Tatares

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Proches parents par la langue, mais séparés par l'Histoire en entités autonomes, les Tatars de la Volga (Tatars stricto sensu, Bachkirs, Tchouvaches) et leurs cousins de Crimée ont connu une évolution culturelle sensiblement différente.

Héritière de la civilisation des khanats bulgares de la Kama et de la Volga, conquis au xiiie s. par la Horde d'Or, et annexés à la Russie en 1552, la culture tatare s'exprime jusqu'au xixe dans des œuvres profanes d'origine orientale (poèmes de Khosrow et Chirine, de Iusuf et Zuleïkha, xiiie-xive s.), et surtout dans une poésie didactique et religieuse d'esprit soufiste (Moukhamédiar, xvie s., Mavlia Kouly, xviie s., Outyz Imiani, C. Zaki, xviiie-xixe s., Galy Tchokryï, 1826-1889). L'émergence autour de l'université de Kazan (1804) de courants rationalistes hostiles à l'islam (A. Koursavi [1776-1818], Kaïoum Nassyri [1825-1902]) se manifeste alors dans la poésie (Akmoulla [1831-1895], I. Emelianov [1848-1899]), comme par l'adoption de genres européens (roman et drame : Z. Bigueïev [1870-1902], G. Iliasi [1856-1895], F. Khalidi [1850-1923]). Ce modernisme, nourri de préoccupations sociales, inspire à l'aube du xxe s. un groupe d'écrivains démocrates (G. Kamal [1879-1933], Majit Gafouri [1880-1934], G. Ibraguimov [1887-1938], C. Kamal [1884-1942]), dominé par la figure du poète Toukaï (1886-1913). Ils sont les pères de la littérature tatare de l'ex-U.R.S.S., dont les principaux représentants sont : en poésie A. Faïzi, M. Djalil, H. Toufane, K. Taktach ; en prose K. Nadjmi, G. Bachirov, I. Gazi, A. Koutouï ; au théâtre T. Guizzat, K. Tintchourine, N. Issanbet.

La Bachkirie ne connaît jusqu'en 1917 qu'une tradition orale (contes, poésie lyrique ou épique [koubaïr]), diffusée par des improvisateurs (sessen) dont le plus fameux, Salavat Ioulaïev, fut au xviiie s. un compagnon d'armes de Pougatchiov. La littérature écrite en langue tatare est alors commune aux deux nations, comme le sera Majit Gafouri, pionnier en Bachkirie de la littérature soviétique. D'abord incarnée par des poètes (D. Ioultyï [1893-1938], S. Koudach [né en 1894], R. Nigmati [1909-1959]), celle-ci, qui suit l'itinéraire des autres cultures de l'ex-U.R.S.S., verra ensuite un essor de la prose (I. Nassyri [1898-1942], A. Taguirov [1890-1938], S. Aguich) et du théâtre (Ioultyï, S. Miftakhov [1907-1942]). Aux côtés du poète G. Ramazanov et du romancier A. Biktchentaïev, Moustaï Karim (né en 1919), qui cultive les trois genres, possède aujourd'hui une stature nationale.

La Tchouvachie n'accède à l'écriture qu'en 1873, grâce à l'alphabet du pédagogue I. I. Iakovlev (1848-1930), qui pose aussi les bases d'une poésie démocratique (K. V. Ivanov [1890-1915], Poloroussov-Chelebi [1881-1945]). La période soviétique est dominée par les poètes M. Sespel (1899-1922), I. Oukhsaï (né en 1911) et P. Khouzangaï (1907-1970), les prosateurs S. Elguere (1894-1966) et A. Talvir (1909). Le poète G. Aïgui (né en 1934) se livre en russe à des expériences formelles originales et a depuis une certaine notoriété en France.

Les Tatars de Crimée possèdent un folklore (poésie lyrique et épique) et connaissent aux xviie-xviiie s. les débuts d'une littérature écrite (Djanmoukhammed, Seïd M. Riza, Abdoul L. Ilkhak) où s'exprime une double influence turque et slave. Une poésie démocratique apparue à la fin du xixe s. (A. Tchergueïev [1879-1946]) est à la source de la littérature soviétique (poésie de Tchoban-zadè [1893-1938], Chémi-zadè [né en 1908] ; romans de C. Aliadine, I. Bolat [né en 1909]), dont l'essor est brutalement freiné par l'expulsion en 1944 des Tatars de Crimée. Depuis l'abrogation de la mesure (1967), le développement de cette littérature a repris sur le territoire de l'Ouzbékistan (œuvres de Bolat, de Aliadine, poésie de Chémi-zadè, de R. Khalid, de S. Emine).