Juliusz Slowacki

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète polonais (Krzemieniec 1809 – Paris 1849).

Avec Adam Mickiewicz, auquel on l'opposa, et Zygmunt Krasińki, dont il fut l'ami, il est l'un des « poètes-prophètes » du romantisme polonais, encore qu'il ait dû attendre la fin du xixe s. pour trouver enfin sa juste place, grâce à la Jeune Pologne qui vit en lui un précurseur. Orphelin à 5 ans d'un père professeur à l'université de Wilno, élevé par sa mère pour laquelle il conserve jusqu'à sa mort un attachement passionné, il nourrit sa jeunesse de lectures romantiques, Byron, Mickiewicz et Walter Scott. À Varsovie, il publie ses premiers vers et deux drames historiques encore maladroits (Mindowe, 1829 ; Maria Stuart, 1830). Il ne participe pas à l'insurrection de Novembre, mais on l'envoie comme courrier à Londres. Installé ensuite à Paris, il y fait paraître parmi d'autres poèmes l'Heure de la pensée (1832) qui dit son « mal du siècle » de jeune poète triste et révolté. Amer envers Mickiewicz dont la gloire lui fait ombrage et à qui il en veut d'avoir fait de son beau-père, le Dr Bécu, un personnage odieux des Aïeux, il vit à Genève (1833-1836), puis en Italie et fait un long voyage en Terre sainte et en Orient (1836-37). De cette époque datent les poèmes de En Suisse (1839), idylle de l'amour impossible, le Tombeau d'Agamemnon (1840), chargé de somptueuses invectives contre le faux héroïsme de ses compatriotes, et Anhelli (1838), longue prose biblique sur les Polonais déportés en Sibérie pour leur patriotisme, dans lequel apparaît déjà le messianisme d'une rédemption par la souffrance. Un talent d'une envergure extraordinaire apparaît dans ses pièces versifiées dont il trouve le thème dans ses lectures et ses rêves hallucinatoires. Kordian, drame publié sans nom d'auteur à Paris en 1834, campe un héros déraciné que le premier acte montre errant de Londres à la cour vaticane, méditant au sommet du mont Blanc, sans illusions sur la gloire, l'amour, l'altruisme ou la religion, mais décidé à libérer sa patrie de l'oppression. Kordian décide de tuer le tsar, le jour du couronnement de celui-ci à Varsovie comme roi de Pologne. Mais ses compatriotes sont prêts à toutes les soumissions. Il agit donc seul. Parvenu jusqu'au seuil de la chambre royale, il s'évanouit, est pris et condamné. Ainsi, ni l'individu héroïque jusqu'au sacrifice que Mickiewicz avait glorifié dans son Konrad Wallenrod (1828) ni le martyre rédempteur célébré dans les Aïeux (1832) ne suffisent à sauver une nation ou à lui redonner une âme, affirme Słowacki. Attaque violente contre les illusions romantiques qu'incarne Mickiewicz, mais aussi drame puissant qui mêle dans un style shakespearien le rire et l'émotion tragique, Kordian témoigne de la maîtrise souveraine qu'atteint Słowacki dès ses débuts au théâtre. Balladyna (1835) et Lilla Weneda (1839), drames où le poète cherche moins à évoquer les origines mythiques de la nation polonaise qu'à dresser le tableau des vertus et des défauts éternels de sa nation tels qu'ils se sont manifestés lors de l'insurrection de 1830 sont suivis par deux drames aux couleurs historiques : Horsztynski (1835) et Mazeppa (1840) ; Fantazy (1841) est à peine plus réaliste. Dans toutes ces œuvres reviennent comme une obsession les thèmes du souvenir lancinant de la tragédie polonaise de 1830, de la nation polonaise martyre, du héros romantique dont l'action échoue. Magnifiquement écrites, mais peu soucieuses des exigences de la scène, interdites par l'occupant tant russe que prussien ou autrichien, ces pièces ne sont jamais jouées du vivant de Slowacki. Beniowski (1838), long poème qui mêle la satire et la polémique à la poésie la plus haute, est le seul grand succès que Slowacki connaît de son vivant. Composé sur le modèle du Don Juan de Byron, écrit en strophes de huit vers (ottava rima) à l'imitation de la poésie épique italienne (l'Arioste). À partir du personnage historique de l'aventurier hongrois Maurice Beniowski (1741-1786) – qui combattit les Russes, fut déporté au Kamtchatka, d'où il s'échappa en enlevant la fille du gouverneur, voyagea en Chine, au Brésil et aux États-Unis et fut « roi » de Madagascar –, Słowacki campe le portrait du poète romantique, commente sa rivalité avec Mickiewicz et démonte avec ironie le mécanisme de la création esthétique. Juliusz Słowacki a une tendance au mysticisme croissante. Les œuvres des dernières années, pendant lesquelles une véritable fièvre de création se saisit de lui, témoignent de sa volonté de construire un système philosophique capable d'expliquer le monde et l'histoire. Des drames (le Père Marc, 1843 ; le Songe d'argent de Salomé, 1843 ; le Prince constant, 1844, imité de Calderon), et deux longues œuvres prophétiques (la Genèse par l'Esprit, prose poétique, 1844 ; le Roi-Esprit, rhapsodie lyrique, 1847) en sont le couronnement. Dans la première, écrite en partie à Pornic où il eut la révélation de l'Océan, Słowacki s'identifie à l'esprit de la Nature ; dans la seconde, il annonce l'ascension vers le royaume de Dieu d'une humanité guidée dans sa marche par un Roi-Esprit, les réincarnations successives, de plus en plus parfaites, de la puissance divine, purifiés par la souffrance rédemptrice, et dont le Poète-Esprit est l'aboutissement suprême. Il n'est pas sans faire penser au héros de Dostoïevski ou de Nietzsche. Lui aussi envisage la mort de Dieu, « Il n'y a rien au Ciel ! Seul, tel Dieu, je me jugerai ». Cette « autobiograhie métempsychique » aux accents messianiques est le dernier effort du poète. Miné par la tuberculose, il tente pourtant de rejoindre son pays lors du Printemps des peuples de 1843, mais revient à Paris pour y mourir, laissant de nombreuses œuvres inachevées. En 1927, sa dépouille est transportée au château royal de Wawel à Cracovie où elle repose aux côtés de Mickiewicz. Solitaire, Słowacki est l'incarnation même du romantique mélancolique qui passe sa vie en voyages vers les sources de la chrétienté. Son œuvre poétique n'est pas sans analogie avec celle de Shelley. Sa poésie s'achemine vers une exubérance toujours plus grande de sons et de couleurs. Elle appréhende l'ineffable dans la musique du vers et de l'image. Słowacki dépasse ainsi les limites du romantisme et donne dans le symbolisme. Son mysticisme connaît un renouveau d'intérêt auprès du public polonais en ce début du xxie s.