Mexique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

La période coloniale de la vice-royauté est marquée, comme au Pérou, par une activité littéraire non négligeable, où se distinguent quelques très grands noms. En 1539, le premier livre est édité au Mexique, où une imprimerie a été installée quelques années plus tôt, tandis que l'Université y est fondée en 1551. Les premiers écrivains notables sont des chroniqueurs (J. Suárez de Peralta, Alvarado Tozozomoc, F. de Alba Ixtlilxochitl). La poésie a ses représentants dès la fin du xvie siècle (A. de Saavedra Guzmán). Dans le même temps, la vie théâtrale est active, qu'il s'agisse de théâtre religieux ou récréatif. On conserve divers autos sacramentels et les mœurs coloniales sont peintes dans les pièces de F. González de Eslava (1534-1601). Si ce dernier est né en Espagne, l'un des grands dramaturges du Siècle d'or espagnol, J. Ruiz de Alarcón, est originaire de Mexico. Le premier « phare » de la littérature mexicaine est sœur Juana Inés de la Cruz, avec une œuvre à la fois sensuelle et mystique. La prose de ce temps ne se distingue guère de celle de la Péninsule, sauf celle de C. Sigüenza y Góngora, polygraphe de talent.

Émergence d'une littérature nationale

Le xviiie siècle n'est représenté que par des poètes ou écrivains qui suivent les modèles espagnols (Manuel de Navarrete). Il faut attendre la publication d'El periquillo sarniento (1816) de J. J. Fernández de Lizardi pour trouver une œuvre spécifiquement mexicaine. Lizardi est d'ailleurs considéré comme le père du roman en Amérique latine, où la fiction en prose ne prendra son essor qu'après la proclamation de l'indépendance (1821). C'est à partir de cet événement que se forge une véritable littérature nationale. La poésie, encore néoclassique, est illustrée par A. M. de Ochoa y Acuña et, surtout, par A. Quintana Roo et F. M. Sánchez de Tagle. Mais c'est le dramaturge M. E. Gorostiza qui est, avec Lizardi, le grand nom de cette période. Le romantisme pénètre tard au Mexique et n'y produit pas de poètes comparables à ceux d'autres pays. On peut néanmoins citer I. M. Altamirano, I. Rodríguez Galván (1816-1842), M. Acuña ou M. M. Flores. Le roman romantique mexicain est marqué par l'étude de mœurs ou par l'histoire, cette dernière en général axée sur le passé récent. Le genre est lancé par Manuel Payno (1810-1894), que suivent, pour le roman de mœurs, F. Orozco Berra (1822-1851) ou J. Díaz Covarrubias (1837-1859). La tendance sociale est représentée par le catholique F. M. del Castillo (1828-1863) ou encore par J. Rivera Río. Le plus important est Altamirano, qui écrit d'excellentes nouvelles et de bons romans. Le roman historique est cultivé par J. A. Mateos, Justo Sierra O'Reilly, Vicente Riva Palacio (1832-1896). Il en va de même pour quantité de dramaturges, quelque peu oubliés de nos jours, mais qui témoignent de la vivacité du théâtre romantique au Mexique (J. Peón y Contreras, J. J. Gamboa).

Traditions et influences

Les courants réaliste et naturaliste ne se distinguent guère par leur originalité, même chez E. Rabasa (1856-1930) ou Federico Gamboa (1864-1939). En revanche, le modernisme, introduit par S. Díaz Mirón, M. Gutiérrez Nájera et Manuel J. Othón, trouvera après 1896 son centre principal au Mexique, avec la Revista Moderna et des poètes comme Amado Nervo, J. J. Tablada, Luis G. Urbina et E. González Martinez. Cet âge d'or de la poésie servira de transition vers la littérature contemporaine ; le roman, un peu relégué au second plan depuis Lizardi, prendra son essor après la chute du dictateur Porfirio Díaz (1911) avec ce qu'on appelle, précisément, le « roman de la Révolution » (M. Azuela, M. L. Guzmán, Rafael Muñoz). Il en va de même pour les œuvres de l'essayiste J. Vasconcelos, mais c'est Alfonso Reyes qui aura la plus profonde influence sur les intellectuels de son pays. Tandis que Ramón López Velarde (1888-1921) se dégage du modernisme et que José Juan Tablada (1871-1945) introduit le haikai japonais dans la technique poétique, un groupe se forme autour de la revue Contemporáneos (1928-1931). Nourris aux lettres françaises et anglaises, ses membres se montrent essentiellement soucieux d'esthétique et indifférents aux préoccupations sociales (Bernardo Ortiz de Montellano, Carlos Pellicer, José Gorostiza, Jaime Torres Bodet, Xavier Villaurrutia, Salvador Novo). À la suite de Rodolfo Usigli, de nombreux talents nouveaux témoignent de l'importance de l'activité dramatique au Mexique : Elena Garro, Sergio Magaña, Emilio Carballido, Luisa Josefina Hernández, Vicente Leñero. En poésie se manifeste un profond souci d'intégrer les traditions mexicaines à la culture universelle, notamment chez les écrivains rassemblés autour de la revue Taller (1938-1940), dont le plus illustre représentant est Octavio Paz. Si Efraín Huerta mêle la politique à la poésie, Alí Chumacero vise à la rigueur de la forme et au classicisme des images. Dans le concert de la poésie d'aujourd'hui se font entendre des voix diverses, plus personnelles chez Jesus Arellano ou Jaime Sabines, plus chaleureuses chez Rosario Castellanos et Tomás Segovia, parfois empreintes de protection sociale avec Rubén Bonifaz Nuño et Jaime García Terrés. D'autres poètes se distinguent par l'exubérance de leur lyrisme aux confins du surréalisme, tel Marco Antonio Montes de Oca, ou, au contraire, par leur langage très condensé comme Gabriel Zaid. Homero Aridjis cultive une poésie sensuelle, et José Emilio Pacheco, un style dense et précis, souvent imprégné d'ironie.

Identité mexicaine et universalité

Le roman reste longtemps marqué par le souvenir de la révolution de 1910 et, bien que largement ouvert aux influences étrangères, notamment aux nouvelles techniques narratives héritées de Joyce et de Faulkner, il garde un caractère typiquement national avec son mélange de tendresse et de cruauté et son attirance pour le thème de la mort. José Revueltas fonde avec le Deuil humain (1943) le roman moderne, qui dépasse le simple tableau de mœurs pour introduire une réflexion sur le Mexique et la mexicanité, en exploitant toutes les ressources d'une technique enfin dégagée de la tradition. La problématique nationale devient le thème principal d'écrivains comme Agustín Yáñez, Juan Rulfo ou Juan José Arreola. Cependant, l'indigénisme trouve un nouveau souffle avec la fondation de l'Institut national indigéniste (1948), et des auteurs comme R. Pozas ou Rosario Castellanos. Mais la voie ouverte par Yáñez ou Rulfo est celle qu'empruntent désormais la majorité des écrivains, dont les œuvres ont pour thème le Mexique, son essence, ses origines et son destin. C'est souvent une littérature de la désillusion : la révolution a été trahie par la classe dirigeante, qui en a détourné le succès à son seul profit, plongeant le pays dans un marasme idéologique et socio-économique qu'il faut dénoncer pour y remédier. C'est le règne de la corruption et de la violence, ce que montrent Elena Garro, F. del Paso, F. Benítez et, surtout, Carlos Fuentes, dont l'œuvre, dans sa quasi-totalité, est une histoire des mentalités mexicaines de notre temps. C'est aussi le cas de Salvador Elizondo et des écrivains qui font partie de ce qu'on a appelé, dans les années 1960, la Onda et qui s'attachent à décrire la vie de la capitale et de sa bourgeoisie aisée. Le roman propose alors une transposition mythique de la réalité et, exploitant le thème de la relation auteur/lecteur, explore la sensualité, l'opposition à toute forme de répression, l'absurde, utilisant un langage libéré de toute convention et n'hésitant pas à faire des emprunts aux argots et à « l'hispanglish » actuels : J. Agustín, Gustavo Sainz. La génération « du crack » réunit des jeunes écrivains comme Jorge Volpi, auteur de nombreux romans (À la recherche de Klingsor, 1999). Témoignage d'une extraordinaire vitalité que souligne la floraison de multiples « ateliers d'écriture », et signe que la littérature oscille perpétuellement entre les deux pôles reconnus par O. Paz, « mexicanité » et « universalité » : dans cette double attraction réside la raison de son dynamisme.