Snorri Sturluson

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain islandais (Hvamm 1178 ou 1179 – Gut Reykjaholt 1241).

Chef et politicien d'envergure, scalde, mythologue et philosophe, il a tiré de l'oubli et élucidé une culture qui, sans lui, resterait inintelligible à bien des égards. Probablement auteur d'une des grandes Islendingasögur, celle du scalde Egill Skallagrímsson et, à coup sûr, de la prestigieuse collection des sagas royales, intitulée par la suite Heimskringla, il y retrace, avec une science admirable du portrait en action et un sens étonnant du rationalisme historique, la vie des rois norvégiens, des origines mythiques à nos jours. Composée vers 1230, la Heimskringla (« Orbe du monde », ainsi appelée d'après ses deux premiers mots) est un recueil de seize sagas qui embrassent l'histoire de la Norvège depuis les origines mythiques (Ynglinga Saga) jusqu'à Magnus Erlingsson (1164). Le joyau en est la Saga de saint Oláfr, où, rompant avec l'hagiographie de son temps, Snorri fait du saint un portrait étonnamment équilibré et objectif. Par sa méthode rationaliste, son coup d'œil réaliste, la sobriété de son style, la Heimskringla est un des chefs-d'œuvre de l'historiographie médiévale européenne. Mais la postérité a également retenu son Edda, dite en prose). Entre 1220 et 1230, s'inspirant d'un manuscrit de l'Edda poétique, il composa un manuel de poétique à l'usage des apprentis scaldes : leur art, en effet, non seulement ne peut se pratiquer sans une connaissance parfaite des règles formelles extrêmement élaborées de la poésie scaldique (allitérations, résolutions, accentuation, retour de graphies), mais aussi, à cause de la règle qui interdit de nommer choses et gens par leur nom, de procédés de vocabulaire (heiti et kenningar) qui impliquent une science très poussée de la mythologie païenne : ce savoir, après plus de deux siècles de christianisme, se perdait et c'est pour le sauvegarder que Snorri rédigea son livre. Celui-ci, après un prologue evhémériste (les dieux y sont donnés pour des hommes, des sorciers venus d'Asie et divinisés), se présente en trois parties. La première, le Háttatal (« Dénombrement des mètres »), qui est aussi un poème de louanges à l'intention du roi de Norvège Hákon Hákonarson et du jarl Skuli, énumère, exemples à l'appui, les 101 mètres proposés à la virtuosité des scaldes. Les deux suivantes, le Skáldskaparmál (proprement : « Poétique ») et la Gylfaginning (« Fascination de Gylfi »), ont précisément pour tâche d'élucider les heiti (procédé métonymique qui fournit des séries de synonymes, comme de dire « quille » pour bateau) et les kenningar (métaphores filées : « le cavalier du coursier de la mer » = le marin) sans lesquelles il n'est pas de poésie scaldique. La Gylfaginning y parvient au prix d'une affabulation simple : le roi suédois Gylfi pénètre dans un palais où siègent trois divinités qui répondent tour à tour à ses questions sur les dieux, l'origine du monde, les demeures célestes, les grands mythes, etc. Le but de ces enseignements est de justifier tous les procédés lexicologiques qui renvoient à un savoir mythologique. Au terme de cet entretien, tout, palais et triade divine, disparaît, Gylfi a été victime d'une « fascination ». Le Skáldskaparmál met pareillement en scène le dieu Aegir qui rend visite, en leur palais d'Ásgardr, aux Ases et questionne le dieu de la poésie, Bragi, sur l'origine de la poésie. Les réponses font appel à force mythes et légendes et nous permettent d'élucider la plupart des grands textes scaldiques connus. L'autre intérêt de l'ouvrage tient à sa valeur pédagogique : Snorri parvient à donner tout un trésor de renseignements sans lesquels des pans entiers de la mythologie nordique nous resteraient à jamais obscurs. C'est à lui, au premier chef, que revient l'honneur d'avoir fait de l'Islande le Conservatoire des antiquités germano-scandinaves.

La saga d'Egill Skallagrimsson, de la catégorie des Islendingasögur, écrite au début du xiiie s., est peut-être due à Snorri Sturluson. Elle retrace la destinée d'un Islandais exceptionnel du xe s., qui fut un redoutable Viking, un dangereux magicien et l'un des grands scaldes de l'Islande. Sur un fond sauvage et fruste, l'auteur est parvenu à brosser un portrait étonnamment vivant et humain.