biographie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Le récit d'une vie, genre particulièrement florissant dans la littérature contemporaine, a des antécédents qui remontent à la plus haute antiquité. La biographie est, en effet, particulièrement bien représentée dans la littérature de l'Égypte pharaonique, où elle joue un rôle idéologique capital. Pour survivre dans l'au-delà, l'individu a besoin d'offrandes qui peuvent lui être assurées par la récitation de formules appropriées : mais de qui obtenir cette récitation, sinon des passants qui porteront les yeux sur les monuments funéraires ? Afin de les inciter à lire ces formules, il faut donner de leur bénéficiaire éventuel une image flatteuse, gage de son crédit auprès des dieux et, en conséquence, d'une juste rétribution du service rendu : d'où la biographie qui figure dans la partie de la tombe ouverte au public, sur les stèles ou les statues dressées dans les lieux saints.

Formellement, la biographie s'ouvre, après l'énoncé des titres et du nom de l'individu, par la formule « il dit ». Dès lors, celui-ci prend la parole à la première personne. Les assertions l'identifiant à un type donné (« Je suis un dignitaire qui mérite qu'on l'écoute ») ou l'énumération de ses actions (« J'ai fait consacrer cinq bœufs à Horus ») constituent le style de base du genre, avec l'interpellation des lecteurs (« Tenez compte de ce que je vous dis, vous en constaterez l'utilité »). Toutefois la biographie admet souvent des tons et des styles plus variés : décrets royaux ou actes juridiques « rapportés », dialogues, séquences narratives, hymnes au pharaon ou aux dieux, récurrence calculée de formules rythmées, succession d'aphorismes à la manière des « Sagesses ». L'idée fondamentale de toute biographie est d'ailleurs de montrer que celui qui en est à la fois le sujet et l'objet correspond aux normes de l'éthique et que son existence a été réglée sur le canon de l'ordre universel établi par les dieux.

C'est à travers des anecdotes conçues comme exemples de morale universelle que le genre se perpétue dans les Vies de Plutarque, chez les historiens latins (Vie des douze Césars de Suétone, Agricola de Tacite) et, plus tard, dans les vies des saints (la Légende dorée). Mais, si la leçon morale prend plus de poids en s'appliquant à un personnage illustre, l'individualité n'est jamais donnée pour elle-même : sa fonction est illustrative et emblématique. À l'inverse, la biographie moderne, dont la Vie de Samuel Johnson par Boswell (1791) marque l'émergence comme genre littéraire, entend rendre compte d'une vie dans sa singularité et dans sa nécessité. Inséparable de l'apparition du sentiment d'égalité, elle est homologue à l'univers de l'individu problématique. Elle traduit le constat que tout individu peut parler pour lui-même et pour la communauté. Voltaire, Chateaubriand, Victor Cousin, Romain Rolland furent des biographes. L'ethnologie et la sociologie contemporaines imposent la biographie de l'anonyme, exemplaire par cet anonymat. Le genre, aujourd'hui, est à la fois conventionnel (ainsi des ouvrages d'André Maurois) et scientifique. La reformulation du problème du sujet, sous les influences concordantes de la psychanalyse, de l'existentialisme et de la linguistique, a placé la biographie du côté de la psychocritique et de la sociocritique. Sartre s'est ainsi essayé, avec l'Idiot de la famille, à une psychanalyse existentielle de Flaubert. La psychanalyse même donne au genre un aspect particulier : études de cas pathologiques qui contraignent à la reconstitution de la vie pour retrouver, sous le jeu de l'enquête et de l'interprétation, la loi de l'exemplum. Aussi la biographie reste-t-elle prise dans une contradiction insurmontable : elle est d'une part analogique (fidélité aux événements d'une vie) et, d'autre part, déductive, et en un double sens – elle veut déduire les événements les uns des autres et placer dans ces événements le modèle déductif. Elle devient ainsi le lieu de rencontre de toutes les tentations méthodologiques et idéologiques et la caution de toutes les systématiques. L'apparentement de la biographie et du roman (Boulgakov, le Roman de Monsieur de Molière ; Alejo Carpentier, la Harpe et l'Ombre, à propos de Christophe Colomb), le traitement strictement littéraire et, en conséquence, parodique de la biographie (Alberto Savinio, Grands Hommes, racontez-vous) montrent que la représentation de la vie est en elle-même paradoxale : toute existence achevée est une totalité fermée qui, par cette clôture, fait de l'existence une manière de seuil et de chaque moment l'antécédent de la clôture ; mais toute existence achevée est aussi, par l'autonomie que porte l'achèvement, contemporaine de toute histoire et, en conséquence, mémoire, mémorable, à dire et à interpréter.