Marguerite Donnadieu, dite Marguerite Duras

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Romancière, dramaturge et cinéaste française (Gia Dinh, Cochinchine, 1914 – Paris 1996).

Ses premiers romans datent de la guerre : de facture traditionnelle, les Impudents (1943) et la Vie tranquille (1944) passent presque inaperçus. Installée à Paris depuis une douzaine d'années, Duras déploie une activité clandestine qui la fait se rapprocher du parti communiste, tout en se mettant à concevoir des textes habités par le souvenir d'une certaine Anne-Marie Stretter, qu'elle a connue de loin, pendant son adolescence asiatique, et pour qui un jeune homme s'est suicidé par amour (cette figure mystérieuse et fondatrice reviendra sous les traits de nombreux personnages féminins). Parallèlement, l'écrivain noue des relations durables avec plusieurs intellectuels, parmi lesquels Bataille et, surtout, Blanchot, à qui l'unira une indéfectible communauté d'esprit.

Elle s'oriente vers une esthétique plus novatrice avec les Petits Chevaux de Tarquinia (1953), roman à partir duquel une syntaxe disloquée et une ponctuation inhabituelle privilégieront un récit discontinu, au détriment de la progression de l'intrigue et du recours à la psychologie. Toutefois, c'est Moderato cantabile (1958) qui marque le tournant : Duras désavoue dès lors toute sa première manière. La narration s'ouvre en effet à de nouvelles modalités : les événements se raréfient et les dialogues accèdent au premier plan, suscités de plus en plus souvent par un fait banal du quotidien. L'écriture s'oriente vers une prose elliptique, violente, épurée jusqu'à l'essentiel, entrecoupée de gestes ébauchés et d'échanges muets. Avec ce « roman de l'échec du roman », Duras accède à la notoriété. C'est l'époque où Robbe-Grillet la convie à se joindre au Nouveau Roman, où sa participation, tantôt amicale, tantôt houleuse, restera éphémère et officieuse. En 1959, Alain Resnais lui commande le scénario et les dialogues de son prochain film : ce sera Hiroshima mon amour. L'année suivante, Duras use de sa célébrité naissante pour dénoncer la guerre d'Algérie, en signant le Manifeste des 121.

Au cours des années 1960 se succèdent plusieurs livres importants, dont le Vice-consul (1965), Détruire, dit-elle (1969) et, surtout, le Ravissement de Lol V. Stein (1964), auquel Lacan a rendu hommage par la célèbre phrase : « Marguerite Duras s'avère savoir sans moi ce que j'enseigne. » Alors que Mai 68 lui rappelle ses révoltes de jeunesse, mais la confirme dans sa tendance à l'isolement, son œuvre se dépouille, le style verse dans l'énigmatique, les dialogues sont troués de silences. Focalisée sur l'absence et la vacuité, la création suggère l'intensité des émotions et met en scène des silhouettes fantomatiques hantées par la folie et le sentiment d'abandon.

Dès le Square (1955), Duras s'est également lancée dans le théâtre ; aux pièces recueillies en volumes (en 1965, 1968 et 1984) viennent s'ajouter, par exemple, les Viaducs de la Seine-et-Oise (1959) et l'Amante anglaise (1968). Après l'expérience réussie avec Resnais, son inspiration s'est aussi diversifiée vers le cinéma : scénariste d'Une aussi longue absence (1961), elle réalise notamment la Musica (1966), Nathalie Granger (1972), la Femme du Gange (1973), Des journées entières dans les arbres (1976), le Camion (1977). La lenteur ritualisée de ses images entretient une atmosphère de mort et de beauté, tandis que la force incantatoire des voix contribue à « reprendre le cinéma à zéro, dans une grammaire très primitive... très simple, primaire presque : ne pas bouger, tout recommencer », à partir de « l'endroit de la passion ».

On peut certes distinguer deux veines principales chez Duras : d'une part, le cycle indien ; d'autre part, le cycle indochinois. Néanmoins, d'Un barrage contre le Pacifique (1950) à la Mer écrite (1996), en passant par le Marin de Gibraltar (1952), Véra Baxter ou les plages de l'Atlantique (1980), l'Homme atlantique (1981) ou la Pute de la côte normande (1986), c'est toujours sur les mêmes lieux, dont elle revendique le caractère imaginaire, que son écriture flue et reflue sans cesse. De Trouville à Melbourne et à Vancouver, de Ménilmontant à Calcutta, des rives du Mékong aux berges de Bercy, de la Seine au Gange, Duras est un auteur du ressassement.

À la récurrence obsessionnelle des personnages et des décors répond la perméabilité des frontières entre les genres : Jaune le soleil (1971) est la version cinématographique d'Abahn Sabana David (1970) ; avant d'être porté à l'écran, le Navire Night (1978) exista d'abord à l'état de nouvelle ; Agatha (1981) est un roman puis un film, comme l'avait été Détruire, dit-elle, qui poursuivait le récit du Vice-consul, ce dernier ayant en outre donné matière au « texte-théâtre-film » d'India Song (1973), tourné deux ans plus tard et prolongé par Son nom de Venise dans Calcutta désert (1976).

Miroir d'un chaos fondamental, manifesté par les déchaînements de l'océan primordial, le cataclysme atomique, les épaves à la dérive du fleuve des origines, auxquelles font écho les ruines du visage autobiographique (l'Amant, 1984 ; l'Amant de la Chine du Nord, 1991), l'œuvre tend vers l'espace idéal de la parole (Savannah Bay, 1982 ; la Maladie de la mort, 1983 ; Émily L., 1987). « Tous les livres sont sur le même sujet, l'écriture », la création procédant alors d'elle-même : « Je crois que ça part des mots [...] et la phrase vient après, elle s'accroche à eux, elle les entoure, elle se fait comme elle peut. » Chez Duras, Écrire (1993) est inséparable de l'Amour (1971) et de la Douleur (1985) : « J'aimerai quiconque entendra que je crie » (les Mains négatives, 1979), telle pourrait être la formule qui résume l'aspiration centrale d'une voix dont on devine l'ambivalence derrière la Jeune Fille et l'enfant (1982).

Marguerite Duras, octobre 1984
Marguerite Duras, octobre 1984