Paul Morand
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain français (Paris 1888 – id. 1976).
« Homme pressé » (c'est le titre d'un livre de 1941), esthète cosmopolite dans la double lignée du prince de Ligne et de Valery Larbaud, il incarne la frénésie des Années folles dans sa passion de l'arpentage du globe (il fit des études en Angleterre et fut notamment ambassadeur à Bucarest et à Berne) et dans son génie des fêtes sur les ruines superbes d'un monde à jamais disparu. En 1921 paraissent Tendres Stocks, recueil de trois nouvelles préfacé par Marcel Proust (dans le Temps retrouvé, M. de Charlus évoquera le « charmant Morand, l'auteur délicieux de Clarisse », récit publié en mai 1917 dans le Mercure de France et qui ouvre le recueil). Les trois nouvelles ont pour sujet les aventures sentimentales du jeune diplomate à Londres, dans les premières années de la guerre : Proust présente d'ailleurs l'auteur comme un élégant Minotaure guettant les jeunes filles dans le labyrinthe des hôtels de luxe, mais il évoque le monstre qui le guette au cœur des dédales de son propre cerveau, la Mort, qui apparaît sous l'insistante figure de la « Mère redoutée ». Ouvert la nuit (1922) puis Fermé la nuit (1923), où Morand décrit les bouleversements de l'après-guerre, lui vaudront une renommée internationale. S'il fut poète (Lampes à arc, 1919 ; Vingt-Cinq Poèmes sans oiseaux, 1924), tous ses récits sont au fond des relations de voyages (New York, 1930 ; Papiers d'identité, 1931 ; Air indien, 1932) où les êtres apportent plus de déceptions que les paysages (Rien que la terre, 1926 ; Hiver caraïbe, 1929). La vitesse ne rapproche pas les hommes, elle les projette les uns contre les autres, exacerbe les désirs (Lewis et Irène, 1924). Dandy désabusé, Morand laisse errer un œil désinvolte sur les appétits humains et leurs masques (Hécate et ses chiens, 1954 ; les Écarts amoureux, 1974) : le seul vagabondage qui, en définitive, le satisfasse est le voyage dans le passé, le parcours des ombres mortes dans un espace où l'on traverse les strates d'époques révolues et que le nomadisme devenu promenade ressuscite (Venises, 1971). Il connaîtra l'épreuve de l'exil en 1944, avant de revenir au premier plan en 1968, et retrouvera un public grâce aux « Hussards » Jacques Chardonne, Roger Nimier et Jacques Laurent. Parce qu'il fut l'homme de tous les défauts (vichyste, xénophobe, antisémite, homophobe, mysogyne : voir son Journal inutile, 1968-1976, 2001), son parcours idéologique affaiblit la leçon de style et d'énergie qu'il dispense si généreusement par ailleurs, même s'il considérait la littérature comme son seul champ d'action.