edgar Wallace ou encore ceux qui furent à l'origine du roman d'espionnage anglais, John Buchan, William Le Queux ou Sapper, lancèrent ce genre hybride qui rejoint la veine du roman prenant le criminel comme héros. Génie du crime comme le feuilletonesque Fantômas (1911-1913) d'Allain et Souvestre, gentleman cambrioleur comme l'Arsène Lupin (1905-1935) de Maurice Leblanc, le Chéri-Bibi (1914-1925) de Leroux, victime de la fatalité ; on le reverra en Saint (1928) chez Leslie Charteris, avec l'humour en plus, ou en ennemi public pitoyable dans les quatre volumes de la série Kaput (1955-1956) de F. Dard. Les Américains reprennent la dualité du personnage à la Vidocq et apparaissent alors des personnages de justiciers au-dessus des lois : le Mike Hammer (1947) de Mickey Spillane, le policier Keller (1974) de Nelson de Mille ou Burke (1980), le privé d'Andrew Vacchs.
Le roman réaliste
La grande réaction contre le roman-problème, à qui ses détracteurs reprochaient de n'être qu'un jeu de salon futile, est apparue à la fin des années 1920 en Amérique avec un retour au réalisme. En 1929, Dashiell Hammett, avec la Moisson rouge, lance le roman noir dont le héros est généralement un détective privé. La même année, William Riley Burnett (le Petit César) et Donald H. Clarke (Un nommé Louis Beretti) sont à l'origine du roman de gangster. Raymond Chandler, Horace McCoy, Raoul Wittfield seront certains des grands noms de cette première génération du noir. Quelques titres parurent en France, mais ce n'est qu'en 1945, avec la naissance de la Série Noire, que ces auteurs connurent le succès en France. À la fin des années 1940, la seconde génération, avec Ross McDonald, Wade Miller ou Henry Kane, suivra peu ou prou la piste du privé chandlérien. William McGivern, Ovid Demaris ou William R. Burnett reprendront le thème du gangster. Parallèlement, le roman de procédure policière va s'imposer avec McGivern, Ben Benson, Hillary Waugh, Ruth Rendell et, surtout, Ed McBain et son fameux 87e district. Ce sous-genre va se retrouver même au Japon avec Seicho Matsumoto (le Rapide de Tokyo) et Shizuko Natsuki (Meurtre au mont Fuji), qualifiée de reine du crime.
Mais dès les années 1930, un grand maître comme Georges Simenon, avec le personnage du commissaire Maigret, montre la nécessité de dépasser le cadre étroit de la procédure pour donner une épaisseur psychologique aux personnages en leur donnant une dimension sociale. Des auteurs américains préféreront éviter le flic ou le voyou pour prendre un monsieur Tout-le-monde comme héros ou, parfois, anti-héros. Ils inaugurent une sorte de roman policier régionaliste, car ils vivent tous dans le sud des États-Unis et se réclament pour la plupart de James Cain. Il faut citer Day Keene, Harry Whittington, Charles Williams, Gil Brewer ou John D. McDonald. Après un affadissement du genre, on va voir ressurgir, dans les années 1970, un privé auquel leurs auteurs voudront donner des caractéristiques particulières. Le Dan Fortune de Michael Collins est manchot, le Shaft d'Ernest Tidyman est noir, le Manny Moon de Richard Deming est unijambiste, le Dave Branstetter de Joseph Hansen est homosexuel, le Moses Wine de Roger L. Simon est un ancien gauchiste, et la Vic Warshawski de Sara Paretsky, une ancienne militante féministe. Sara Paretsky, de son côté, est à l'origine de l'association des auteurs féminins du polar, « Sisters in crime ».
Le suspense
L'importance du privé n'empêche nullement l'émergence dans l'Amérique des années 1940 d'un genre qui se distingue à la fois de l'énigme et du noir : le roman de suspense dont Hitchcock saura profiter pleinement. À la base de l'intrigue se trouve une machination à laquelle doit échapper la victime, et la description des réactions de celle-ci amène les auteurs à une forme de roman psychologique. William Irish, Mildred Davis, Charlotte Armstrong, Patricia Highsmith, Margaret Millar, Helen Nielsen ou Vera Caspary s'imposèrent à travers le monde et trouvèrent des disciples chez eux, comme Mary Higgins Clark, et, en Grande-Bretagne, Ruth Rendell – adepte par ailleurs du roman de procédure policière –, Daphné du Maurier ou Minette Walters, ou en Belgique, André-Paul Duchâteau. La France n'est pas en reste avec Boileau-Narcejac – qui inspirèrent Hitchcock pour Sueurs froides –, Louis C. Thomas, Jean-François Coatmeur, René Réouven ou Sébastien Japrisot. Le genre se poursuit en France dans les années 1990 avec Brigitte Aubert, qui cultive également le noir, et Andréa H. Japp, qui se sent tout aussi à l'aise sur le terrain du thriller.
Le roman noir français
Venu d'Amérique, le roman noir s'acclimate en France avec des auteurs comme Léo Malet – même s'il commença par de faux romans américains avant d'inventer le personnage de Nestor Burma – ou comme les chantres du milieu, Auguste Le Breton et Albert Simonin. Le premier, vantant le « rififi », le second préférant le « grisbi », donnent un équivalent au roman de gangster. Ils seront bientôt rejoints par José Giovanni qui exaltera l'amitié virile entre truands. Jean Meckert devra signer John Amila ses premiers romans à la Série noire, mais il s'éloignera de l'Amérique et refusera le mythe du truand pour exprimer, dans Motus (1953), sa révolte contre une société inégalitaire. Alors que Frédéric Dard, signant San-Antonio, opte pour le délire verbal sans se soucier des règles du genre, Georges J. Arnaud, à l'instar d'Amila, lance des cris d'alarme contre les dangers menaçant les libertés individuelles dans ses romans noirs, mais aussi dans ses romans d'espionnage, n'hésitant pas à rajouter parfois une dose de fantastique. Francis Ryck (Opération Millibar, 1966), aussi adepte du fantastique, propose un amalgame réussi de science-fiction et de politique-fiction qui marque un nouveau pas en avant dans le genre noir. Pierre Siniac, après les Morfalous (1968), manie la subversion par le biais, lui aussi, du fantastique (Luj'Inferman et la Cloduque, 1971). Les jeunes auteurs issus de 1968 rompront également avec la tradition truandesque : Jean-Patrick Manchette s'inspire de l'enlèvement de Ben Barka pour l'Affaire N'Gustro (1971) et A.D.G. décrit un pittoresque village du Berry confronté à des hippies dans la Nuit des grands chiens malades (1972). La remise en question de la société est encore au centre des romans de Jean Vautrin (alias Jean Herman) ou d'Emmanuel Errer (alias René-Charles Rey). Elle prendra encore plus d'ampleur avec l'explosion du néopolar.
L'expression « polar » qui avait fini par désigner la littérature policière, bien qu'elle soit rejetée par quelques-uns, exprimait bien l'intérêt d'un lectorat de plus en plus vaste. Lorsque Manchette lança le terme de « néopolar » – comme on avait, quelque vingt ans auparavant, parlé de « nouvelle vague » au cinéma –, la presse s'en empara et l'imposa. Pour Alex Varoux, auteur et éditeur, le nouveau roman noir se veut « en prise directe sur aujourd'hui ». Ses nouveaux auteurs, tout en donnant une dimension sociale à leurs intrigues, vont privilégier la violence et le sexe, en rajoutant une bonne dose de contestation. De nouvelles collections (Sanguine, Fayard Noir, Engrenage...) vont naître et permettre à des talents de s'affirmer en cette année 1979. Hervé Jaouen cultive la violence dans la Mariée rouge. Hervé Prudon, dans Tarzan malade, donne un portrait accablant de la société. Alex Varoux, dans Pas ce soir, chérie, tente la carte de l'humour noir. Frédéric H. Fajardie, dans Tueurs de flics, va utiliser le thème de la vengeance. Marc Villard avec Nés pour perdre, décrit des antihéros avec compassion et lyrisme. Jean-François Vilar (C'est toujours les autres qui meurent, 1982) se réfère à Marcel Duchamp, mais exprimera aussi sa parenté avec Malet. Même si ces nouvelles collections vont rapidement disparaître, certains auteurs s'affirment. Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, anciens de Sanguine, vont continuer leur carrière. Le premier s'impose dans la Série Noire avec Nous avons brûlé une sainte (1984), qui mêle le roman noir au mythe de Jeanne d'Arc. Le second obtient le prix Mystère de la Critique 1989 pour Fenêtre sur femmes, un hommage à Chandler. Jaouen revient en force avec Connemara Queen (1990), joyau étincelant du roman noir. Hugues Pagan, qui avait débuté en 1982 dans la collection Engrenage, écrira l'un des meilleurs romans noirs de 1990 : l'Étage des morts.
Le caractère souvent excessif du néopoplar va s'atténuer et une nouvelle tendance va conduire certains auteurs à devenir des historiens. Didier Daeninckx, qui se veut un fils spirituel de Jean Amila, se fait remarquer dès 1983 avec Meurtres pour mémoire, mettant en corrélation la guerre d'Algérie et l'Occupation. Éric Kristy (Horde nouvelle, 1985) s'attaque très vivement à l'extrême droite. Gérard Delteil, formé par le journalisme (Votre argent m'intéresse, 1985), décrit avec précision les dessous du monde de l'argent. J. F. Vilar (Djemila, 1988), François Joly (Be bop à Lola, 1989) et Jacques Syreigeol (Une mort dans le djebel, 1990) se penchent sur les cicatrices laissées par la guerre d'Algérie. Ceci n'empêche pas certains jeunes auteurs de rester fidèle au roman d'énigme. Ainsi Paul Halter (le Brouillard rouge, 1988) se révèle un excellent disciple de J. D. Carr et, avec le Crime de Dédale (1997), il mêle avec brio énigme et mythologie. Jean-Claude Izzo impose son enquêteur Fabio Montale avec sa trilogie marseillaise (Total Khéops, 1995 ; Chourmo, 1996 ; Soléa, 1997). D'autres refusent de se laisser enfermer dans un genre, comme Alain Demouzon (Un coup pourri, 1977 ; Melchior, 1995) qui les explore tous et s'interroge sur le travail de l'écriture, Maurice G. Dantec qui mêle le roman noir à la science-fiction et au fantastique (les Racines du mal, 1999), de même que Thierry Jonquet (Ad vitam aeternam, 2002) ou encore Serge Brussolo (Armés et dangereux, 1993). Ce dernier s'illustre aussi dans le roman policier historique et fait ainsi redécouvrir un genre qui avait connu ses beaux jours dans les années 1960 avec les aventures du juge Ti de Robert Van Gulik ou, la décennie suivante, avec celles du frère Cadfael d'Ellis Peters. Il ne faudrait pas oublier une quinzaine d'œuvres de John D. Carr entre 1950 et 1970, ou encore avec la célèbre collection qui publia, entre 1955 et 1957, des titres de Bruce Graeme, Frédéric Hoé et Yves Dermèze. Mais Brussolo n'est pas seul puisque l'on doit aussi relever les noms de Viviane Moore, Ann Perry, Anne de Leseleuc, Elena Arseneva ou Robert Hültner.
La situation à l'aube du xxie siècle
Dès les années 1990, les gros pavés, en particulier en Amérique, prennent de l'importance : les thrillers ont une tendance marquée. Après les thrillers médicaux de l'Américain Robin Cook – à ne surtout pas confondre avec son homonyme londonien, pourfendeur de la société britannique – ou les thrillers psychologiques toujours présents, vont apparaître les thrillers technologiques de Tom Clancy, Eric van Lustbader ou Michael DiMercurio, qui relèvent plutôt du roman d'espionnage et frôlent parfois la politique-fiction ou même la science-fiction.
Parallèlement, l'édition française permettra enfin de mettre en évidence que le roman policier n'est pas exclusivement anglo-saxon ou français. Après les Italiens Giorgio Scerbanenco (À tous les râteliers, 1968), Fruterro et Lucentini (la Femme du dimanche, 1972), les Suédois Sjöwall et Wahlöo (Roseanna, 1967), les Espagnols Manuel Vasquez Montalban – avec son Pepe Carvalho –, Juan Madrid, Gonzales Ledesma et Arturo Pérez-Reverte, on voit les éditeurs s'intéresser aux Allemands comme –ky (Du feu pour le Grand Dragon, 1986), Peter Schmidt (On travaille dans le génie, 1988), Karr et Wehner (le Printemps du vautour, 1996), Pieke Biermann (Violetta, 1993), Frank Goyke (le Petit Parisien, 1996), Alfred Komarek (les Larmes de Polt, 2002). Tout démontre que la littérature policière est en pleine expansion.