littérature hispano-américaine

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

L'histoire de la littérature de l'Amérique espagnole connaît, depuis la conquête, une évolution parallèle à celle de son histoire politique. Pendant toute la période coloniale, elle n'est en effet bien souvent, et malgré quelques traits spécifiques, qu'un avatar, pour ne pas dire une imitation, de celle de la métropole. À partir du début du xixe siècle, les luttes pour l'indépendance politique entraînent un processus d'indépendance littéraire, aujourd'hui accompli : l'Amérique hispanique s'est dotée d'une littérature authentiquement américaine qui occupe un des tout premiers rangs dans les lettres mondiales. S'il existe des littératures argentine, mexicaine, péruvienne, etc., il est légitime de parler, globalement, d'une littérature hispano-américaine, les écrivains contemporains cherchant ouvertement à atteindre une sorte de « panaméricanisme » qui est l'un des fondements de l'identité culturelle du continent, et qui rejoint le vieux rêve des libérateurs de voir naître, du Rio Grande à la Terre de Feu, un continent unifié et libre, définitivement débarrassé des contraintes de la colonisation ou de l'impérialisme moderne.

De l'imitation à l'émancipation

L'Amérique espagnole se donne très tôt les universités et les imprimeries nécessaires à la diffusion des lettres sur tout le continent. Dans sa première forme, cette littérature est une littérature de chroniques rendant compte de la conquête et de la colonisation administrative ou spirituelle, comme la Véridique Histoire de la Nouvelle Espagne de Bernal Díaz del Castillo, ou l'Histoire des Indes du dominicain Bartolomé de Las Casas. Au Pérou, P. Cieza de León fait le récit de la conquête et Huamán Poma de Ayala traduit des poèmes quechuas, avant que l'Inca Garcilaso de la Vega écrive ses fameux Commentaires royaux. Le Chili a sa grande épopée avec l'Araucana d'Alonso de Ercilla. Le temps des chroniqueurs s'achève : désormais apparaissent des écrivains nés en Amérique, créoles ou métis. Ce sont surtout des poètes, le plus souvent simples épigones de leurs confrères espagnols – parmi eux, cependant, une étoile de première grandeur, la Mexicaine Sor Juana Inés de la Cruz (1648-1695), également philosophe et auteur dramatique.

L'histoire est un genre privilégié, qui provoque une réflexion nourrie par les premiers journaux (le mexicain Gaceta de México, le colombien Diario ou le péruvien Mercurio peruano). Cette réflexion prépare les esprits à recevoir, au xviiie siècle, l'influence des « Lumières » européennes : fleurissent alors l'essai historique et politique, les récits de voyage (Concolorcorvo) et une poésie néoclassique qui annonce le romantisme. Le roman, dont l'importation est interdite, ne tardera pas à faire son apparition. Le premier exemple en est le Periquillo Sarniento du Mexicain Fernández de Lizardi (1816).

Les idées d'émancipation entraînent, à partir du début du xixe siècle, l'essor des essais politiques, pamphlets et libelles, ainsi que celui de la presse. L'art oratoire se développe, avec pour maître le « Libertador », S. Bolívar. Le même sentiment patriotique nourrit les œuvres des poètes préromantiques qui, tel le Cubain J. M. de Heredia, exaltent la nature américaine. L'heure de l'indépendance a sonné, et elle provoque un élan vers tout ce qui est national et, plus largement, américain. Le premier vrai romantique est l'Argentin E. Echeverría. Apparaissent alors dans la poésie et la nouvelle – genre spécifiquement latino-américain – des personnages nouveaux : les Indiens et le gaucho argentin, qui aura son « monument » avec le Martín Fierro de José Hernández, et qui sera le héros d'innombrables récits et œuvres théâtrales. Les auteurs s'attachent à donner à leurs écrits une couleur locale (costumbrismo), qui sera la caractéristique du criollismo, dont le premier représentant est le Chilien A. Blest Gana. Le roman donne ses premiers chefs-d'œuvre avec José Mármol, Jorge Isaacs et, surtout, Sarmiento. Tous ces écrivains s'emploient à dénoncer le mal endémique de l'Amérique latine qu'est la dictature, dénonciation qui se poursuivra jusqu'à nos jours.

L'américanisme et le cosmopolitisme : le secret du modernisme

L'influence européenne – réalisme, naturalisme – se laisse encore largement sentir dans ces œuvres. Mais, en 1880, naît une nouvelle esthétique, proprement américaine, qui à son tour influencera l'Espagne : chargé d'insuffler un esprit nouveau, où se manifeste pleinement l'indépendance idéologique, esthétique et culturelle de la littérature hispano-américaine, le modernisme trouve une expression absolument originale sur l'ensemble du continent. Il se caractérise à la fois par la revendication de l'américanisme et par un cosmopolitisme qui lui permettent d'explorer la totalité du champ artistique universel, dans une forme qui s'efforce de servir le culte de la beauté plastique et de la musicalité : ainsi chez le Cubain José Martí, le Mexicain M. Gutiérrez Nájera, fondateur de la revue Azul, et surtout le Nicaraguayen Rubén Darío. Mais le modernisme se manifeste aussi dans la prose, notamment avec l'Uruguayen J. E. Rodó, le Vénézuélien R. Blanco Fombona et l'Argentin Horacio Quiroga.

Désormais, la littérature hispano-américaine est adulte. Ses auteurs rivalisent avec les meilleurs des autres pays. Le prix Nobel consacre successivement la Chilienne Gabriela Mistral (1945), le Guatémaltèque Miguel Ángel Asturias (1967), le Chilien Pablo Neruda (1971), le Colombien G. García Márquez (1982) et le Mexicain Octavio Paz (1990). Les genres se diversifient et, mis à part le théâtre peut-être, sont illustrés par des œuvres de premier plan. Borges, connu surtout comme un maître de la nouvelle fantastique ou métaphysique, est aussi un poète profondément original. Son compatriote L. Marechal cultive l'ultraïsme, tandis que G. Mistral et l'Uruguayenne Juana de Ibarbourou dominent une floraison de poétesses sensibles et passionnées. Le Chilien V. Huidobro et le Péruvien César Vallejo explorent des voies nouvelles et parfois hermétiques. Mais la grande figure poétique du cône sud est sans conteste Pablo Neruda. À Cuba, la poésie « négriste » a son héraut en la personne de Nicolás Guillén, tandis qu'au Mexique Alfonso Reyes ou Octavio Paz consacrent le renouveau de l'esthétique et de la pensée américanistes.

Le fer de lance : le roman

Le roman, depuis 1920, connaît une vitalité plus grande encore peut-être. D'abord dans trois genres principaux : le roman indigéniste fleurit en particulier dans les pays andins, avec le Bolivien Alcides Árgüedas, l'Équatorien J. Icaza et les Péruviens C. Alegría et J. M. Arguedas ; le roman créole, à caractère social essentiellement, a pour chefs de file le Colombien J. E. Rivera, le Vénézuélien Rómulo Gallegos et l'Argentin R. Güiraldes ; le roman de témoignage est surtout lié aux événements de la révolution mexicaine (1910-1920), avec des auteurs tels M. Azuela, José Vasconcelos, M. L. Guzmán. Agustín Yáñez, pour sa part, s'interroge sur l'identité mexicaine.

Avec Miguel Ángel Asturias, mêlant intimement poésie surréaliste et imaginaire indigène, apparaît le concept de réalisme magique, dont la fortune fut immense auprès de la critique et qui est aussi l'apanage du Cubain Alejo Carpentier, puissant romancier des Caraïbes. Ces « pères » du roman contemporain ont fait école avec les Mexicains Juan Rulfo et Carlos Fuentes, l'Argentin Julio Cortázar, les Péruviens J. R. Ribeyro, M. Vargas Llosa, A. Bryce Echenique et, le plus célèbre d'entre eux, Gabriel García Márquez. Tous ces écrivains, depuis Asturias, ont en commun à la fois leur préoccupation pour une écriture conçue comme un art et leur volonté de témoigner du monde qui les entoure, pour en exalter les beautés et la grandeur mais aussi pour en dénoncer les tares, à commencer par la dictature.