grotesque

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Comme les fresques romaines découvertes à la Renaissance dans des excavations (d'où l'italien grottesca), qui montraient des motifs fantastiques – confusion des règnes végétal, animal et humain, chimères et monstres, architectures « impossibles » –, le grotesque est un « genre » qui cultive l'irrationnel, le fantastique, le caricatural, le bizarre et l'irrégulier. Dès Montaigne, qui compare ses Essais à ces « peintures fantasques, n'ayant grâce qu'en la variété et étrangeté, [...] corps monstrueux, rapiécés de divers membres, sans certaine figure, n'ayant ordre, suite ni proportion que fortuite » (I, 28), le transfert se fait de la peinture à la littérature, et avec les romantiques, le concept devient un principe humain universel. Dès lors on peut qualifier de « grotesque » toute œuvre qui fait de la disharmonie (voire de la laideur) et de l'imaginaire « déraisonnable » ses principes esthétiques, avec une hésitation entre un grotesque qui fait rire et un grotesque qui fait peur.

D'un côté, le grotesque carnavalesque médiéval, défini par Bakhtine, hyperbole satirique et caricaturale, désordre joyeux, inversion libératrice, conscience et jouissance de l'infinie diversité de l'homme, du monde, du langage, exploration de l'autre. On le trouve dans le théâtre médiéval et la farce de la Renaissance ; dans la commedia dell'arte et les gravures de Callot ; dans le roman picaresque ; dans la désarticulation que des écrivains du début du xviie s. (Cramail, Saint-Amant), font subir au langage et aux représentations...

Mais les romantiques imposent une nouvelle vision de cette catégorie esthétique : si le grotesque n'est guère plus qu'un moyen de réhabilitation de l'expression littéraire atypique chez T. Gautier (les Grotesques), chez Hugo en revanche, il est paradoxalement un antimasque, la révélation d'une des vérités de l'homme (avec le sublime) et le bouffon devient l'image de la conscience universelle (Préface de Cromwell). Car « le rire causé par le grotesque a en soi quelque chose de profond, d'axiomatique et de primitif qui se rapproche plus de la vie innocente et de la joie absolue que le rire causé par le comique de mœurs » (Baudelaire). Joie absolue, toute proche d'être vertige absolu.

L'absurde n'est donc pas loin. Il est déjà lisible chez Jarry, et aujourd'hui identifié à l'expression de la modernité, telle que l'illustrent Sherwood Anderson, Nathaniel West, Isaac Babel, Ionesco, Beckett. Le grotesque est devenu triste, suivant un mouvement déjà décelable chez Flaubert (Bouvard et Pécuchet) : la réalité est une sorte de ça, irréductible au langage et à la raison, qui renvoie au sujet l'image monstrueusement inutile de lui-même. L'étrangeté dérisoire de l'existence ne provoque plus le rire, mais la répulsion.