Max Jacob
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain et peintre français (Quimper 1876 – Drancy 1944).
Né en terre catholique d'une famille juive, il aime à se dissimuler sous des masques souvent dévalorisants sans que ceux-ci altèrent une voix rigoureuse, éprise d'absolu et marquée de solitude profonde, celle qui innerve son chef-d'œuvre en poésie, le Cornet à dès (1917).
Jacob publie dès 1911 des chants d'une Bretagne qu'il peint également. Le questionnement sur l'identité personnelle et religieuse l'accompagne au long de sa vie. Amis des peintres, de Picasso en particulier, il participe à l'effervescence de la modernité picturale parisienne. Il est, avec Apollinaire et avant Char, l'un des éclaireurs d'une relation profonde dans l'écriture du siècle : celle de la poésie et de la peinture. Il est notamment, en écrivain, en critique d'art, saisi par les audaces du cubisme naissant, qu'il cherchera à transcrire en poésie, allant jusqu'à appeler de ses vœux, de ses mots, une littérature cubiste.
Moins connus, les textes qu'il donne avant le Cornet sont déjà empreints des qualités de son écriture et établissent des dialectiques valables pour l'œuvre entière (l'une notamment, celle de l'être et du paraître : la poésie est autant un masque qu'un démarquage). Le roman Saint Matorel (1911) décrit l'itinéraire vers Dieu d'un homme dans lequel il est difficile de ne pas reconnaître l'auteur. Le Siège de Jérusalem (1914), nourri d'une fréquentation assidue des textes religieux juifs et catholiques, poursuit, sur scène cette fois, un itinéraire spirituel de vérité. Jacob aime alors à passer d'un genre à l'autre. Jusqu'à la publication du Cornet, le lecteur a ainsi l'impression qu'il cherche à lui faire perdre la piste de lui-même.
En densité, en concision, en musicalité aussi, l'écriture du volume marque une évolution notable. Deux directions sont prises : la poésie est le genre de la profondeur ; le poème sera en prose. Après Lautréamont, qui l'a retenu, après Bertrand et Baudelaire, Jacob poursuit les recherches sur les qualités plastiques et musicales du poème en prose, dont il va jusqu'à revendiquer la paternité. Une préface-programme mais aussi un Art poétique (1922) précisent le projet. De manière proustienne, Jacob sépare le sujet et le moi créateur : le poème est aussi un appel à l'inconscient, mais, à la différence du surréalisme, que Jacob annonce ou côtoie plus qu'il ne le rencontre vraiment (question aussi de génération), celui-ci n'a pas tous les droits. De manière toute classique, l'écrivain intervient, survient, habille (cf. Conseils à un jeune poète, posthume, 1945). Dans ces courts poèmes en prose, autonomes les un par rapport aux autres, il importe moins de dire que de suggérer par la musique, par les correspondances, mais aussi de surprendre, de dérouter sans que l'on sache sur quel pied lire. De l'énoncé quotidien à sa subversion, la palette tonale est singulièrement riche. Régulièrement, la surprise a vertu poétique. Autant que le sort de l'homme, sons et images sont jetés dans ce cornet de hasard.
Mais, vers 1910, la conversion au christianisme, née d'une vision, réoriente les enjeux, comme chez Pascal ou Claudel. Pour ce nouveau baptisé, le rapport à Dieu prime désormais. Cette remise en cause totale du comportement ne va pas sans remodeler la morale personnelle. Un homosexuel peut-il obéir à Dieu ? Comment mettre sur le même plan le sérieux du texte biblique et la « légèreté » d'un poème ? Les années 1910 sont celles d'une recréation de soi par soi parfois chaotique et vécue douloureusement. Le Laboratoire central (dont le titre dit la quête d'un centre, d'une colonne vertébrale) paraît en 1921, année où Jacob s'installe à Saint-Benoît-sur-Loire. Le livre interroge toujours autant la musique, et le sujet (banal ou non) compte moins désormais que la manière dont il est rendu. La refondation du moi apparaît nette dans des romans que l'on dira moins aboutis (le Terrain Bouchaballe, 1923). Les recueils dont les Visions infernales (1924), l'Homme de chair et l'homme reflet (id.), Fond de l'eau (1927) disent cet engagement dans la vie spirituelle. À la « légèreté » donc de la poésie, il convient de préférer une poésie qui fait sens, dit l'importance de la question spirituelle. Les poèmes religieux sont à cette époque ceux auxquels Jacob, qui lit les mystiques, accorde le plus d'importance.
Pour de jeunes poètes, au premier rang desquels Cadou, Jacob est un maître en exigence et en beauté, ce qu'a confirmé le très tonique Ballades en 1938. Les poèmes gardent suffisamment de musique pour éviter le didactisme. Jacob, en cubiste toujours, ne recule pas devant des images fortes, celles notamment de la Passion, épisode pour lui « central ». Les textes postérieurs à la conversion, s'ils mettent en jeu un sens linéaire, ne s'interdisent pas les retours, les surprises. Mais les occupants vont vite rappeler à ce catholique qu'il est juif : arrêté par la Gestapo en 1944, il meurt au camp de Drancy. De nombreux textes et inédits, des extraits de sa correspondance (les lettres à Cadou sont une splendeur) seront publiés à titre posthume.