Evgueni Ivanovitch Zamiatine

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain russe (Lebedian 1884 – Paris 1937).

Ingénieur naval de formation, il fait de la prison pour activités révolutionnaires, ce qui lui inspire son premier récit, Seul (1908). C'est Province (1913) qui le révèle au monde littéraire : cette description de la torpeur provinciale sera suivie d'une série de nouvelles consacrées au même thème, en particulier Alatyr (1915). La parution en 1915 d'Au bout du monde, sur les médiocrités de la vie militaire, lui vaudra d'être exilé dans le Nord. En 1918, il est envoyé en Angleterre pour y surveiller un chantier naval, et il écrit les Insulaires (1918) puis Pêcheurs d'hommes (1921), où il tente de se mettre au diapason d'une époque nouvelle. La révolution le déçoit rapidement, il s'inquiète de la place et du statut réservés à l'art (J'ai peur, 1921) dans la société soviétique – qu'il peint d'ailleurs en des récits allégoriques (la Caverne, Mamaï, 1920 ; Épître de Zamouti, évêque des singes, 1921) montrant une Russie revenue à l'âge de pierre. Avec Nous autres (1924), il donne le premier roman d'anticipation pessimiste, avant Huxley et Orwell. Derrière l'enthousiasme du héros-narrateur, un ingénieur chargé de construire l'engin qui répandra sur d'autres territoires le « bonheur arithmétique », perce une ironie mordante envers ce « paradis organisé », où les « numéros » (les citoyens de l'« État unique ») vivent dans des appartements en verre ; à heure fixe, ils ont le droit de baisser les volets, pour des séances d'intimité autorisées par le Maître. C'est ainsi qu'une « rebelle », parmi ceux qui vivent à l'extérieur du mur protégeant la Cité, parvient à séduire le héros, le faisant basculer vers l'illégalité. L'État intervient à temps, exécute les « hérétiques » et pratique sur les numéros égarés une salutaire ablation de l'âme. Paru à l'étranger, le livre ne sera pas publié avant 1988. Zamiatine, contre toute attente, put émigrer en 1932.