Edgar Allan Poe

Edgar Allan Poe
Edgar Allan Poe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain américain (Boston 1809 – Baltimore 1849).

Poète, conteur et romancier, Poe offre l'image de l'écrivain maudit dont les malheurs biographiques n'effacent jamais le souci esthétique ; écrivain proprement américain, quoique tardivement reconnu par ses compatriotes, il appartient à l'imaginaire sudiste et illustre les incertitudes culturelles de la littérature américaine. Au miroir des commentaires de Baudelaire, Poe est à la fois l'écrivain du sentiment et de l'effet littéraire, de la mystique et du symbole maîtrisé, de l'étrangeté et de la beauté manifeste. Cette ambivalence définit une œuvre à la fois lucide et inquiète, fantastique et obsédée de rigueur. Le personnage de Poe même ne laisse pas d'être double, suivant l'indication de son conte William Wilson (1839) : écrivain de l'agonie et poète de la rhétorique, il est partagé entre un destin familial douloureux et sa vocation d'entrepreneur littéraire. Né d'un couple d'acteurs ambulants, il reste obsédé par l'image de son père alcoolique qui meurt tôt et de sa mère, emportée par la tuberculose alors qu'il a trois ans. Enfant adopté par un riche négociant de Richmond, John Allan, il séjourne en Angleterre (1815-1820), puis étudie à l'université de Virginie. Il publie ses premiers poèmes (Tamerlane et autres poèmes d'un Bostonien, 1827) et s'engage dans l'armée fédérale. Le roman familial reprend ses droits : l'écrivain se réfugie chez une sœur de son vrai père, Maria Clemm, dont, en 1836, il épousera la fille, âgée de quatorze ans ; celle-ci mourra en 1847 après plusieurs années de maladie. Tout au long de sa vie, Poe connaît la misère, l'alcool et la drogue et reste hanté par l'image de la mort de la mère et par le lent dépérissement de sa femme. Il est aussi directeur de revues (The Southern Literary Messenger, le Burton's Gentleman's Magazine, le Graham's Magazine, le Broadway Journal) et mondain.

L'œuvre de Poe se partage en quatre domaines : journalisme, nouvelles et roman, poésie, essais et esthétique. Les essais journalistiques dessinent la carrière de l'homme de lettres. Les nouvelles, Contes du grotesque et de l'arabesque (Histoires extraordinaires, 1840), Romans en prose (1843), Contes (Nouvelles Histoires extraordinaires, 1845), définissent des voies originales du fantastique littéraire, de la science-fiction et du récit déductif. Le roman Aventures d'Arthur Gordon Pym (1838) renouvelle la symbolique de la quête. Les poèmes (Al Aaraaf, 1829 ; Poèmes, 1831 ; Sérénade, 1833 ; le Corbeau, 1845 ; Ulalume, 1847 ; Eldorado, 1849 ; Annabel Lee, 1849) allient le lyrisme affectif au calcul poétique et à la symbolisation mystique. Les essais et préfaces (Philosophie de la composition, 1846 ; le Principe poétique, 1850) et les études sur l'imagination, le génie poétique, l'art du récit, définissent l'artifice et la rigueur du littéraire tout en suggérant un pouvoir de vision de l'imagination et en rapportant l'entreprise créatrice à une intention cosmologique. Le choix de la lucidité, qui fait de l'écrivain le représentant et l'analyste de la nature humaine explique que l'entreprise littéraire de Poe joue tantôt sur le morbide, tantôt sur l'affectif, tantôt sur la rationalité et qu'elle s'ouvre à une cryptographie du monde, ainsi que le marque l'intérêt porté au magnétisme ou au spiritisme (Eurêka, 1848). Avec la mort, la mélancolie, l'horreur, va inévitablement la maîtrise du symbolique, qui s'interprète à la fois comme la preuve d'une conscience créatrice entièrement transparente à elle-même et comme l'évidence que l'homme dispose des signes organisés de l'Univers. Cette maîtrise du symbolique peut encore être lue doublement : effort d'un écrivain pour élaborer une systématique esthétique au sein d'une culture américaine qui n'offre pas de données ni de moyens d'expression suffisants ; développement extrême des acquis du romantisme européen, qui conduit à l'adéquation de la méthode créatrice et de la connaissance des hommes et du monde.

Les Aventures d'Arthur Gordon Pym fixent les motifs dominants de l'œuvre de Poe : toute géographie est symbolique qui ouvre à la métaphysique et au psychologique, et dessine l'univers sous le signe d'un matérialisme spirituel. La quête maritime est ici celle de l'extrême : la mort, la profondeur, l'évidence de l'antinomie du bien et du mal, l'approche de Dieu et de la mère. La quête est perdition qui fait lire tous les signes et toucher à la fois à l'origine et à l'éternité. Cette poétique des extrêmes, qui commande un jeu explicite sur les symboles, est encore manifeste dans les nouvelles et dans les contes : contes d'enquête (le Mystère de Marie Roget, le Joueur d'échecs de Maelzel) et « contes de ratiocination », suivant sa propre expression (la Lettre volée, le Double Assassinat dans la rue Morgue, le Scarabée d'or), qu'on place à l'origine du roman policier, contes de l'exposé du crime (la Barrique d'Amontillado, Hop-Frog). Les contes fantastiques de Poe, au-delà des interprétations psychanalytiques qu'ils ont suscitées (Marie Bonaparte) et de leur lecture comme un des modèles de la réalisation de l'autonomie du littéraire (T. Todorov), jouent encore de la claustration (la Chute de la Maison Usher, le Puits et le Pendule), de la peur névrotique de la mort (le Chat noir, le Cœur révélateur), pour noter une maîtrise symbolique soit par des visions grotesques (le Roi peste, l'Ange du bizarre), soit par une thématique fantastique spécifique. L'idée constante de Poe est que l'homme se définit par une duplicité de la conscience : si la vie peut être un rêve, alors la mort est un réveil, et le rêveur (l'homme vivant) coexiste avec un autre lui-même (origine du thème du double, voir William Wilson), dont il est parfois la victime, ou avec une épouse, une compagne évanescente (histoire à « héroïnes posthumes » : Bérénice, Morella, Ligeia, Eleonora). L'écriture fantastique se place au-delà des limites du quotidien, pour maîtriser cette dualité par le jeu sur l'ambivalence des signes et dessiner une conscience idéale, c'est-à-dire posthume.

La théorie poétique de Poe, exposée dans Philosophie de la composition et le Principe poétique, et illustrée particulièrement par le Corbeau, confirme cet imaginaire de la dualité et cette stratégie de la maîtrise. L'intention poétique est proprement suprahumaine et atemporelle, à partir de la notation des limites existentielles et anthropologiques de l'homme. Que la poésie ait partie liée avec la mort et avec la mélancolie atteste que là, comme dans le fantastique, s'offre l'expérience de l'homme dans le réel et de l'homme libéré du réel. La théorie de l'effet littéraire peut être lue comme une théorie de l'artifice de la composition et de la lecture, mais le calcul et l'autonomie littéraires sont aussi expérience de la sublimation. L'obsession du négatif et l'artificialisme du littéraire sont le premier temps – celui de la désublimation – d'un mouvement d'ascension, explicitement décrit dans Eurêka, et montré de manière contradictoire dans les Aventures d'Arthur Gordon Pym : la plongée dans le trou est, au vrai, remontée à la lumière supraterrestre. La beauté existe donc ailleurs. La poésie le dit par ses techniques de composition ; le fantastique le confirme, ainsi que l'indique un passage de Ligeia : « Il ne saurait y avoir de beauté exquise sans une certaine mesure d'étrangeté. »

Edgar Allan Poe
Edgar Allan Poe
Edgar Allan Poe, 1942, le Puits et le pendule
Edgar Allan Poe, 1942, le Puits et le pendule