Pierre de Ronsard

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète français (château de la Possonnière, Couture-sur-Loir 1524 – Saint-Cosme-en-l'Isle, près de Tours, 1585).

La vie et l'œuvre de Ronsard se situent exactement au milieu du xvie s. Ronsard porte avec lui les espoirs de toute une génération, celle qui parvient à l'âge d'homme aux environs de 1545. Il croit à la renaissance éclatante de la poésie, favorisée par les rois, nourrie par l'immense travail des érudits qui mettent à la disposition des poètes les trésors des littératures grecque et latine. Il s'attelle à cette tâche, lui et cette « Brigade » enthousiaste de Coqueret qui, sous la houlette de Dorat, comprend aussi Du Bellay, Baïf et d'autres futurs grands noms. Cette génération est profondément nationaliste. Elle n'admet pas que l'Italie seule (ou presque) se soit illustrée de son temps dans les arts et les lettres. D'autre part, elle refuse que les querelles religieuses affaiblissent la patrie. Ronsard, sincèrement catholique, possède cependant assez de lucidité pour se rendre compte de la nécessité d'une réforme interne de son Église. Quand l'espoir de celle-ci s'évanouit en France, quand le conflit religieux devient une guerre civile, il choisit de défendre par la plume – à partir de 1562 – et peut-être même par les armes, la foi de ses aïeux. Mais la violence de ses Discours contre les protestants ne doit pas cacher une amertume profonde devant un pays dévasté par la guerre, une « République des lettres » ravagée par le fanatisme.

Cette trajectoire, d'autres poètes de son temps la parcourent aussi. Le climat de la poésie de Ronsard est toutefois plus complexe. Dès les années 1550, il est à la fois enthousiaste avec Pindare, qui lui donne le goût de la gloire, et sceptique avec Horace, qui enseigne les chemins d'une sagesse moyenne. Il n'y a pas vraiment d'évolution de Ronsard, mais plutôt une alternance perpétuelle d'états d'enthousiasme et d'états d'abattement. C'est ainsi d'ailleurs qu'il se représente avec son temps la psychologie des créateurs et des artistes. Faute de pouvoir le connaître intimement, nous devons nous contenter de ce « moi exemplaire », semblable à celui des grands mélancoliques nés sous un astre qui les destine en même temps à la joie (celle de l'œuvre) et à la tristesse (qui vient de la conscience des limites de l'homme).

Le poète des Odes

Il commence par un coup d'éclat : les Quatre Premiers Livres des Odes, publiés en 1550, suivis d'un cinquième en 1552. Divisé en 4 livres, ce recueil comprend 94 pièces imitées de Pindare et d'Horace. Les premières, constituées d'une alternance de strophes, d'antistrophes et d'épodes, sont consacrées à la célébration de victoires royales ou à l'éloge de grands personnages ou d'amis écrivains. D'inspiration plus familière, les odes horatiennes prennent pour thèmes des événements relatifs à la vie quotidienne du poète ou à la description de spectacles champêtres. Personne n'avait osé « par un sentier inconnu » imiter Pindare et ses chants solennels en l'honneur des vainqueurs des jeux grecs.

Ces odes hautaines, somptueuses, martelées, écrites pour être mises en musique, ne furent pas du goût de la Cour, qui chercha à leur opposer la manière plus facile des disciples de Marot. Mais Ronsard avait des admirateurs, notamment la sœur du roi, Marguerite de France ; et surtout il savait renouveler sa manière comme le montrent les Amours de 1552, un « canzoniere », un recueil de poèmes amoureux à la manière des Italiens, qui ne se contente pas d'une analyse quintessenciée du sentiment et fait de l'amour le thème inspirateur par excellence du poète, l'occasion d'un jeu savant avec les mythes et les textes de la culture de son temps.

La poésie amoureuse

À partir de 1560, Ronsard regroupera l'ensemble de ses pièces poétiques d'inspiration amoureuse sous le titre inchangé d'Amours : les Amours (1552-1553), qui célèbrent Cassandre Salviati, une partie du Bocage (1554) et des Mélanges (1555), la Continuation des Amours (1555) et la Nouvelle Continuation des Amours (1556), qui chantent Marie Dupin, les sonnets à Sinope du Second Livre des Mélanges (1559), quelques pièces du Recueil des Nouvelles Poésies (1563), des Élégies, Mascarades et Bergeries (1565) et du Septième Livre des Poèmes (1569), les Amours d'Eurymédon et de Callyrée, les sonnets et les stances Sur la mort de Marie, les Sonnets et Madrigals pour Astrée, les Sonnets pour Hélène (1578) dédiés à Hélène de Surgères.

Il fallait cependant que Ronsard progresse dans le sens de la simplicité, une simplicité savante puisque nourrie de l'exemple de certains modèles grecs qu'il découvre dans les années 1553-1555 : Anacréon et les poètes regroupés dans l'Anthologie. On doit à ces découvertes les recueils du Bocage de 1554 et des Mélanges de 1555. Un poète très personnel s'y découvre qui entrelace dans des odes aux vers brefs le goût de la vie dans ses plus humbles détails (les objets, les animaux familiers) et l'angoisse du temps qui passe. Ronsard avait aussi, en 1553, publié un Livret de Folastries qui manifestait une verve bouffonne et érotique peu prisée des esprits élégants de l'entourage royal et encore moins de ceux, protestants ou non, qui souhaitaient une Muse moins païenne.

Les hymnes philosophiques

Dans les années 1555-1556, il compose deux recueils de poésie amoureuse : la Continuation et la Nouvelle Continuation des Amours, où Ronsard abandonnant Pétrarque (moins d'ailleurs qu'il ne le dit) découvre les plaisirs du « beau style bas », par opposition à celui des odes héroïques. Il produit aussi deux livres d'Hymnes, poésie philosophique presque inconnue en France, chantant l'ordre du monde (hymnes du ciel, des astres) et celui de la terre qui doit le refléter (« Hymne de la Justice »). Les humanistes trouvèrent là un motif de satisfaction et félicitaient le poète d'avoir abandonné une Muse parfois trop gaillarde. Le recueil comporte deux types de pièces (composées soit d'alexandrins, soit de décasyllabes à rimes plates) : des hymnes encomiastiques (Hymne à Henri II, Hymne de la Justice) et des hymnes épiniciens (Hymne de Calaïs et de Zethes, Hymne de Pollux et de Castor) d'une part (ces derniers constituant de petites épopées, sortes de préludes à la Franciade), des hymnes « philosophiques » d'autre part, inspirés des Hymni naturales (1497) du néolatin Marulle et consacrés aux grands phénomènes de la nature (les Daimons, Hymne du ciel, Hymne des astres), à la condition humaine (Hymne de la mort) et à l'esprit humain (Hymne de la philosophie). Cette dernière sorte d'hymnes appartient au genre du poème scientifico-philosophique, largement représenté dans la littérature poétique du xvie s. Les Hymnes de 1555-1556 furent progressivement augmentés dans les différentes éditions collectives des Œuvres de Ronsard, notamment dans celles de 1560, de 1567 (qui comporte l'Hymne des quatre saisons) et de 1584 (qui y ajouta l'Hymne des étoiles).

Le poète national et le militant de la paix

Mais Ronsard cultivait encore de plus hauts desseins. Depuis 1550, il rêvait d'écrire le grand poème réclamé par Du Bellay dans sa Défense : une épopée qui puisse rivaliser avec l'Iliade et l'Odyssée. Les 4 premiers chants de la Franciade parurent en 1572. Dans le projet initial, le poème devait en comporter 24 ; les suivants ne virent jamais le jour. Le sujet (emprunté à la tradition légendaire, née au viie s., de l'origine troyenne des Francs) est la fondation du royaume franc par Francus, fils d'Hector, et le récit des exploits de ses descendants, les rois de France. Épopée nationale imitée de l'Énéide, la Franciade représentait à la fois l'accomplissement d'un projet poétique ambitieux – la composition d'une épopée moderne sur le modèle des Anciens – et un acte patriotique scellant et symbolisant l'union du Poète et du Prince. En écrivant ce grand poème à la gloire de la France, Ronsard montrait en même temps qu'il était le poète national. Mais Henri II étant peu empressé à lui donner l'aisance matérielle nécessaire à la création, il se retire deux ans dans sa province, en 1556-1558, tout en travaillant à sa Franciade.

Les événements politiques rappellent Ronsard à Paris. On célèbre en effet en 1559 la paix du Cateau-Cambrésis, qui met un terme à la guerre avec l'Allemagne, et les mariages dynastiques qui accompagnent sa conclusion. Ronsard, en poète officiel qu'il est, multiplie à cette occasion les poèmes de circonstance, publiés aussitôt en plaquettes. Une idée les domine : celle de la paix. Mais l'ironie de l'histoire veut que, au moment où la paix extérieure est rétablie, la paix intérieure soit gravement menacée. La politique de répression menée par Henri II contre les protestants ne donne aucun résultat : les fidèles de la Réforme sont de plus en plus nombreux. Après le règne éphémère et brutal du jeune François II, une tentative de conciliation entre les deux Églises échoue en 1561 à Poissy. En cette année décisive, Ronsard reste étrangement silencieux, comme s'il ne savait trop ce qu'il devait souhaiter. Mais quand la guerre civile éclate, en 1562, il prend la plume pour écrire les Discours des misères de ce temps, appels pathétiques à la reine mère, Catherine de Médicis, pour qu'elle ramène la concorde, mais aussi à Théodore de Bèze, le chef religieux des protestants, afin qu'il préfère la patience chrétienne à la violence. Ronsard s'aliénait définitivement des hommes qui avaient été parfois ses amis, car ils redoutaient l'influence de ses Discours (qui seront encore considérés, au début du xviie s. chez la bourgeoisie parlementaire humaniste, comme des modèles d'éloquence). Une paix précaire à peine conclue, il doit répliquer à des pamphlets lancés contre lui par une Réponse aux injures, chef-d'œuvre d'ironie orgueilleuse mais aussi manifeste d'indépendance : le poète une fois de plus prend ses distances et n'entend pas lier son destin à une Église ou à un « parti ».

Il joue cependant son rôle de poète officiel lors des grandes fêtes qui ponctuent, en 1564-1565, le voyage entrepris dans les provinces françaises par la reine et le roi pour pacifier les esprits. Mais il publie dès 1563 ses Trois Livres du recueil des Nouvelles Poésies où le ton dominant est celui de la Muse légère et folâtre qui n'a cessé de l'inspirer même pendant la première guerre civile.

L'Abrégé de l'art poétique français

À cette époque, il publie l'Abrégé de l'art poétique français (1565), dédié à Alfonse Delbene, abbé de Hautecombe, fils d'un poète florentin ami de Ronsard. Après des considérations générales sur l'origine de la poésie, l'apprentissage du métier de poète et le vocabulaire poétique (à propos duquel Ronsard préconise des emprunts aux langues des métiers, ainsi qu'aux dialectes), trois paragraphes sont consacrés aux trois parties traditionnelles de la rhétorique : l'invention, la disposition et l'élocution. Viennent ensuite des considérations plus techniques sur le choix des épithètes poétiques, la rime, les élisions vocaliques dans le vers, les différents types de vers français (l'alexandrin, le décasyllabe et les vers plus courts). On retrouve dans l'Abrégé quelques-unes des grandes idées fortes de la doctrine poétique de la Pléiade : la conception de la poésie comme don divin, la primauté de l'inspiration sur la technique (le poète y est opposé au « versificateur »), le souci de promouvoir une langue propre à l'expression de la poésie (grâce notamment à l'enrichissement du lexique), l'union étroite de la poésie et de la musique. Cependant, outre le fait qu'une place plus grande y est réservée aux préceptes pratiques et techniques, l'Abrégé se distingue des manifestes antérieurs de l'école, et au premier chef de la Défense, par une plus grande modération, tant en ce qui concerne le choix des thèmes (ainsi sont condamnées les « inventions fantastiques et mélancoliques qui ne se rapportent non plus l'une à l'autre que les songes entrecoupés d'un frénétique ») que leur mode d'expression.

Les séjours de Ronsard dans les prieurés que la générosité de Charles IX lui a donnés, surtout dans celui de Saint-Côme près de Tours, se font alors plus fréquents et d'autant plus nécessaires que sa santé devient chancelante. On doit à cette demi-retraite le Sixième et le Septième Livre des poèmes, publiés en 1569 et qui révèlent encore un nouveau Ronsard. Avec ces « poèmes », il invente un nouveau genre, difficile à définir d'ailleurs puisque le recueil comprend aussi bien des descriptions d'animaux ou d'objets que des contes dont le thème est emprunté à la mythologie. Ce qui frappe, c'est l'aisance souveraine d'un poète capable d'aborder tous les sujets, du plus bas au plus élevé, et qui élève le caprice au rang de l'art.

La composition de la Franciade, annoncée depuis si longtemps, l'occupe jusqu'en 1572, où les quatre premiers livres sont publiés. Ceux-ci tombaient mal : quelques semaines après la Saint-Barthélemy, le public avait d'autres sujets de préoccupation que les aventures de Francus. Ceux qui les lurent furent déçus, mais ne le dirent pas, tant le prestige de Ronsard était grand. La mort de Charles IX, l'ami et le bienfaiteur du poète, survenue en 1574, lui servit de prétexte pour abandonner cette œuvre trop lourde, qui aliénait sa liberté. Après la Franciade, et si l'on excepte les Sonnets pour Hélène, inspirés par une jeune femme de la suite de Catherine de Médicis mais aussi par le désir de montrer, face à son jeune rival Desportes, qu'il est encore là, Ronsard ne fait plus paraître de recueil. Il consacre presque tout son temps à la préparation des éditions collectives de ses Œuvres. La première édition avait vu le jour en 1560. D'autres suivirent, dont les plus importantes furent celles de 1578 et de 1584. Elles s'enrichissaient de poèmes nouveaux, mais elles étaient aussi l'occasion de réfléchir à l'architecture de l'œuvre, de chercher la disposition la meilleure, ce qui explique d'incessantes modifications dans le plan général. Ronsard, surtout, relisait impitoyablement ses textes, corrigeait, transformait, quitte parfois à censurer les belles audaces de sa jeunesse. Plus que tout désormais, ce qui compte pour lui, c'est le travail de l'art et le jugement de la postérité. Il travaillait à une nouvelle édition collective qui paraîtra, posthume, en 1587, quand la mort le prit dans son prieuré de Saint-Côme, le 28 décembre 1585.