Tel Quel
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Autour de cette revue littéraire française fondée en 1960 par Philippe Sollers, Jean-René Huguenin, Jean-Edern Hallier, et publiée aux éditions du Seuil se cristallisèrent, pendant vingt ans, un groupe d'écrivains et un mouvement idéologique qui ont marqué profondément la vie intellectuelle. Dans le long parcours de Tel Quel (c'est aussi le nom d'une collection qui accueillit notamment Barthes, Derrida, Genette, Kristeva, Denis et Maurice Roche, Todorov), on peut distinguer cinq phases. La première (1960-1963) est esthétique. Pour les jeunes fondateurs de la revue, qui entretiennent des liens réguliers avec les auteurs du Nouveau Roman, comme avec Georges Bataille ou Francis Ponge, il s'agit d'accentuer la spécificité de la littérature et l'activité du langage. La deuxième période (1963-1966) est marquée par la recherche formelle et la référence insistante à Freud, à Saussure et aux formalistes russes. La recherche critique s'applique aux œuvres qui constituent la limite et la subversion de la culture occidentale : Dante, Sade, Lautréamont, Mallarmé, Artaud, Bataille. Sollers (Drame), Ricardou (la Prise de Constantinople), Marcelin Pleynet (Comme) donnent des textes où l'écriture commence à rompre avec la représentation et se prend elle-même pour objet. Après l'exclusion de Faye, le Programme de 1967 radicalise cette tendance et ouvre une troisième phase, théorique (1967-1971), marquée par la figure de Julia Kristeva. Il s'agit de construire, à partir de Marx et de Freud et par l'étude des textes limites, une théorie matérialiste de l'écriture, devenant « pratique signifiante » et « force de transformation symbolique », et, du même coup, d'élaborer une littérature matérialiste qui écrive les conditions sociales et pulsionnelles de sa production. La théorie s'organise autour des travaux de Jacques Lacan sur le signifiant, de Jacques Derrida sur l'écriture, de Julia Kristeva sur la sémiologie (ou la « sémanalyse »). Les événements de mai 1968 politisent cette recherche. Tel Quel se place au côté du parti communiste, mais les difficultés du dialogue et l'intérêt du groupe pour la Révolution culturelle chinoise débouchent, en 1971, sur une rupture interne et externe. C'est la quatrième période, politique. L'objectif principal devient la diffusion du fait historique chinois, tandis que la fiction, influencée par Joyce, s'oriente vers une transformation de la syntaxe. Mais la double réflexion sur les réalités de la politique mondiale et sur la constitution de la narratologie et de la sémiotique modernes ouvre progressivement sur la cinquième phase, textuelle, et plus éclectique (le dernier sous-titre de la publication sera « Littérature/Philosophie/Art/Science/Politique »). L'évolution personnelle de Sollers amène la disparition de la revue en 1982 (à laquelle, en 1983, succède l'Infini).