Stanisław Ignacy, dit Witkacy Witkiewicz

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Peintre, théoricien de l'art et écrivain polonais (Varsovie 1885 – Jeziory, Volhynie, 1939).

Fils d'un peintre et critique d'art célèbre, Stanisław Witkiewicz (1851-1915), il passe son enfance à Zakopane, dans le milieu artistique et littéraire de la Jeune Pologne, étudie à l'Académie des beaux-arts de Cracovie (1904-1905), dans l'atelier de Mehoffer. Il fait de nombreux voyages, part avec Bronisław Malinowski pour la Nouvelle-Guinée (1914), comme photographe de l'expédition. En tant que citoyen russe (la Pologne est toujours occupée), il doit entrer dans une école pour officiers à Saint-Pétersbourg et combat dans un régiment d'élite. Il étudie la philosophie et expérimente les drogues hallucinogènes. La révolution bolchevique (1917) le traumatise, et ce choc détermine ses idées ultérieures. Il rentre en Pologne, collabore avec l'avant-garde de Cracovie, formule son esthétique générale, fondée sur la « forme pure » (les Nouvelles Formes dans la peinture, 1919 ; Écrits esthétiques, 1922 ; Théâtre, 1923), illustrée par une œuvre critique (les Notions impliquées par la notion de l'existence, 1935) qui, méconnue de son vivant, marquera profondément la littérature un quart de siècle plus tard. Analysant la décadence de la culture occidentale, Witkiewicz lie la fin inévitable des élites et de la bourgeoisie à la disparition de la religion, de l'art et du sentiment du mystère de l'existence. Son œuvre dramatique (Eux, 1920 ; la Métaphysique d'un veau à deux têtes, 1921 ; la Poule d'eau, 1921 ; Dans le petit manoir, 1923 ; le Fou et la Nonne, 1923 ; la Mère, 1924 ; Sonate de Belzébuth, 1925 ; les Cordonniers, 1934) fait de lui le principal représentant du « catastrophisme » polonais. Devançant les visions d'Huxley et d'Orwell, il définit la tragédie du monde par l'impossibilité du vrai tragique. Dans le Petit Manoir est sa pièce la plus populaire. Le seul personnage « normal » est la cousine Annette qui rend visite aux habitants du manoir. Sur scène, on voit surtout le spectre de Nibkow, récemment défunte, qui torture son mari en laissant planer le doute quant au nom de son amant. À la fin de la pièce, tout le monde boit du poison avec délice, le mari rejoint l'épouse. Le commentaire d'Annette, loin de rassurer, annonce de nouveaux délires de l'imagination : « Il n'y a plus de spectres parmi nous. Il n'y a que des cadavres et des gens vivants ? Nous commençons une nouvelle vie. » Chez Wyspiański le langage n'est jamais un exercice gratuit lorsqu'il édifie son œuvre sur les ruines des formes usées, par le pastiche, la caricature. Son premier roman date de 1910, les 622 Chutes de Bungo ou la Femme démoniaque. Witkiewicz considère le roman – une forme fourre-tout pour lui – comme un prétexte à soulever des débats intellectuels, des polémiques, des scandales. Dans l'Adieu à l'automne (1927), il inscrit la plupart des thèmes qu'il aime aborder : une ambiance décadente et l'ennui sont le décor où évoluent l'Existence Particulière qui recherche des expériences métaphysiques et la femme démoniaque, dont même le shah de Perse a été amoureux. L'action se situe dans la Pologne du futur et les combattants parlent avec un accent russe. Dans l'Inassouvissement (1930), l'action se déroule à la fin du xxe s., le pays est en pleine décadence, l'érotisme et les narcotiques connaissent une pleine expansion ; l'armée chinoise menace, son arme la plus terrible est une pilule qui rend les gens obéissants. Witkiewicz critique l'ensemble des courants philosophiques européens (Bergson, Freud, le phénoménologie, le néopositivisme...). Il considère l'homme comme un mystère pour lui-même ; l'expérience la plus importante que peut connaître celui-ci est la faim métaphysique – autrefois comblée par la religion, la philosophie et l'art, mais qui tend à disparaître. La civilisation mène à l'éclatement de la personnalité, à l'assujettissement, à un système de répression dont l'objectif est de créer un être « socialement parfait, un homme mécanique ». La catastrophe est inévitable. Witkacy se suicide le 17 septembre 1939, jour où les Soviétiques envahissent la Pologne.