Philippe Joyaux, dit Philippe Sollers

Philippe Sollers
Philippe Sollers

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Romancier français (Talence 1936).

La trajectoire de cet esprit effervescent, catalyseur de la modernité, est un vaste jeu avec les mots et avec les modes dont il ne cesse de raffiner les règles, multipliant les images de lui-même et revendiquant le droit de se contredire Portrait du joueur (1984).

Mauriac et Aragon louent l'élégance formelle du Défi (nouvelle, 1957) et de son premier roman, Une curieuse solitude (1958), qui exploite les recettes éprouvées du roman d'analyse. Mais ces débuts coïncident avec l'entrée de la littérature dans l'ère du soupçon et Sollers se place très vite au cœur de l'avant-garde, en fondant la revue Tel Quel (1960), lieu d'émergence des nouveaux romanciers, de la recherche de modèles dans les sciences humaines en pleine expansion, de la découverte de Bakhtine et des formalistes russes. Le Parc (prix Médicis 1961) participe à l'entreprise de déconstruction du roman que Sollers théorise dans Logiques (1968) et l'Écriture et l'expérience des limites (1971). Drame (1965) et Nombres (1968) le consacrent par leur formalisme (un échiquer de 64 séquences, un carré magique chinois de 100 fragments numérotés). La littérature fait place au texte, l'écriture n'exprime pas le sujet mais le traverse, met en question son unité dans et par le langage, révèle ce qui dans le je vient du il, du on et du nous. Ces romans suscitent des analyses de Barthes, de Derrida et de Julia Kristeva.

En 1967, Tel Quel s'engage sur la voie du maoïsme. L'activité signifiante de l'écrivain, producteur du texte (scène où se jouent les conflits entre l'individu et la masse, l'Occident et l'Orient), participe à la transformation politique (Lois, 1972). H (1973) inaugure une nouvelle problématique de la « voix », mélange du flux de la pulsion (cris, chuchotements, invectives) et de l'extériorité intériorisée des discours sociaux. En 1974, Sollers prend ses distances envers le maoïsme et s'engage dans l'écriture de Paradis (1981), vaste « polylogue extérieur » qui brasse autobiographie, intertexte, actualité, mythe et histoire. Le flux continu de l'écriture fait exploser la syntaxe et abandonne la logique de la ponctuation pour celle de la musique, obtenue par un travail sur les rimes et les rythmes.

En 1983, Sollers fonde la revue l'Infini chez Gallimard et y publie Femmes, que Le Seuil a refusé, entraînant la fin de Tel Quel. Ce roman baroque défraie la chronique en proposant de nombreux portraits à clés du monde des lettres et est perçu comme une trahison de l'avant-garde par le retour à la lisibilité. Mais la rupture n'est peut-être qu'apparente : avec ou sans ponctuation, Sollers poursuit une même entreprise littéraire d'autofiction éclatée et totalisante. Le Cœur absolu (1987), la Fête à Venise (1991), le Secret (1992), Studio (1997) ou Passion fixe (2000) mixent aventures érotiques et romanesques et citations littéraires ; des doubles du romancier dénoncent avec humour la pseudo-démocratie du spectacle et de la marchandise, contre laquelle l'art, qu'explorent des monographies sur Fragonard, Picasso, Casanova ou Mozart (autres doubles, autres joueurs), demeure la seule arme.

Philippe Sollers
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