Michel Butor

Michel Butor
Michel Butor

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain français (Mons-en-Barœul 1926 – Contamine-sur-Arve, Haute-Savoie, 2016).

D'abord associée au Nouveau Roman, son œuvre explore diverses techniques propres à déconstruire le récit et entrecroise d'emblée deux composantes majeures : l'espace et le temps, inscrits dans une perspective de l'interaction et de la relativité. Dans Passage de Milan (1954), la simultanéité des actions est mise en abyme par la composition en damier d'un tableau à la Mondrian, tandis que l'Emploi du temps (1956) ressortit à un véritable jeu de piste organisé en canon musical. Avec la Modification (1957), Butor accède à la célébrité, la restitution du théâtre de la conscience et le travail sur la durée intérieure étant joints à une focalisation inédite qui substitue le vous au je ou au il de la narration traditionnelle. Cette première période se clôt avec Degrés (1960), où la superposition des voix empêche la restitution d'une heure de classe dans un lycée : la complexité du réel entraîne l'impossibilité de tout dire et engendre un cheminement aporétique.

La découverte des États-Unis entraîne un véritable bouleversement, qui fait éprouver à Butor la nécessité de replacer l'anecdote dans son cadre originel, impliquant alors un tel effort de documentation que le développement de l'histoire s'en trouve écrasé. Avec Mobile (1962), il abandonne donc le genre romanesque, au profit d'une poiesis qui multiplie les collages narratifs, joue de sa propre précipitation, exploite les possibilités de la typographie et de la mise en page (Intervalle, 1973 ; Boomerang, 1978). Dès lors, Butor s'impose comme l'un des plus grands novateurs du siècle, par une écriture expérimentale qui renouvelle toutes les formes auxquelles il s'intéresse. Son inspiration se diversifie et intègre la musique (Votre Faust, 1962 ; Sept Harmoniques à la clef, 1984) et les beaux-arts (Illustrations, 1964-1976 ; les Mots sur la peinture, 1969), mais aussi la photographie, l'ethnologie, l'audiovisuel ou l'informatique. Éminemment polyphonique (6 810 000 litres d'eau par seconde, 1965 ; le Rêve d'Irénée, 1979), son œuvre transgresse tous les cloisonnements (Alechinsky : frontières et bordures, 1984 ; Frontières, 1985) pour forger un langage polymorphe qui brasse les codes hétérogènes de la modernité et soit, comme le rêve, une « plaque tournante qui donne sur tant de voies » (Histoire extraordinaire, 1961).

La problématique de l'unité dans la diversité est présente au cœur même de l'organisation de l'œuvre avec ses systèmes d'échos et de renvois incessants (Envois, 1980-1982 ; Avant-goût, 1984-1989), qui témoignent des ambiguïtés d'une représentation hésitant entre l'herméneutique et la recension de l'ensemble du visible. À l'encontre d'une conception démiurgique de la littérature (Portrait de l'artiste en jeune singe, 1967), l'écriture trouve sa nécessité dans un parcours fragmentaire à travers les références oniriques (Matière de rêves, 1975-1985) et mythologiques d'un monde « autographe » (Paysages de répons, 1968). Raison pour laquelle un livre est toujours un essai (Essais sur le roman, 1964 ; ... sur les Modernes, 1964 ; ... sur les « Essais », 1968) ou une improvisation (Improvisations sur Flaubert, 1984 ; ... sur Henri Michaux, 1985 ; ... sur Rimbaud, 1989 ; ... sur Balzac, 1998). Avec la série des Répertoires (1960-1982) et les nombreux entretiens accordés par l'auteur, ces cycles constituent les balises d'une inlassable réflexion esthétique et ontologique, l'écrivain étant présenté comme celui qui « mène le murmure des choses jusqu'à la parole » et donne cohérence à des éléments qui, hors de la quête qu'ils suscitent, resteraient in-signifiants. En ce sens, il n'est pas fortuit que Butor place ses recherches littéraires sous les auspices d'une « itérologie » (Répertoire IV, 1974), car, chez lui, parcours géographique et tracé graphique s'entremêlent constamment, tout langage étant lui-même un déplacement de lignes (Réseau aérien, 1962). La création s'affirme comme une activité ouverte, ludique et aléatoire, qui exige la participation active du lecteur. Exposant ses mécanismes de fabrication et déconstruit (comme le temps), l'espace littéraire est de l'ordre du passage et du franchissement, avec pour corollaire une méditation sur les sites (le Génie du lieu, 1958-1994). Ses multiples variations, nourries d'encyclopédisme et empreintes d'utopie (la Rose des vents, 32 Rhumbs pour Charles Fourier, 1970), sont autant de Travaux d'approche (1972) et accèdent ainsi à l'universalité, la rencontre de l'Autre étant tributaire d'une vision cosmopolite et fraternelle de la culture.

Michel Butor
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